Juin 1940. Des combats à front renversé près de Luxeuil (4/)
Extraits de l'allocution prononcée le 22 juin 1969 par le lieutenant-colonel BONNET au cours d'une cérémonie du souvenir du "Clocheton" :
Je voudrais du reste, avec votre agrément, que la reconnaissance des pèlerins d’un jour que nous sommes enveloppât du même hommage les défenseurs du P.A. du Pont de Breuches et ceux des 3 autres P.A. Implantés dans les environs :
— l’un à proximité du Stade Municipal de Luxeuil, sur la route de Breuches à Luxeuil, et distant à l’Est de moins de 2 kilomètres;
— les 2 autres sur l’extrémité Est du terrain d’aviation de Saint-Sauveur et aux lisières Ouest de cette localité, à 3,500 km à vol d’oiseau à l’Est-Nord-Est du Pont de Breuches.
Ils appartenaient au même groupement placé sous le commandement du lieutenant-colonel Réthoré, commandant le 79ème R.I.F., et comprenant des éléments rassemblés au hasard des circonstances :
— éléments du 3ème Bataillon du 79ème RtF.
— 2 batteries de 75 du 69ème Régiment d’Artillerie
— 1 peloton de 6 chars R 35 du 16ème Bataillon de Chars
— 11 chars FT, reliquat de la 2ème Compagnie du 29ème Bataillon de Chars
Et il n’est pas possible, pour tous ceux qui faisaient partie de ce groupement, de parler de l’un de ces 4 P.A. sans mentionner les autres, puisque tous conjuguèrent généreusement leurs efforts, leur résistance et leur courage pour la défense de Luxeuil.
Il serait trop long et hors de propos d’évoquer ici toutes les difficultés rencontrées par les unités qui avaient reçu l’ordre, beaucoup trop tardif pour être efficace, de quitter la Ligne Maginot à partir du 14 juin 1940.
Précisons que, par suite des bombardements et nombreuses destructions opérées par l’aviation ennemie sur les voies ferrées, le 3ème Bataillon du 79ème R.I.F., qui avait déjà laissé une Compagnie de Mitrailleuses, la C.M. 10, sous les ordres du capitaine Potevin pour participer à la défense du sous-secteur de Kuhlendorf sur la ligne Maginot, fut privé par la suite de l’appui de 2 autres compagnies de mitrailleuses (embarquées avec la C.H.R. dans un autre train, arrêtées en cours de route et qui, de ce fait, participèrent à la belle défense de Remiremont, les 19 et 20 juin 1940, sous le commandement du capitaine Carribou, commandant le C.M. 9, privé aussi de l’appui de son train de combat motorisé, porteur des moyens de transmissions, de la plus grande partie du ravitaillement on vivres, mais surtout on munitions, particulièrement grenades et obus de mortiers dont l’absence fut ressentie tout au long des combats jusqu’à l’armistice.
Je dirai simplement que ce fut la 3ème Compagnie d’Engins et de Fusiliers, renforcée au départ de la Ligne Maginot par des éléments du 1er Bataillon, qui fournit les principaux effectifs d’infanterie de la défense de Luxeuil-SaintSauveur.
Cette compagnie était commandée par le capitaine Lamoureux qui, en exécution des ordres reçus, mit en place avec beaucoup de conscience les différents P.A. de défense.
Faute d’effectifs suffisants par suite de l’absence des compagnies de mitrailleuses, Ces P.A., ces « BOUCHONS » suivant l’expression consacrée à l’époque, ne pouvaient servir qu’à barrer des axes susceptibles d’être utilisés par l’ennemi pour sa rapide avance vers l’Est. Mais ils couraient tous le risque d’être débordés sur leurs flancs et attaqués par derrière, ce qui ne manqua pas d’arriver.
Il n’empêche qu’ils étaient chargés d’une mission de sacrifice celle de ralentir le plus possible la progression de l’ennemi et, si l’on se reporte par la pensée à ces mauvais jours, il n’était plus question, compte tenu de la situation générale et désespérée à la date du 18 juin 1940 alors que des bruits de pourparlers d’armistice circulaient de toutes parts, que d’essayer de sauver l’honneur.
C’est ce qui fut fait héroïquement par ces quatre points d’appui.
Les 2 P.A. aux lisières Ouest de Saint-Sauveur interdisaient, en liaison avec la 4ème batterie de 75 du 69ème R.A. venue elle aussi de la Ligne Maginot et déployée en anti-chars à l’extrémité Est du terrain d’aviation, la route de Vesoul qui, par Baudoncourt, longeait au Nord le terrain d’aviation abandonné et recouvert par une épaisse fumée noire provenant de l’incendie de ses dépôts de carburant.
Ils surveillaient aussi la route conduisant à Lure et 6 chars R 35 constituaient heureusement l’élément mobile de la défense de ce sous-quartier.
Les 2 PA. étaient commandés par le lieutenant Fix et le lieutenant Contal. De 5 heures à 11 heures du matin, le 18 juin 1940, ils soutinrent courageusement, appuyés par les 75 du 69ème R.A., les coups de boutoir d’une forte colonne motorisée et blindée allemande venant de Baudoncourt, détruisant plusieurs engins ennemis ; obligeant des éléments d’infanterie motorisés à faire demi-tour, jusqu’à ce qu’ils furent débordés dangereusement par d’autres éléments d’infanterie ennemie partis de Breuches qui s’infiltrèrent à l’abri des couverts de la rivière du Breuchin et coupèrent vers il heures nos liaisons entre Luxeuil et Saint-Sauveur.
C’est l’acharnement que mirent les cadres et les hommes de ces deux P.A. à défendre le carrefour central de Saint-Sauveur jusqu’à plus de 13 heures l’après-midi qui se traduisit par une violente fusillade à bout portant de maison à maison, faisant des pertes sensibles chez l’ennemi, qui permit le repli de 3 pièces de 75 (la 4ème détruite par un coup au but d’un anti-char allemand avait perdu tous ses servants tués ou blessés) puis le repli de nos canons de 25 et finalement de la section de mortiers dont les servants s’étaient transformés en voltigeurs sur l’initiative de leur chef de section.
Grâce à l’appui des 6 chars R 35, le mouvement de repli des 2 sections put s’effectuer vers 14 heures sans être Inquiété par l’infanterie ennemie abasourdie par la vigueur de la résistance rencontrée et qui ne reprit as progression vers l’Est qu’en fin de journée, à la faveur de la nuit.
En ce qui concerne la route de Breuches à Luxeuil, l’action ennemie, délaissant le village d’Ormoiche où le P.A. qui y avait été installé ne fut pas attaqué, partit du village de Breuches et commença par l’attaque du P.A. qui interdisait le pont et était installé sur le petit mouvement de terrain boisé immédiatement au Nord.
Laissons la parole à l’aspirant Garnier qui commandait ce P.A. et dont je vous donne lecture du compte rendu de défense.
« Toute la nuit du 17 au 18 juin 1940 s’est passée à aménager une barricade en avant du pont et à creuser les emplacements de combat. Au jour, nous avions quelque chose d’à peu près convenable.
— Vers 5 heures du matin, le 18 juin, les premiers coups de feu se font entendre dans la direction de Saint-Sauveur — alerte. Chacun à son poste de combat continue d’aménager les emplacements.
— Vers 6 heures 30, le lieutenant Foucré, officier de renseignements du bataillon, arrive avec un motocycliste — R.A.S.. Il continue sur Ormoiche.
— A 6 heures 45, l’ennemi débouche du village de Breuches en ligne d’attaque d’infanterie. ‘La direction de marche de l’ennemi était nettement le P.A. qui avait dû être repéré.
Mes vues sont réduites, limitées à gauche par le pan de mur du parc du château — à droite par de grands arbres et des buissons poussés de chaque côté de la rivière.
Effectif ennemi : 2 à 3 sections.
A 300 mètres, j’ouvre le feu. Riposte immédiate avec balles traceuses et minen ; heureusement, leur tir n’est pas très ajusté. Le caporal-chef Hartmann est blessé au coude derrière le bouclier du canon de 25.
Estimant que la chenillette n’est pas assez défilée, je la fais reculer. Le conducteur Balleux venant me rendre compte que sa mission était terminée est tué d’une balle dans la tête.
Dès l’ouverture du feu, j’ai envoyé un agent de transmission au P.C. de la compagnie, ainsi qu’un second une heure plus tard.
Le feu s’intensifie. Le lieutenant Foucré, au bruit des premières rafales, a laissé son motocycliste continuer sur Ormoiche et est resté parmi nous de 7 à 8 heures environ puis est reparti vers le PC. du Bataillon qu’il n’a jamais rejoint puisque le P.A. était déjà encerclé.
Vers 8 heures, le feu se fait de plus en plus nourri, plus précis aussi. Je me sentais tourné de tous côtés. Cela tirait de partout. Voyant qu’il n’y avait pas de blindés et plus beaucoup d’espoir de se servir du canon, j’ai fait enlever la culasse que j’ai fait enterrer à une vingtaine de mètres de là.
Un minen tombe à côté d’une mitrailleuse et blesse le chef de groupe. Nous sommes maintenant une dizaine dans cette corne de bois et formons le carré.
Personne n’a franchi le pont tant que je tenais mon mousqueton, cela je puis l’affirmer, mais, hélas, l’ennemi avait traversé la rivière à gué et m’avait complètement encerclé, Il est maintenant à quelques mètres. Ce sont les grenades. J’entends les commandements allemands. Nous n’avons pas de grenades mais nos mousquetons font du bon travail dans le chemin creux, presque à bout portant.
Tout à coup, un gros éclatement très près du visage. Quand je reviens à moi, deux Allemands sont en train de me bousculer. Quand ils me voient vivant, mitraillettes sur le ventre et discours auquel je ne comprends rien.
Je veux me pencher sur deux corps pour essayer de lire les plaques car il s’agissait de soldats qui m’avaient été affectés la veille. Mais les Allemands redoublent de brutalité et m’entraînent à leur P.C. où je retrouve le lieutenant Foucré qui avait été fait prisonnier par les gens qui m’avaient encerclé.
A ce moment, j’ai regardé ma montre. Il était 9 heures. »
Je n’ajouterai pas de commentaires à ce compte rendu. Je préciserai que, suite à la demande d’aide de l’aspirant Garnier transmise par un agent de transmission qui avait réussi à passer, l’ordre fut donné au capitaine commandant ce qui restait de la 2ème Compagnie du 29ème Bataillon de chars FT, sérieusement affaiblie par les opérations des jours précédents et réduite à 11 chars FT mis la veille au soir à la disposition du Bataillon, de quitter sa position d’attente à Saint-Sauveur et de se porter immédiatement au secours du P.A. au Pont de Breuches. Un peloton de 3 chars avait du reste été détaché la veille au soir à Ormoiche, pour renforcer le P.A. qui ne fut pas attaqué.
Il en restait donc 8, mais ces chars FT du type classique de la guerre 1914-18 n’était pas suffisamment blindés pour résister aux armes anti-char de 1940.
Ils effectuèrent leur mouvement à partir de 8 h 30 mais n’arrivèrent au contact du P.A. au pont de Breuches que peu avant 9 h 30, c’est-à-dire après que toute résistance du P.A. eût cessé.
En cours d’exécution, 4 chars furent détruits par l’ennemi, 3 tombés en panne furent incendiés par les équipages, 1 seul devait repasser après 10 heures avec plusieurs blessés au P.A. du stade de Luxeuil.
Il faut signaler aussi au cours de ce combat, la mort du lieutenant Bouilloc, jeune officier de la C.M. 9 du Bataillon, animé du patriotisme le plus pur, remarquable d’entrain et qui avait fait du groupe franc du Régiment qu’il commanda en second, puis en premier sur la Ligne Maginot, une belle unité de choc et obtenu 2 citations au cours d’opérations sur la frontière.
A Luxeuil, il remplissait les fonctions d’officier de renseignements auprès du colonel dont le P.C. était installé au village de Froideconche et c’est au cours d’une liaison moto avec les P.A. avancés qu’il fut tué, vers 8 h 30, par une rafale d’arme automatique tirée à bout portant de la lisière du bois (au tournant de la route, à l’est du P.A. du pont de Breuches) par un élément ennemi qui participait à l’encerclement du P.A. Son corps fut ramassé à demi-calciné et couché sur sa moto qui avait pris feu.
Et l’aspirant Garnier, jeune instituteur, lui aussi plein d’allant et qui avait une si belle conception de son devoir, comme il l’avait prouvé en donnant magnifiquement l’exemple à ses hommes pour la défense de son P.A. au pont de Breuches, devait mourir le 23 septembre 1945, 2 mois et demi après son retour d’Allemagne, emporté à l’âge de 29 ans par une fièvre maligne consécutive aux privations endurées pendant 5 années de captivité.
Après la chute du P.A. du pont de Breuches, l’ennemi devait se heurter à une nouvelle et dernière résistance, celle du P.A. du stade municipal de Luxeuil qui avait été ajouté le 17 juin après-midi pour renforcer la défense sur l’axe Breuches-Luxeuil.
Il avait été couvert à 200 mètres en avant par une barricade contre les motorisés et blindés, constituée par 2 gros arbres abattus en quinconce en travers de la route par les pionniers du Bataillon.
Ce P.A. était commandé par l’aspirant Barué.
Après avoir repoussé par le feu, de 10 h à 11 h du matin, plusieurs incursions motorisées ennemies, il fut soumis à un tir par anti-char de 105 puis, à partir de 13 h, attaqué par des éléments d’infanterie qui s’infiltrèrent sur son flanc droit par la forêt qui s’étend au nord de la route.
Du reste, à partir de 11 h du matin, l’ennemi avait réussi à s’infiltrer dans Luxeuil par toutes les lisières qui n’étaient pas défendues faute d’effectifs et par suite de l’absence de nos compagnies de mitrailleuses, surprenant par derrière le P.A. qui avait été installé au nord de la ville, au carrefour des routes de Saint-Loup et de Fougerolles, capturant les agents de transmission, occupant la rue principale nord-sud de la localité battue par ses anti-chars et rendant infructueuse la tentative de liaison faite vers 13 h 15 par l’adjudant-chef Aiguier avec un groupe de combat et une chenillette armée, avant l’exécution du repli du P.C. du Bataillon menacé à son tour d’encerclement.
L’aspirant Barué, secondé par l’adjudant Rozaux, tint tête à l’ennemi dans son P.A. encerclé jusqu’à 16 heures, voulant, comme il l’a mentionné dans son compte rendu de défense, « tenir jusqu’à épuisement de ses munitions, défendre jusqu’au bout le sol qui lui avait été confié et rester fidèle au règlement qui, sans ordre, interdit de se replier. »
Le bilan fut particulièrement lourd : 4 tués et 5 blessés sur un effectif d’une vingtaine d’hommes.
Avec cette dernière et héroïque résistance se terminait le baroud d’honneur de la défense de Luxeuil. il allait se poursuivre avec des effectifs s’amenuisant de plus en plus à Raddon, puis à Faucogney et sur la coupure de la Moselle dans la région de Saulx et du Col de Ramenay (Rahmné) jusqu’à l’Armistice.
Ainsi le détachement commandé par le colonel Rethoré, décédé le 23 août 1962 et dont nous saluons respectueusement la mémoire, n’avait rien à se reprocher.
Dans la situation difficile et bientôt désespérée où il avait été placé, il avait rempli sa mission et fait son devoir jusqu’au bout. Plus tard, un article du Militar Wochenblatt du 8 novembre 1940 devait évoquer ces combats de Luxeuil - Saint-Sauveur en parlant « de l’enfer de Luxeuil qui laissait loin derrière lui, dans l’esprit des soldats allemands qui y avaient pris part, les jours de Cambrai, de Cassel et de l’Argonne ».
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