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Le blog de François MUNIER

Béni-Mellal. Médinat-ou-Daï. Hesperis 1926 (4/4)

22 Décembre 2023 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Maroc, #Béni-Mellal, #Afrique du Nord, #Diaporamas

Béni-Mellal en 2017

Béni-Mellal en 2017

Conclusions

Cette petite étude historique, si lacunaire qu’elle soit, a peut-être permis de préciser un peu, et de rendre sensible dans deux cas concrets, la curieuse pauvreté de l’Oumm-er-Rebia en agglomérations urbaines. Elle permet en même temps, je crois, d’entrevoir la cause profonde de cette pauvreté.

Youçof ben Tachfin, le fondateur illustre de la dynastie almoravide, a bien pu conquérir une partie considérable du Maghreb et de l’Espagne, ébranler tout le monde occidental. Mais sur ce point particulier, le Fazaz, une bicoque l’a arrêté net; ses armées, ailleurs triomphantes, ont assiégé Fazaz pendant dix ans, et ont fini, semble-t-il, par composer avec l’adversaire.

Mouley Ismaïl, l’un des plus grands sultans que connaisse l’histoire du Maroc, à travers tout son règne glorieux, a été préoccupé, plus qu’aucun de ses prédécesseurs, de tenir le Moyen-Atlas, et même de l’organiser. Il est mort en 1727. Et voici ce qui s’est passé en 1733, au dire du chroniqueur, sur l’Oumm-er-Rebia. Le sultan envoya chez les montagnards une armée composée de vingt-cinq mille Abids et renforcée de trois mille Oudaïas. « Elle se mit en marche, mais arrivée à la rivière d’Oumm-er-Rebia, les Berbères ayant fait le vide devant elle, elle s’engagea à leur poursuite dans des montagnes escarpées. Les montagnards barricadèrent alors, à l’aide de troncs d< cèdres, les défilés par lesquels l’armée ennemie avait passé, puis ils entourèrent leurs adversaires et les mirent en déroute... Les fuyard arrivèrent tout nus à Méquinez (Meknès) (1). »

C’est l’éternelle histoire. Le Moyen-Atlas tout entier a toujours échappé à l’autorité centrale, même aux moments où cette autorité centrale était la plus forte, et la plus consciente d’elle-même. On a noté depuis longtemps que le Maroc des sultans était composé de deux royaumes, Fez et Merrakech, mal reliés par le pédoncule étroit de Rabat. Aujourd’hui où la communication est rétablie avec l’Est par le couloir, désormais libéré, de Taza, le Maroc administré apparaît avec une forme curieuse. D’Oudjda à Marrakech par Taza, Fez, Meknès, Rabat, Casablanca, c’est une rue d’un millier de kilomètres de long, une voie unique à branchements latéraux insignifiants. La ville d’Alger, tous les Africains le savent, est une rue, la rue d’Isly, si l’on veut, avec ses prolongements linéaires, parcourue par une voie unique de tramways. Le Maroc est construit sur ce modèle; c’est la rue d’Isly, étendue aux proportions d’un grand pays. Cette curieuse structure lui a été imposée par le Moyen-Atlas, qui, à travers les millénaires a toujours refoulé la vie de l'État sur la périphérie. Ce cœur immense et indompté du Maroc est par excellence la province qui a exercé l’influence la plus profonde sur son évolution historique. C’est lui qui a barré au pays le chemin de l’unité. Mouley Ismaïl avait raison, il était guidé par un instinct sûr, la question du Moyen-Atlas est celle qui domine toutes les autres.

Le Moyen-Atlas est le château d’eau du Maroc. Les trois plus grands fleuves y prennent leurs sources, au voisinage les unes des autres, la Moulouya, le Sebou, l’Oumm-er-Rebia. Mais quelle différence entre le Sebou et l’Oumm-er-Rebia !

Le Sebou n’appartient à la montagne que par son cours supérieur, dans la partie nord du Moyen-Atlas, où le massif montagneux est le moins étalé. En amont de Fez, il entre dans une région de larges vallées confluentes et de plaines, qui appellent la centralisation et l’État.

Tout autre est l’Oumm-er-Rebia. Il sort des montagnes, au sens littéral, en aval de Khénifra, mais il ne s’en éloigne pas; il en longe le pied, à travers tout le Tadla. Il recueille sur sa rive gauche tous les gros torrents qui en descendent, le Dema, l’Abid, le Tessaout. Il ne se décide à leur tourner le dos que lorsqu’il est achevé, lorsqu’il a fait son plein, pour traverser en ligne droite, par le plus court chemin les plaines littorales, à travers lesquels il court rapide, profondément encaissé, conservant jusqu’à la mer son allure de fleuve alpin. C’est par excellence le fleuve du Moyen-Atlas. Il lui doit le cube énorme de ses eaux, mais il lui doit aussi d’être resté inutilisable. A travers tout le Tadla la haute montagne ne cesse jamais de dominer le fleuve, à proximité immédiate; la haute montagne insoumise, menace éternelle de razzias. Actuellement encore les autorités françaises de Kasba-Tadla se gardent bien d’autoriser la colonisation : elles ne pourraient pas la protéger. Et c’est ainsi depuis toujours.

1Es-Zeïani, p. 73.

Cartes postales anciennes
Cartes postales anciennes
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Cartes postales anciennes
Cartes postales anciennes
Cartes postales anciennes
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Cartes postales anciennes

A cela près la vallée de l’Oumm-er-Rebia, dans sa traversée du Tadla, est dans une situation géographique extraordinairement favorable. La route directe entre Fez et Merrakech passe par là; une route théorique, qui a toujours été connue, et n’a jamais pu être sérieusement suivie. Le centre mathématique de tout le Maroc est là, dans la région Kasba-Tadla Beni-Mellal. Entre le fleuve et la montagne court une longue bande d’alluvions profondes, terres de choix qui seraient d’une fertilité merveilleuse. Outre les sources vauclusiennes, le fleuve torrentiel et ses gros affluents offriraient à une organisation occidentale des possibilités d’irrigation immenses, d’autant plus intéressante qu’elles comporteraient l’utilisation industrielle de la force hydraulique. Le Tadla est un pays où il pleut suffisamment en hiver. L’été torride, saharien, permettrait des cultures riches, quasi tropicales, celle du coton par exemple. La tenure des terres dans cette marche frontière est telle, me dit-on, que l’administration n’aurait pas de difficultés à faire intervenir la colonisation européenne, indispensable, je crois. Ajoutez la présence d’un gisement de phosphates qui est probablement le plus riche de la planète. Il n’y a peut-être pas. dans tout le Maroc un coin qui ait un pareil avenir en puissance.

La caractéristique la plus frappante du Maroc, parmi les autres nations du pourtour méditerranéen, c’est, j’imagine, la lenteur de son évolution. L’une de ses deux capitales, Merrakech, date seule ment du xi e siècle après J.-C. On peut croire qu’il n’a pas épuisé ses possibilités en matière de capitales. Il attend encore sa capitale centrale, unique, reliant et éclipsant les deux autres, trop excentriques. Sa vraie capitale enfin. On la concevrait ici; dans le Tadla, dans la vallée de l’Oumm-er-Rebia, qui ne peut pas indéfiniment rester vide. A Medinat-ou-Daï, si l’on veut.

Il suffirait d’installer dans le Moyen-Atlas la gendarmerie qu’il attend en vain depuis deux mille ans. Qu’il attend et que, au fond, il appelle obscurément de ses vœux. L’autorité morale et religieuse la plus considérable du Tadla est, comme on sait, le marabout de Ou-Djad. Ce marabout reconnut de Foucauld sous son déguisement juif, et il le chargea de transmettre au gouvernement français son souhait d’être nommé caïd, le jour où l’administration française s’installerait au Maroc. De Foucauld s’est bien gardé de raconter dans son livre cette anecdote compromettante. Mais il était moins discret en conversation, si mes souvenirs sont fidèles. En tout cas le marabout est accouru à Casablanca dès notre débarquement, dès le temps du général Rude, « attester son bon vouloir et offrir de mettre son in fluence au service de notre cause (1) ». Il exprimait sûrement le sentiment profond du Tadla. N’était-ce pas un peu la légendaire Médina- oui-da, la métropole en puissance, qui appelait ainsi confusément, du fond de l’avenir.

Naturellement le maréchal Lyautey et ses services connaissent admirablement cette situation. Le « Maroc utile » ç’a été en première ligne le Tadla. Mais la besogne n’est pas encore achevée. Après que César eut conquis la Gaule il restait à faire un travail ingrat, dont Auguste se chargea. Ce fut lui, si je ne me trompe, qui pacifia et organisa les Ligures des Alpes. L’histoire glisse sur cet incident sans gloire. On peut imaginer cependant que, sans l’organisation des Alpes, la Gaule n’aurait pas été latinisée comme elle l’a été. Le Moyen-Atlas est au Maroc un obstacle à la civilisation bien plus massif et plus sérieux que les Alpes en Gaule. Sa prise en main créera un Maroc tout nouveau; elle créera, à proprement parler, le Maroc. Nous sommes acculés à la nécessité de réussir là où tous les grands sultans ont échoué. C’est un tournant de l’histoire à ne pas rater. Si nous reculons devant l’obstacle nous aurons manqué à notre destinée., et le Maroc une fois de plus, à la sienne.

E.-F. Gautier.

1Segonzac, Au cœur de l’Atlas, p. 256, note 1.

Béni-Mellal. Médinat-ou-Daï. Hesperis 1926 (4/4)
Le Moyen-Atlas et Beni-Mellal
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