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Le blog de François MUNIER

Béni-Mellal. Médinat-ou-Daï. Hesperis 1926 (2/4)

20 Décembre 2023 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Maroc, #Histoire, #Afrique du Nord, #Béni-Mellal, #Moyen-Âge

Le Fazaz.

Sur Youçof ben Tachfin, fondateur de la dynastie almoravide, au XIe siècle après J.-C., les renseignements des chroniqueurs ne sont pas très circonstanciés, mais ils sont concordants et assez précis. On entrevoit assez bien les grandes lignes. Dans toute l’histoire de Youçof il y a un passage, et un seul, où on nous montre le conquérant s’acharnant sur une région qui puisse être et même doive être approximativement la nôtre.

Il s’agit du siège de Fazaz, qu’Ibn Khaldoun appelle aussi Kalaat-Mehdi, le château de Mehdi, parce qu’un certain « Mehdi était seigneur de cette place forte »1.

Le siège de Fazaz dura très longtemps parce qu’il fut interrompu et repris. Aussitôt après la fondation de Merrakech, qui est de 1062, Youçof « commence par assiéger Fazaz. » Et « il le serrait de près » lorsqu’il fut obligé de faire face à une attaque qui venait de Meknès et de Fez, resté au pouvoir de la dynastie zénète maghraoua. Suit une campagne qui dut être longue, au cours de laquelle Youçof s’empare de Meknès, de Fez, de Sefrou, pousse jusqu’à Tanger, où il se garde d’entamer la lutte avec la dynastie Espagnole. En un mot c’est la conquête du Maroc septentrional. Tranquille de ce côté, au moins provisoirement, Youçof « revint à Fazaz pour en reprendre le siège. ». Mais Fez se révolta, une armée almoravide fut battue, Youçof-ben-Tachfin assiégeait encore Kalaat-Mehdi, dans la province de Fazaz, quand il apprit la nouvelle de ce revers qui lui avait coûté beaucoup de monde. « Ayant laissé un corps d’Almoravides sous les murs de cette forteresse pour en maintenir le blocus, il se mit à parcourir le territoire du Maghreb avec le reste de ses troupes. » En effet il parcourt le Maghreb et même l'Espagne. C’est le grand épanouissement de la conquête almoravide, la grande aventure lointaine. Au milieu de ces événements immenses le blocus de Fazaz perd son importance, Ibn Khaldoun n’en parle plus, mais nous en connaissons l’issue par le Roudh-el-Qartas (2). Après nous avoir donné les mêmes renseignements qu’Ibn Khaldoun, presque dans les mêmes termes, sur le siège par Youçof de « la forteresse de Madhi dans le Fezaz »; le Roudh-el-Qartas ajoute : « Ce siège dura neuf ans et les Almoravides finirent par entrer dans la place sans coup férir, en 465 de l’hégire » (1071 J.-C.) Notez que ce siège de Fazaz est mentionné à d’autres reprises par les chroniqueurs et les géographes arabes, par Ibn-el-Athir (3), par le Kitab el-Istibçar (4). Dans l’épopée almoravide ça n’a pas été un incident insignifiant.

Nous connaissons la situation géographique du Fazaz. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les cartes du Maroc de Flotte, de Barrère, ou sur la carte au 500.000 e du service topographique. Elles portent toutes un djebel Fazaz à l’extrémité orientale du Tadla, sur le Haut Oumm-er-Rebia.

Ce sont là des cartes générales déjà vieilles et très inexactes. Prenons la feuille au 200.000* d’Itzer, n° XXX (Ouest); édition de 1922. C’est une carte provisoire, encore pleine de trous. On y trouve un oued Fazazi, gros affluent du Haut Oumm-er-Rebia, qui traverse d’outre en outre un blanc étendu de la carte.

Est-ce bien là le Fazaz contre lequel Youçof ben Tachfin s’est acharné?

Le seul chroniqueur qui parle longuement du Fazaz est Kitab-el-Istibçar. « Parmi les montagnes bien connues du Maghreb figure celle de Fazaz, qui a de l’importance. Elle est habitée par de nombreuses peuplades Berbères, qui, chassées de là (pendant l’hiver) par la neige, descendent dans le Rif de la mer occidentale (5).

Le Fazaz de nos cartes est en effet très élevé, sûrement au-dessus de 2.000 m. Ses habitants sont nécessairement des transhumants, et le « Rif de la mer occidentale » ne pourrait pas être autre chose que le Tadla.

« Dans cette montagne croissent des pins qui poussent très haut et deviennent très vieux, abritant des singes que j’ai vus bondir d’un arbre à l’autre à une grande hauteur. » La carte au 200.000e en effet étale largement le figuré de la forêt sur toutes les montagnes et sur le blanc lui-même au voisinage de l’oued Fazazi.

« C’est dans cette montagne, continue le Kitab, que s’élève la grande forteresse qui porte le nom d’el-Mehdi. Elle est dans une situation extrêmement forte et résista pendant sept ans au siège qu’en firent les Almoravides. »

Le Fazaz du Kitab est donc bien celui d’Youçof-ben-Tachfin. Le Kitab précise davantage. II a vu, dit-il, « le Ouansîfen couler entre des rives resserrées dans le pays de Fazaz.... Ce cours d’eau ressemble au Sebou et est appelé Omm Rebi.

1Ibn Khaldoun, II, p. 73.

2Roudh-el-Qartas, tradi. Beaumier, p, iq8.

3Ibn el Athir, trad. Fagnan, p. 496

4Kitab-el-Istibçar, trad. Fagnan, p. i3fi.

5Kitab-el-Istibçar, trad. Fagnan, p. i35.

El-Rekri lui aussi décrit sous le nom d’Ouansîfen un fleuve qui .ne peut pas être autre que l’Oumm-Rebia1.

D’après Merrakechi l'Oumm Rebia prend sa source à Ouansifen dans les montagnes des Çanhâdja2.

Malgré le témoignage concordant des chroniqueurs il est vrai qu’une petite erreur est probable. En effet ce nom d’Ouansifen est resté attaché à la région où l’Oued-el-Abid, et non pas l’Oumm-er- Rebia prend sa source. On le retrouve, légèrement déformé en Oumsifa sur la carte provisoire au 200.000 e , feuille n° XXXVIII Ouest (Kba Flilo). Mais les sources sont voisines, les deux rivières sont les deux branches maîtresses du même fleuve. Un chroniqueur arabe peut se tromper de çà.

Si on conservait encore un doute il serait levé par un passage d’Ez-Ziani sur Dakhisan, ou Adkhisan. Mpulay Ismaïl, d’après Ez-Ziani, « fit réparer la casbah d’Adkhisan, bâtie autrefois par Youçof-ben-Tachfin » (3). Cette Kasba est bien connue, on la retrouve sur toutes les cartes à côté de Khénifra (4), pratiquement c’est Khénifra. Moulay Ismaïl fait remettre en état cette forteresse parce que lui aussi, comme son prédécesseur almoravide, prépare une expédition contre le Fazaz. Il s’agit de « bloquer les Berbères », évidemment en inter disant à ces transhumants l’accès de la plaine. C’est la même histoire qui recommence exactement après six siècles écoulés. Le temps au Maroc compte bien moins qu’ailleurs.

Adkhisan était-il Kalaat-Mehdi ? était-il une forteresse construite par Youçof contre Kalaat-Mehdi? Le problème est insoluble, j’imagine, dans l’état de nos connaissances; mais c’est un point de détail. Dans l’ensemble, la campagne de Youçof ben Tachfin au Fazaz devient très claire.

L’emplacement de Medinat-ou-Daï est à 80 kilomètres en aval de Khénifra sur l’Oumm-er-Rebia. La lutte avait lieu à l’extrémité orientale de la plaine du Talda, dont Medinat-ou-Daï occupe le centre. La capitale des Almoravides était Merrakech; la route directe de Merrakech à Khénifra passe là. Sur cette route les oliveraies et les jardins de Beni-Mellal sont la dernière étape avant Khénifra où une armée trouve des ressources alimentaires. C’est le point qu’il faut garder parce que c’est le débouché d’une route de montagne, celle d’Ouaouizert, qui menace les communications. Il est aisé de concevoir que les Almoravides y aient construit le camp fortifié de Tagraret. Et Tagraret est en effet un nom que les Almoravides donnaient à leurs camps fortifiés. Ibn Khaldoun nous le dit expressément, avec exemple à l’appui. « Ce mot, dit-il, signifie station en langue berbère (5). »

Ce siège interminable de Fazaz ne peut pas manquer d’avoir eu dans la région de Beni-Mellal des répercussions tout à fait pénibles.

Son allure historiquement connue cadre bien avec les traditions populaires concernant Medinat-ou-Daï. Dans l’histoire comme dans la tradition, Youçof a été absent pendant de longues années, entraîné à des aventures lointaines, plus fantastiques qu’aucun roman.

Si les événements enjolivés par la légende ont un fonds solide de réalité, le cadre où on les place, Medinat-ou-Daï, a des chances de n’être pas une pure imagination.

1El Bekri, pp. 271, 294

2 Merrakechi, Histoire des Almohades, trad. Fagnan, p. 311.

3Ez-Ziani, p. 41.

42oo.oooe Boujad. Feuille n° XXIX Est, orthographie Adecsane.

5Ibn Khaldoun, II, p. 76.

Source de l'Oum Errabia (2017)

Source de l'Oum Errabia (2017)

Le Daï

Sur le nom de Daï, avec lequel est formé le nom de Medinat-ou-Daï, nous sommes documentés, d’une façon précise.

Et d’abord l’oued Daï est toujours là : c’est précisément la rivière de Béni Mellal.

Mais par surcroît les témoignages des textes sont nombreux et précis. Énumérant les étapes sur la route entre Aghmat et Fez, el-Bekri cite « Hisn Daï, la forteresse de Daï »; et à une journée plus loin dans la direction de Fez il mentionne « le Derna grande rivière qui se jette dans le Ouansifen 1»

L’oued Derna est en effet un gros affluent de l’Oumm-er-Rebia, et quand on longe la montagne en venant de Merrakech on le rencontre une étape à peu près au-delà de 1 oued Daï,c est-à-dire de Béni Mellal. C’est parfaitement exact.

Ce Daï devait être un centre ancien et assez important; car, d’après le même El Bekri, à la mort d’Idris II, « un de ses fils Yahia reçut pour sa part l’endroit nomme Daï et les localités voisines » (2).

Edrisi connaît aussi Daï (3).

Ibn Kordabdah mentionne « l’ancienne mine de Hisn Daï » (4).

Une tribu arabe, les Zouaïr, a été retrouvée par de Foucauld « sur l’oued de l’antique mine de Daï, d’où ils ont pris plus fréquemment le nom de Beni-Madan » (5), les fils de la mine.

Ainsi les chroniqueurs connaissent très bien une ville de Daï, ou d’Hisn Daï, sur l’emplacement de Medinat-ou-Daï. Et c est une vieille mine célèbre.

Bien entendu on ne peut pas prendre cette assertion à la lettre; la région du Daï est une plaine d’alluvions où la présence de minerai serait inconcevable. Il faut entendre évidemment que le minerai se concentrait là, s’y négociait et s’en exportait par caravanes. Il y venait d’un affleurement exploité dans la montagne et Ibn Khaldoun nous renseigne peut-être sur cet affleurement. Il parle de « Teniet-el- Maden, le défilé de la mine, endroit qui s’appelle aussi Beni- Fazaz » (6). Kitab el-Istibçar mentionne aussi au Fazaz une mine qu’il appelle Aram (7).

Tout cela paraît être de la réalité solide et c’est en accord satisfaisant avec la légende de Medinat-ou-Daï. La légende insiste sur l’importance de l’élément juif dans le Daï. Doit-on signaler que, d’après la chronique, ce même élément était puissant au Fazaz? Parmi les tribus juives Ibn Khaldoun cite les Fazaz (8). Kitab el-lstibçar est plus circonstancié. Il nous dit qu’un prince, exilé à Kalaat-Mehdi, s’indignait de sa disgrâce en ces termes : « La violation des traités m’a envoyé dans une ville de Juifs. » Et le Kitab ajoute : « Les Juifs en effet constituaient alors la majeure partie de la population (9)

Encore une fois il semble qu’il faille s’incliner devant la concordance de la chronique et de la tradition populaire. Naturellement il faut dépouiller Medinat-ou-Daï de son auréole légendaire. Elle n’a jamais été une métropole immense, tant s’en faut. Mais elle a existé elle a porté à peu près le nom qu’indique la tradition. Comme marché du cuivre elle a eu ses siècles de notoriété, pendant lesquels elle était probablement plus importante que son héritière Beni-Mellal. Avec Youçof-ben-Tachfin Medinat-ou-Daï entre dans la grande histoire et elle en meurt.

Avoir été foulée dix ans par une armée almoravide c’est une catastrophe bien suffisante pour expliquer la disparition de Medinat-ou-Daï, au moins sous le nom qu’elle portait alors. Après tout cependant elle n’a pas disparu tout entière. C’est bien elle qui dure aujourd’hui sous le nom de Béni-Mellal. Ce que Beni-Mellal conserve dans la tradition populaire de Medinat-ou-Daï ce sont ses propres archives, ses lettres de noblesse. Et du même coup elle nous renseigne sur les seuls vestiges d’un ancien passé urbain qui aient encore été déterrés sur les bords de l’Oumm-er-Rebia. Un passé urbain d’ailleurs très modeste, malgré la grandiloquence de la tradition.

1El Bekri, trad. de Slane, p. 294

2El Bekri, p. 242

3Edrisi, p. 85.

4Cité par Massignon, Le Maroc dans les premières années du XVIe siècle, p. 206.

5Massignon, id., p. 207, d’après Flotte

6Ibn Ehaldoun, II, p. 159

7Kitab el Istibçar, p. 132.

8Ibn Khaldoun, I, p. 209

9Kitab-el-Istibçar, p. 134

Cartes Michelin 170 et 171. Années 1954 et 1956
Cartes Michelin 170 et 171. Années 1954 et 1956

Cartes Michelin 170 et 171. Années 1954 et 1956

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