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Le blog de François MUNIER

L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1884). Yazd et Karman

12 Mai 2018 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Iran

L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1884). Yazd et Karman

Yezd, qui ne communique avec le reste de l'Iran que par des routes de caravanes traversant des plateaux argileux, des rochers ou des dunes de sable, est une cité du désert : de toutes parts les solitudes entourent l'oasis de mûriers où sont enfermés la ville et les villages de la banlieue. En certains endroits, le désert commence aux portes mêmes de Yezd : le sable s'amasse contre les murs et le vent le fait tourbillonner dans l'enceinte1; des quartiers sont ainsi menacés de disparaître comme a disparu une première cité de Yezd, appelée aussi Askizar, dont on voit les débris à 16 kilomètres au nord-ouest, sur la route de Kachan. On comprend que, dans cette ville partiellement assiégée par les sables, l'eau soit ménagée avec le plus grand soin : presque tous les réservoirs ou ab-ambar sont au-dessous du sol et l'on y descend par des volées de degrés pareils aux escaliers des étangs souterrains de Bombay.

Malgré son isolement au milieu du plateau, non loin du centre géométrique de la Perse, Yezd est une des villes prospères de l'Iran; elle a des filatures, des métiers à tisser, des teintureries, des fabriques de sucre candi. Pour l'industrie des soies, elle est le « Manchester persan » . ses manufactures sont nombreuses et quelques-unes font marcher plusieurs dizaines de métiers. Les cocons fournis par l'oasis environnante ne suffisant pas pour alimenter les trois cents fabriques, les marchands importent des soies grèges du Ghilan, du Khorassan, même de Herat; quant aux exportations d'étoffes, elles se font en dehors de la Perse jus= qu'à la Mecque et autres villes d'Arabie par la voie de Mascate. Yezd entretient même des relations indirectes avec la Chine, par l'expédition de caisses d'opium, chaque année plus nombreuses. Les intermédiaires presque uniques sont les membres de la communauté guèbre, la seule importante qui existe encore en Perse : naguère la concurrence des musulmans leur interdisait les manufactures et le trafic ; les adorateurs du Feu se livraient presque exclusivement au jardinage et à la culture du cotonnier, surtout à l'espèce dont la fibre brune sert à tisser les vêtements dont le port est obligatoire pour les Guèbres. Peu d'années après avoir reçu le droit de trafiquer, ceux-ci eurent conquis le monopole des échanges : l'un de ces négociants parsi possède plus de mille chameaux2. La population locale se compose en grande partie de seïd, qui prétendent descendre du Prophète : la présence d'un élément religieux différent a naturellement surexcité leur-fanatisme. La ville a été surnommée « Cité de l'Adoration » et les habitants, très fiers de cette épithète, tâchent de la justifier par une extrême intolérance3. Récemment encore, le meurtre d'un Guèbre n'était jamais puni. A une vingtaine de kilomètres au sud-ouest, le gros bourg de Taft, où les Guèbres ont conservé le plus longtemps le privilège de pouvoir allumer publiquement le feu sacré, a gardé quelque industrie, surtout pour la fabrication des feutres. Une caverne voisine, dont les galeries se prolongent à des lieues dans l'intérieur de la montagne, renferme de très riches- mines de plomb ainsi que des gisements de turquoises4.

En suivant, au sud-est de Yezd, la grande route des caravanes qui serpente dans la plaine argileuse entre les deux chaînes de montagnes parallèles, on ne voit, sur plus de 200 kilomètres, que des caravansérails isolés-et quelques maisons délabrées : c'est avec surprise que le voyageur aperçoit, après cette longue marche dans le désert, une véritable ville, Bahramabad, entourée de champs de pavots, alternant avec des jardins et des-plantations de cotonniers. Grâce à la convergence de plusieurs routes, Bahramabad prospère et, de faible village qu'elle était récemment, elle est devenue centre de population. Des Parsi, même des Baniah hindous, y ont fondé de puissantes maisons de commerce. Au nord, sur le versant septentrional des montagnes du Nougat, près de Baghabad, on exploite de très-riches mines de plomb.

Kirman ou Kerman, capitale de l'une des grandes provinces de la, Perse, a gardé le nom des Carmanes ou Germanes dont parlent les anciens,, mais comme Yezd, elle a changé d'emplacement : les restes d'une vaste cité, au milieu de laquelle ne se dresse aucune tour, aucune mosquée, s'étendent au sud de la ville actuelle; à l'ouest, on voit aussi des amas de décombres ; enfin au nord, le faubourg des Guèbres a été presque entièrement démoli à la fin du siècle dernier. Entouré d'une muraille de forme irrégulière et s'appuyant sur une citadelle carrée, le Kirman actuel occupe une surface d'un kilomètre de côté, à la base occidentale d'un promontoire que couronne une forteresse ruinée, le « Château de la Fille ». L'altitude de Kirman est d'environ 2000 mètres; aussi la température hivernale est très froide, mais en été les chaleurs sont très pénibles à supporter, et les maisons, de même que celles de Yezd, de Maïbout et autres villes du centre de la Perse, sont coiffées d'un badghir ou ventilateur en forme de tour, dans lequel s'engouffre l'air pour rafraîchir les appartements inférieurs. Encore à la fin du. siècle dernier, douze mille familles de Guèbres résidaient à Kirman et dans les villages avoisinants, mais les persécutions et les conversions forcées ont réduit la communauté à un faible chiffre : ils sont quinze cents à peine. Depuis la visite de Marco Polo, Kirman a perdu l'industrie des armes, mais ses broderies, ses tapis sont toujours estimés et l'on y fabrique des châles, inférieurs à ceux de Kachmir en exquise douceur au toucher, leurs égaux en finesse de tissu et en élégance de dessin5 : on se sert de kark ou fin poil de chèvre, mêlé à la soie pour la fabrication de ces étoffes, qui s'expédient ensuite dans toutes les parties de la Perse et même à l'étranger, par Bandar-Abbas. Kirman envoie aussi le kark de chèvre aux fabricants d'Amritsar, qui le mêlent dans leurs tissus au pachm du Tibet6. La principale station de la route de Kirman à Bandar-Abbas est la ville industrieuse de Saïdabad, oit mieux Seïdabad, la « ville des Seïd », entourée de rivières qu'alimentent les monts neigeux, mais qui s'épuisent à une faible distance : le sable jaune contraste avec la plus riche verdure.

Kirman est, au sud-est de la Perse, dans les contrées de l'intérieur, la dernière station où parviennent les lettres et les dépêches d'Europe7 : le voyageur qui s'aventure au delà, d'oasis en oasis, ne retrouvera de communications avec le monde civilisé qu'en descendant vers le littoral du Baloutchistan ou en gagnant à l'est la vallée de l'Indus. Presque toute la population se compose de Baloutches nomades qui poussent devant eux leurs troupeaux de chameaux, de chèvres, de brebis; leurs villes et leurs forteresses ne sont que des lieux de refuge contre les pillards. Pourtant il ne manque pas de terrains fertiles dans les vallées, que Marco Polo trouva couvertes de cités, de villages et maisons de plaisance; même quelques pentes de montagnes présentent le spectacle de vastes forêts, bien rare dans la Perse orientale. Un des sites les plus charmants est la campagne qui entoure la mosquée de Mahan ou Mahoun, à 26 kilomètres au sud-est de Kirman : le bel édifice décoré de faïences émaillées, sur lesquelles frissonne l'ombrage de platanes centenaires, recouvre les ossements de Nimet oullah, le « Nostradamus de la Perse ». Rayin ou Rayoum, situé plus au sud-est, entre le mont Djoupa et le Djamal Baris, est un énorme village aux maisons éparses au milieu des vignes et des noyers; un cercle de peupliers entoure chaque jardin; dans ce charmant village on ne voit pas une ruine, ce tableau presque inévitable dans toute agglomération urbaine de la Perse. Encore au milieu du siècle, tous les habitants de Rayoum vivaient dans un vaste fort, parfaitement conservé, qui couronne une hauteur voisine8.

1Mac Gregor, Journey through Khorassan.

2Floyer, Unexplored Baluchistan.

3Khanîkov, Mémoire sur la 1 ai-tic méridionale de l'Asie Centrale; — Floyer, ouvrage cité

4Goebel; — De Khanîkov, mémoire cité.

5Yule, The Book of ser Marco Polo.

6Yule; — Floyer, Unexplored Baluchistan.

7Gasteiger, ouvrage cité.

8Floyer, Unexplored Baluchistan.

Iran : le sud-est
Iran : Yazd
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