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Le blog de François MUNIER

L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1864). Les populations de la Perse

13 Mai 2018 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Iran

Pages 298 à 301

Il n'est pas de peuple que l'on puisse dire supérieur aux Persans pour la promptitude et la clarté de l'intelligence, pour l'aptitude à tous les travaux de l'esprit aussi bien que pour l'habileté dans tous les métiers, et pourtant l'influence actuelle de la Perse sur le reste de l'Asie est presque nulle : c'est aux siècles antérieurs qu'il faut remonter pour trouver l'origine des mouvements d'expansion qui pénétrèrent d'idées persanes les religions et les philosophies occidentales et qui donnèrent à la langue, à la littérature et aux industries de l'Iran une si grande part d'action dans les Indes et dans tout le monde musulman.

D'abord il faut tenir compte de ce fait important, que les Persans proprement dits ont décru en valeur numérique, comparativement aux autres habitants du plateau iranien, de l'Inde et de l'Asie Antérieure. On sait combien la population de l'Inde s'est accrue; de même, celle de la Transcaucasie s'est augmentée, tandis que celle de la Perse, autant qu'il est possible d'en juger en l'absence de toute statistique précise, a diminué depuis le commencement du siècle par l'effet des pestes, des famines et des invasions turkmènes, kourdes et baloutches.

En Perse, le nombre des maladies est moins grand que dans l'Europe occidentale, et quelques-unes de celles qui font le plus de victimes en Occident, telles que la tuberculose, le rachitisme, sont assez rares, mais les affections épidémiques sont toujours meurtrières1; là où elles ont passé, les vides se font pour des générations entières ; à cet égard, l'Iran présente les mêmes phénomènes que l'Europe du moyen âge.

La lèpre existe encore dans le Khamseh, entre Kasvin et Tabriz; dans le Laristan, presque tous les habitants, à l'exception des esclaves nègres, ont à souffrir du bouton d'Alep ou du ver de Médine, et dans le Dardistan, il est au moins une personne sur trois qui souffre d'ophthalmie. Le peste a fréquemment sévi en Perse et même c'est dans les montagnes des Kourdes de l'Azerbeïdjan qu'elle paraît avoir un de ses foyers d'éruption; en 1870, en 1878, elle éclata dans le district de Soudj-boulak et près de la ville de Bana, pourtant si charmante et si salubre à tous autres points de vue2. Le fléau frappe d'abord les tribus nomades avant de s'attaquer aux populations sédentaires, puis du pays kourde se propage vers le sud, se dirigeant constamment vers l'embouchure des fleuves3. Mais aucune maladie n'est plus redoutable dans l'Iran que celle de la faim. Nul doute que, lors des grandes disettes, la mortalité n'ait surtout frappé les Persans qui habitent les villes et les régions' du plateau insuffisamment arrosées; elle a fait proportionnellement moins de victimes parmi les autres races, Turcs, Kourdes, Louri, Bakhtyari, Kachkaï, qui vivent dans les pays montagneux, au bord des sources et des torrents, et parmi les tribus nomades, errant de pâturage en pâturage avec leurs bestiaux. Avant de reconquérir son influence à l'extérieur, la nation persane doit se reconstituer- elle-même, puis reprendre son travail d'assimilation sur les autres éléments ethniques de l'Iran.

Un deuxième fait, plus considérable dans ses résultats, devait diminuer l'influence de la Perse sur les nations de l'Asie Antérieure : son isolement presque complet au point de vue des communications internationales. Tout l'espace compris entre Tabriz et Bampour, entre Chouster et Meched, disparaîtrait soudain, que le nombre des voyageurs entre l'occident et l'orient -de l'Asie ne diminuerait pas d'un seul. Quoique, par la configuration du -continent, le plateau iranien semble être le lieu de passage obligé des Indes en Europe, et qu'en effet les grandes migrations d'hommes et d'idées s'accomplirent autrefois par cet « isthme médique », resserré entre-le bassin de l'Euphrate et la Caspienne, ce mouvement s'est entièrement arrêté. Les expéditions et les conquêtes de Nadir-chah, puis le reflux des Afghans et l'expulsion de ces étrangers sont les derniers conflits qui rappellent l'ancienne importance de la contrée comme terre de passage. De nos jours, la Perse, loin d'être l'intermédiaire des Indes et de l'Occident, est enfermée, pour ainsi dire, entre deux voies nouvelles, au nord celle que les .annexions russes ont ouverte à travers les steppes kirghizes et turkmènes. et au sud le chemin de la mer, suivi régulièrement par les paquebots côtiers. La question capitale pour la Perse est, sinon de redevenir la grande route aryenne, comme aux anciens âges, du moins de se rattacher au réseau des communications qui contournent son territoire. Mais cet indispensable progrès est accompagné lui-même de graves dangers pour une nation faible et environnée d'ennemis; ce n'est pas impunément qu'elle facilitera l'escalade de ses montagnes aux armées étrangères.

1Polak. Persien, das Land und seine Bewohner.

2Arnaud; — Mahé, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.

3Tholozan, Histoire de la peste en Perse et en Mésopotamie.

Bandar Abbas. Vue prise du large. Dessin de Th. Weber, d'après Mac Grégor (page 277)

Bandar Abbas. Vue prise du large. Dessin de Th. Weber, d'après Mac Grégor (page 277)

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