L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1864). Les communications
15 Mai 2018 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Iran
Pages 307 à 310
La capitale étant située dans le voisinage de la Caspienne et recevant par cette voie et par la Transcaucasie la plus grande partie de ses approvisionnements et de ses marchandises, aussi bien que ses visiteurs, il est naturel que les projets de routes, — et ils sont fort nombreux, — soient presque tous relatifs à la partie nord-occidentale, entre Teheran et la frontière russe; déjà même des concessions formelles de lignes ferrées avaient été faites, mais elles ont été retirées, et peut-être en partie à cause de la crainte des invasions futures. Néanmoins ces projets auront été vainement écartés; le jour viendra où la volonté du puissant voisin prononcera d'une manière définitive : quand les chemins dé fer de la Transcaucasie seront reliés eux-mêmes au réseau de la Russie d'Europe et se prolongeront dans la direction de la frontière persane, cette limite ne tardera pas à être franchie et les locomotives graviront les pentes du plateau. Sans doute les obstacles matériels sont considérables, et pour atteindre Teheran, dont l'altitude dépasse celle de toutes les villes françaises, à l'exception de Montlouis et de Briançon, il faudra franchir des seuils élevés; mais ce sont là des difficultés devant lesquelles ne reculent plus les ingénieurs. Dès que le sol uni du plateau sera conquis par les locomotives, il sera facile de ramifier la ligne de rails vers les cités importantes de l'Iran; même il ne serait pas impossible de continuer le chemin de fer jusqu'à l'Inde anglaise en lui faisant traverser dans tout son parcours des régions peuplées : des stations telles que Chahroud, Nichapour, Herat, Farah, Kandahar assureraient à la voie ferrée le trafic local, qui fera complètement défaut à tout chemin tracé plus au nord dans les steppes et les sables de l'Asie russe.
On a projeté la construction d'une autre ligne pour aborder la Perse. Partant de Bagdad, elle remonterait le cours de la Diyalah jusqu'à Khanikin, la dernière ville turque, puis elle suivrait par la vallée du Holwin l'ancienne « route royale » d'Alexandre; mais les travaux à faire pour franchir les chaînes bordières et gravir les pentes du plateau seraient des plus coûteux, et longtemps encore on reculera devant la formidable entreprise. L'œuvre urgente est de remplacer par des routes carrossables les mauvais sentiers qui montent de la plaine et de la mer vers les plateaux. Quatre chemins surtout seraient indispensables : celui de Bagdad à Hamadan, par le tracé de la « route royale », une voie de Chouster à Ispahan, prolongeant la ligne de navigation du Karoun1 et les deux montées de Bouchir et de Bandar-Abbas à Chiraz et à Kirman. Mais, disent les Persans, « les Européens n'auraient pas de routes s'ils avaient des chevaux comme les nôtres 2» et ils ne s'occupent nullement d'améliorer leur viabilité. Actuellement, le seul chemin carrossable, sans compter ceux qu'offre la surface unie des déserts argileux ou salins, est la route de Teheran à Kasvin, parcourue par les télègues russes. Autour de grandes villes, comme Ispahan, on ne voit pas une seule charrette, tandis que près de Khonsar elles sont d'un usage général3.
Tout le commerce de l'Iran se fait par le moyen de caravanes, qui se forment dans les cités du plateau, pour se rendre soit jusqu'à un autre marché considérable de la Perse, soit dans une cité de l'extérieur, comme Erzeroum ou Bagdad. Dans les, régions occidentales, où les routes sont tracées sur le flanc de montagnes abruptes, les marchandises sont transportées à dos de mulet on ne se sert de chameaux que pour les chemins relativement unis du plateau et des régions orientales. Mainte caravane se compose de plusieurs centaines d'animaux de charge, qui se suivent un à un, sous la conduite d'un cheval éprouvé, fier de sa bruyante sonnette qui retentit au loin dans le silence de la nuit. Il est rare que les voyages se fassent de jour, sous la chaleur du soleil : c'est à la clarté des étoiles que se font les étapes, d'une longueur moyenne de 30 à 36 kilomètres; le jour on se repose au bord des puits ou des mares, ou bien, dans les pays d'eaux et de verdure, sur les rives ombragées des ruisseaux. Sur les seize routes principales, dites « routes du chah », des relais ou tchaparkhané sont établis de distance en distance pour le service de la poste, et les voyageurs et leurs bêtes trouvent un abri en de vastes caravansérails.
1Dieulafoy, La Perse ouverte, Philosophie positive, mai—juin 1883.
2Polak, Persien, das Land und seine Bewohner.
3Stack, Six Months in Persia.
Presque tous ces édifices, dont quelques-uns sont de vastes dimensions et même de proportions architecturales, datent du chah Abbas; mais depuis cette époque on ne les a jamais réparés et leurs abords sont obstrués de décombres; la plupart des ponts élevés par l'ordre du même souverain sont devenus trop dangereux pour qu'on s'y aventure et l'on évite soigneusement les pavés disjoints, épars au milieu des fondrières.
Il est vrai que le temps a peu de valeur en Perse, et si la route est pénible, il en coûte peu de cheminer lentement : on voit fréquemment des vieillards entreprendre sans compagnon des voyages de plusieurs centaines de lieues avec autant d'insouciance que s'ils allaient visiter le hameau voisin1. Sur la voie la plus fréquentée, celle de Teheran à Recht, on met d'ordinaire sept jours à faire le trajet, d'environ 300 kilomètres. Il faut un mois pour se rendre à Bouchir, quarante jours pour atteindre Bandar-Abbas, deux mois pour aller jusqu'à la frontière baloutche, au delà de Bampour.
L'ensemble du commerce extérieur de la Perse est évalué à 150 millions de francs ; un droit fixe de 5 pour 100 est prélevé sur toutes les marchandises à l'entrée et à la sortie2; mais à cette taxe, la seule qu'aient à payer les étrangers, s'ajoutent pour les indigènes des impôts d'octroi et de douane intérieure : par cette bizarre fiscalité les négociants européens sont « protégés » contre leurs concurrents de la Perse3. A l'intérieur, les relations commerciales augmentent d'année en année, ainsi qu'en témoigne l'accroissement constant des télégrammes expédiés par les indigènes. Outre le télégraphe anglo-indien qui emprunte le territoire persan de Tabriz à Bouchir, le gouvernement iranien a fait rattacher par un réseau de fils toutes les grandes cités de l'empire4. La plupart des préposés aux bureaux télégraphiques sont des membres de la famille royale5.
1A. de Gobineau, Tour du Monde, 1860; — Floyer, Unexplored Baluchistan.
2Commerce de la Perse en 1880: 151 800 000 francs, dont un tiers à l'importation, deux tiers h l'exportation.
Droits de douane : 4 600 000 francs.
3Jane Dieulafoy, Tour du Monde, 1883.
4Lignes télégraphiques en 1881 : 5154 kilomètres.
5O'Donovan, The Merv Oasis.
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