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Le blog de François MUNIER

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (5)

20 Novembre 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (4)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (3)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (2)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (1)

 

reclus2Certaines régions, telles que le plateau d'Olti, auquel des montagnes élevées forment une barrière contre les vents humides, ont rarement la pluie qui serait nécessaire aux cultures ; comme dans les régions de la Transcaucasie du versant caspien, il faut capter les ruisseaux et les ramifier en mille fossés dans les terrains de labour. Mais la plus grande partie de l'Arménie méridionale, malgré la barrière des Alpes portiques, est soumise à l'influence des souffles pluvieux de l'ouest, qui se dirigent de la mer sur le plateau de Sivas, puis vont s'engouffrer dans les vallées occidentales, ouvertes en forme d'entonnoirs : c'est ainsi que toute la haute vallée du Kara sou, jusqu'au bassin d'Erzeroum, reçoit les vents de la mer Noire. Ils soufflent principalement pendant l'hiver et recouvrent de neiges épaisses l'amphithéâtre des monts autour des sources de l'Euphrate; en été, les vents du nord et de l'est, dérivation du grand courant polaire qui traverse le continent d'Asie, apportent un air sec qui dissout les nuages, mais il arrive aussi que de brusques tempêtes, provenant de l'ouest, se terminent par de violentes averses. En outre, les vents du sud-ouest, qu'envoie la Méditerranée, apportent aussi leur part d'humidité et déchirent leurs nuages aux escarpements; même par le beau temps, un léger brouillard adoucit les contours des monts et nuance le paysage de teintes délicates1. Sur le versant septentrional, l'excédent d'humidité que reçoivent les Alpes arméniennes forme des rivières, telles que le Tchorouk et le Kharchout, dont la masse est très considérable en proportion du bassin, et sur le versant méridional il alimente l'Euphrate et le Tigre, dont les flots réunis dans le Chat-el-Arab dépassent tout autre courant compris entre l'Indus et le Danube et même sont près de deux fois supérieurs au Nil. Dans le circuit atmosphérique et fluvial, c'est la mer Noire qui par les pluies et le lit de l'Euphrate, se déverse incessamment dans le golfe Persique.

Au bord du Pont-Euxin les villes jouissent d'une température moyenne assez douce. Rarement les froids de la côte descendent à 6 degrés au-dessous du point de glace, et l'influence modératrice de la mer empêche les chaleurs estivales de dépasser 25 degrés2. Loin de la mer, qui rapproche les extrêmes du climat annuel, les populations de l'Arménie turque souffrent alternativement de froids intenses et de violentes chaleurs. Il n'y a guère de printemps à Erzeroum; on y voit les neiges de l'hiver fondre en quelques jours, changeant soudain les torrents en larges fleuves; les extrêmes observés, du jour le plus froid au jour le plus chaud de l'année, sont de - 25 et de + 44 degrés. Des séries d'observations prolongées seront nécessaires avant que l'on puisse comparer sûrement ce climat à celui des contrées d'Europe et d'Asie qui sont déjà bien connues au point de vue météorologique3 : on a vu des différences de 33 degrés entre l'aurore et midi4. Les froidures hivernales, les gelées de printemps retardent la végétation, mais en été les plantes se hâtent de croître et de mûrir; la nature fait explosion, pour ainsi dire, aux mois de mai et de juin. Le froment parcourt toutes les phases de sa végétation entre la foliation et la maturité dans l'espace de deux mois, mais le soleil de l'été le brûlerait dans sa fleur si des canaux d'irrigation ne lui fournissaient l'humidité nécessaire. Jusqu'à 1800 mètres on cultive le froment, et à 2100 mètres d'altitude on voit encore des orges; mais à ces hauteurs les récoltes sont menacées par les brusques retours du froid, aux premiers jours de l'automne. En moyenne, les cultures s'élèvent moins haut dans les Alpes arméniennes que sur les pentes géorgiennes du Caucase, situées pourtant sous une latitude plus septentrionale. La forme des montagnes en est probablement cause : tandis que les chaînes de l'Arménie laissent pénétrer le vent du nord par de nombreuses brèches, le rempart uniforme du Caucase abrite les plantes qui croissent sur son versant méridional. Les aires végétales entrecroisent leurs limites suivant les climats locaux. C'est ainsi que dans les campagnes de Van croissent encore l'oranger et le citronnier, mais l'olivier ne peut y vivre5. En France, la zone de l'olivier est au contraire celle qui s'avance le plus vers le nord.

Dans le voisinage de la mer Noire, la végétation pontique ressemble à celle de la Mingrélie, sans l'égaler toutefois pour la variété des espèces et l'éclat des couleurs6. L'Arménie est un des pays de l'Asie Mineure où les arbres fruitiers donnent les produits les plus savoureux et où les botanistes croient avoir retrouvé la patrie d'espèces nombreuses, entre autres la vigne et le poirier; « le Lazistan, disent les indigènes, est la patrie des fruits7. » Dans la Turquie asiatique, il n'est pas de région plus verdoyante que celle des environs de Trébizonde : de la base au sommet, les collines, revêtues d'une couche régulière de terre végétale ou bien divisées en terrasses par les murs de soutènement, sont vertes de jardins, de prairies et d'arbres à feuillage persistant ou caduc. Les citronniers, les oliviers, entourent les villes et villages de la rive et plus haut viennent les noyers au large branchage, les châtaigniers, les chênes; de loin les azalées et les rhododendrons éclatent en nappes rouges sur les pentes des montagnes. C'est aux fleurs des azalées qu'on attribue l'action vénéneuse du miel qui enivra et frappa de folie les soldats de Xénophon. Le botaniste Koch n'a pu retrouver ce miel dans les régions caucasiennes, mais on le vend dans tous les marchés de la côte pontique entre Batoum et Orlon; les indigènes le soumettent à la cuisson et le mélangent avec du sucre pour le rendre inoffensif8.

Dans l'intérieur des terres, les montagnes de l'Arménie sont presque toutes dépouillées de végétation arborescente; on ne voit que rochers et pâturages. En ce pays qui pourrait être recouvert de forêts, maint district n'a d'autre combustible que la bouse de vache. Les oiseaux sont rares, à l'exception de ceux qui nichent dans les anfractuosités des rocs. Les fauves, qui appartiennent aux mêmes espèces que ceux des montagnes de Transcaucasie, manquent de retraites sur ces espaces nus ou gazonnés; presque toutes les pentes sont le domaine des bergers et de leurs moutons à grosse queue, gardés par des chiens à demi sauvages, plus dangereux souvent que l'ours ou le loup. Les chevaux qui paissent dans les prairies de l'Anti-Caucase et du Pont sont de belle race, mais ils le cèdent en force aux chevaux turkmènes et en grâce des mouvements aux animaux persans; quoique pleins de feu, ils sont toujours d'une extrême douceur. Du reste, les Kourdes, comme la plupart des autres habitants de l'Arménie et de l'Asie Mineure, préfèrent guider les animaux par la voix que par le fouet. Le buffle qui traîne le char n'est dirigé que par le chant; quand le conducteur se tait, l'animal s'arrête9. Les pâtis de l'Arménie turque, plus herbeux que ceux de la Perse à cause de la plus grande humidité de l'air et de l'abondance des sources, nourrissent des millions de bêtes qui servent à l'alimentation de Constantinople et des nombreuses cités de l'Asie Mineure. Millingen pense que le nombre des brebis éparses sur les pâturages compris entre l'Ararat et le golfe Persique n'est pas moindre de 40 millions. Au commencement du siècle, Jaubert évaluait à quinze cent mille les brebis que Stamboul recevait chaque année des montagnes de l'Arménie. Envoyées par troupeaux de quinze cents à deux mille têtes, elles passaient de croupe en croupe, en suivant constamment la région des pâturages et n'atteignaient le Bosphore que dix-sept ou dix-huit mois après le départ. Alep, Damas, même Beïrout, sont également approvisionnés de viande par les bergers de l'Arménie et du Kourdistan, et dans leurs campagnes les armées turques dépendent pour leurs vivres des habitants du haut Euphrate10.

1 Radde,Izv'estiya Kavkaskavo Otd'ela, 1878.

2 Climat de Trébizonde, dans les diverses saisons, d'après 6 années d'observation : 6°8, janvier; 24°3, août; 15°5, année. Extrême des mois, 29°9 à -2°6. Pluies 566 millimètres.

(Hann, Behm's Jahrbuch, lX, 1882.)

3 Climat d'Erzeroum pendant les diverses saisons (1987 mètres) :

  Hiver. Printemps. Été. Automne. Année.
D'après Tchihatclieff (3 années). -10°,8 9°,9 24°,5 10°,3 8°,45
» Malama (5 années). -4 10°,8 24°,2 7°,9 9°,72

 

4 Malama, Vilayet d'Erzeroum (en russe); — Radde, mémoire cité

5 Statkovskiy; Problèmes de la climatologie du Caucase.

6 A. Jaubert- — Carl Ritter, Asien, vol. X.

7 Koch, Wanderungen in Orient; — Carl Ritter, Asien, vol. XVIII.

8 Hamilton, Researches in Asia Minor; —Zeitschrift der Gesellschaft für allgemeine Erdkunde, Band IV Mahé, Géographie médicale, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.

9 Millingen, Wild Life among the Koords.

10 Jaubert, Voyage en Arménie et en Perse.

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