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Le blog de François MUNIER

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (4)

19 Novembre 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (1)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (2)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (3)

 

reclus2Le lac de Van, le Tosp des Arméniens, - d'où le nom de Thospitis que lui donnaient les anciens -, est de 536 mètres plus élevé que celui d'Ourmiah; son altitude est de 1625 mètres. Son étendue, évaluée à 3690 kilomètres carrés, est un peu moindre que celle de la mer de l'Azerbeïdjan, mais il a une profondeur plus considérable1; à 3 kilomètres à l'ouest de Van, la sonde ne touche le fond qu'à plus de 25 mètres2, et dans la partie méridionale du bassin le lit est beaucoup plus creux la contenance totale du lac de Van est certainement supérieure à celle du lac d'Ourmiah. Quant à la baie nord-orientale, qui s'avance à 60 kilomètres dans l'intérieur des terres, ce n'est guère qu'une nappe d'inondation, où les torrents forment au printemps de vastes deltas d'alluvions. D'après une tradition locale, cette baie était autrefois une fertile campagne où serpentaient deux rivières, et celles-ci se prolongeaient au sud-ouest vers Bitlis; on verrait encore sur l'ancien confluent un reste de pont recouvert par les eaux. Les renseignements recueillis par Jaubert, par l'Arménien Nersès Sarkisian, par Auriema, Loftus et Strecker, ne laissent aucun doute au sujet de changements considérables subis par le niveau de cette mer intérieure.. De 1838 à 1840, elle monta de 3 à 4 mètres. Les riverains racontèrent à Loftus qu'au commencement du dix-septième siècle l'eau s'était élevée de la même manière pendant quelques années, puis qu'elle avait baissé de nouveau. Des années de sécheresse exceptionnelle arrêtent les progrès des eaux, mais après un recul temporaire l'œuvre d'envahissement reprend avec plus de force. Plusieurs îles du littoral ont été recouvertes par le flot; d'anciennes presqu'îles, maintenant détachées, se changent en îlots, constamment réduits en étendue. La route qui longe le littoral du nord doit être, de génération en génération, reportée plus avant dans l'intérieur; la ville d'Ardjich, au bord de la baie nord-orientale, a presque entièrement disparu, et le bourg d'Adeldjivas, au nord du grand bassin, est menacé par la crue; de même, sur la rive orientale, la lisière du lac s'avance vers la cité de Van, qui en a déjà remplacé une plus ancienne; le village d'Iskella est en partie délaissé; les bateliers attachent leurs barques à des troncs d'arbres qui se trouvent maintenant loin du rivage; des puits, envahis par les eaux d'infiltration, ne donnent plus qu'un liquide saumâtre : peut-être est-ce à des invasions du lac qu'il faut attribuer les légendes relatives à de grandes cités ensevelies au fond des eaux. Quelle est la cause de cet accroissement, phénomène contraire à celui que l'on observe dans presque tous les autres bassins lacustres de l'Asie? A moins qu'un remous local des airs n'entraîne dans cette région plus de nuages pluvieux qu'autrefois, il faut admettre l'explication que donnent les riverains eux-mêmes : des fissures souterraines d'où s'échappent des sources abondantes vers les hauts affluents du Tigre, se seraient partiellement oblitérées, et le réservoir, recevant par les neiges et les pluies plus de liquide que n'en prennent l'évaporation et les émissaires souterrains, augmente en étendue jusqu'à ce que l'équilibre s'établisse ou que le trop-plein s'épanche au sud-ouest dans le torrent de Bitlis. Des bergers nomades, disent les indigènes, auraient roulé une grosse pierre à l'entrée de l'un des entonnoirs de fuite, analogues aux catavothres des lacs de la Grèce, et depuis ce temps le niveau s'élèverait graduellement, mais sûrement. Il serait intéressant de contrôler par l'observation directe les assertions des indigènes relatives à l'obstruction des gouffres et de constater tout d'abord si les sources signalées comme des effluents souterrains du lac lui ressemblent en effet, par la teneur saline. A l'orient de Van, un autre bassin, l'Ertchek, accroit son niveau3; cette crue de deux lacs voisins donne quelque probabilité à un changement du climat. L'Ertchek ressemble aussi au lac de Van par la teneur de ses eaux ; seulement, d'après Millingen, il contiendrait une très forte proportion d'arsenic; les champs inondés par ses crues sont stérilisés pour de longues années.

Quoi qu'il en soit, la masse liquide enfermée dans le bassin de Van a concentré le sel que lui apportent ses tributaires, et sans en contenir une aussi forte proportion que le lac d'Ourmiah, elle en renferme assez pour que ni hommes ni animaux ne puissent la boire : les troupeaux vont s'abreuver aux embouchures des rivières et les pêcheurs renouvellent leur provision d'eau potable en puisant à une fontaine qui jaillit. du fond et bouillonne à la surface. Moins salées que celles du lac de l'Azerbeïdjan, les eaux de la mer arménienne hébergent des espèces plus développées : aux embouchures des rivières on pêche en quantités considérables un poisson, que Jaubert croyait, à tort, être identique à l'anchois de la mer Noire; si abondant dans la rade de Trébizonde; c'est une ablette (cyprinus Tarichi), ainsi que l'a reconnu le naturaliste Deyrolle. Toutefois ce poisson ne vivrait pas dans les parties salines du bassin4 ; il ne se montre dans la couche supérieure que de mars au commencement de mai, époque où les eaux douces, provenant de la fusion des neiges, s'étalent au-dessus des eaux plus lourdes du lac; pendant tout le reste de l'année on n'en voit plus un seul ; tous ceux que n'ont pas dévorés les innombrables cormorans se sont réfugiés dans les ruisseaux tributaires. On croyait autrefois qu'ils se tenaient dans les profondeurs du lac5. Dans le bassin du Nazik, dont l'eau est douce pourtant, on aurait observé la même disparition annuelle des poissons6. Les résidus salins qui se forment sur la plage de Van, de même qu'autour du bassin d'Ertchek, consistent pour moitié en carbonate et en sulfate de soude, que l'on utilise pour la fabrication du savon et que l'on exporte jusqu'en Syrie7.

Les bateaux sont rares sur le lac de Van; cependant le voyageur Tozer l'a traversé récemment sur une embarcation de pêche accompagnée. de cinq bâtiments de charge. Les missionnaires américains de Van y lancèrent en 1879 un bateau à vapeur démontable, dont toutes les pièces avaient été envoyées de Constantinople à dos de chameau ; mais il ne paraît pas que l'entreprise ait réussi8.

L'existence même des lacs de Van, d'Ourmiah, du Goktcha de Transcaucasie et des nombreuses cavités lacustres du plateau d'Akhaltzikh, entre Kars et Tiflis, prouve que le climat des plateaux arméniens a sur celui de la Perse l'avantage d'être beaucoup plus humide. Tout le Lazistan et la région montagneuse qui avait reçu des anciens le nom de Pont se trouvent en effet sous l'influence de la mer Noire au point de vue météorologique. Les vents d'ouest et du nord-ouest dominent, apportant en abondance les pluies pendant les tempêtes d'été, les neiges durant l'hiver. La précipitation d'humidité est loin d'y être aussi considérable que sur les pentes méridionales du Caucase, dans la Mingrélie et l'Imérie, où la tranche annuelle de pluie dépasse 2 mètres; mais il est dans le Lazistan des vallées favorisées où les nuages déversent plus d'un mètre d'eau pluviale : d'après un missionnaire américain, la quantité de neige tombée à Bitlis, sur le versant méridional clos montagnes qui dominent au sud le lac de Van, aurait été de 5 mètres et demi pendant l'hiver de 1858 à 1859; c'est une épaisseur de neige qui représente plus de 40 centimètres d'eau. Quoique nulle observation précise ne permette de l'affirmer encore avec certitude, on peut évaluer à près d'un demi-mètre la quantité moyenne d'humidité que reçoivent les hautes terres de l'Arménie.

 

1 Monteith, Journal; — Carl Bitter, Asien, vol. IX.

2 Millingen, ouvrage cité.

3 Strecker, Mittheilungen von Petermann, no VII, 1863.

4 Ernest Chantre, Notes manuscrites; — Fanshawe Tozer, ouvrage cité.

5 A. Jaubert, Voyage en Arménie et en Perse; — Millingen, ouvrage cité.

6 Layard, ouvrage cité.

7 Deyrolle, Tour du Monde, 1er semestre 1876

8Fanshawe Tozer, ouvrage, cité

Lac de VAN. Baie de TADWAN et Mont de NIMROUD  Dessin de Slom, d'après une photographie du capitaine Barry (Mission de M. Chantre)

Lac de VAN. Baie de TADWAN et Mont de NIMROUD Dessin de Slom, d'après une photographie du capitaine Barry (Mission de M. Chantre)

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