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Le blog de François MUNIER

Géographie de l'Arménie. Élisée Reclus (2)

3 Juillet 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie

Le massif de l' Ararat, « centre historique du plateau d'Arménie, » et pic central du faîte de plateaux et de hautes terres qui se prolonge à travers l'Ancien Monde, du cap de Bonne-Espérance au détroit de Bering1 s'élève sur le prolongement oriental de la chaîne volcanique d'entre l'Araxe et l'Euphrate; mais de sa masse conique, blanche de neiges et rayée de scories noires, il domine de si haut les autres montagnes qu'elles semblent lui faire cortège comme à un maître, et que les collines et les plateaux accidentés s'étendent en plaines à sa base. Le nom même d'Ararat, probablement d'origine araméenne, est synonyme de hauteur par excellence, et la dénomination arménienne de Masis, qui est la vraie, puisque le mont s'élève sur le sol d'Arménie, présenterait également le sens de « Grand » ou de « Sublime2». Les Turcs donnent à l' Ararat le nom d'Agri-dagh ou « mont Escarpé » (Arghi-dagh, mont de l'Arche), tandis que les Persans l'appellent Koh-i Nouh ou la « Montagne de Noé3 ». Il était naturel que cette montagne superbe, isolée dans sa gloire, plus fière que les Olympes des Hellènes, fût considérée par les habitants de la vallée de l'Euphrate comme un sommet divin et qu'on en fit dans les mythes orientaux la cime sacrée d'où les hommes et les animaux descendirent pour peupler le monde. Les Arméniens montrent encore de loin l'endroit précis où s'arrêta l'arche de Noé, après avoir flotté à « quarante coudées au-dessus du sommet des plus hautes montagnes ». Des génies armés d'une épée flamboyante veillent sur le navire sacré, vert comme le gazon des pentes4.

Vu de Nakhitchevan, le Masis apparaît comme une seule masse conique se dressant au nord-ouest ; mais de Bayazed, au sud, et d'Erivan, au nord, on voit bien que le massif se compose de deux montagnes distinctes, alignées suivant la direction du Caucase. Le Grand-Ararat élève sa double pointe au nord-ouest ; le petit-Ararat arrondit sa cime au sud-est, séparé du géant voisin par une dépression profonde5. L'ensemble des deux cimes coniques avec leurs contreforts occupe, entre les deux plaines de Bâyazed et d'Erivan, une superficie d'environ 960 kilomètres carrés. Les pentes en sont presque partout assez douces, comme celles de l'Etna, mais çà ou là des coulées de laves, et plus haut les neiges, presque toujours ramollies en été par la chaleur, rendent l'ascension très pénible aux voyageurs. Les Arméniens racontent même les prodiges qui avaient souvent arrêté des pâtres impies tentant de gravir la montagne, « la Mère du Monde », et les tentatives infructueuses de Tournefort et de Morier leur donnaient gain de cause.

Lorsque Parrot6 eut définitivement escaladé le sommet du Masis en 1829, ils nièrent unanimement que l'exploit ait été accompli et réussirent pendant longtemps à jeter un certain doute sur les affirmations de ce savant, que, depuis, d'autres gravisseurs ont imité avec succès. En 1850, Khodzko passa cinq jours entiers sur la cime pour y poursuivre ses travaux de triangulation du Caucase. De là il visait au sud-est le Savelan, à 540 kilomètres de distance, au nord-ouest l'Elbrous, à 440 kilomètres, et correspondait au moyen de signaux héliotropiques avec d'autres astronomes établis sur l'Akh-dagh, au milieu du plateau de Gok-tchaï.

A la hauteur de 5475 mètres, les pentes de la montagne sont encore entièrement revêtues de végétation, mais à 3750 mètres les graminées s'arrêtent ; de 3960 mètres, et jusqu'à la limite des neiges persistantes, supérieure à 4300 mètres, on ne rencontre plus que les variétés de la flore des hautes Alpes d'Europe7. Les espèces du haut Ararat sont toutes identiques ou congénères à celles des sommets alpins; mais elles sont moins nombreuses. Ainsi , pour 49 variétés que l'on trouve sur le Faulhorn, on n'en rencontre que 31 dans la zone correspondante de l'Ararat, ce qui doit être attribué sans doute à la plus grande sécheresse de l'air sur la montagne de l'Arménie8. Quant à la faune de cette montagne d'où les mythes orientaux ont fait descendre tous les animaux, elle est relativement très pauvre; le loup, la hyène, peut-être la panthère, parcourent les fourrés de la base dans le voisinage de l'Araxe; mais sur les pentes mêmes du Masis on ne rencontre que le bouquetin tour, une fouine et une espèce de lièvre : on n'y voit pas même de chauves-souris.

Quoique sous une latitude de 5 degrés seulement plus méridionale que celle des Pyrénées, l'Ararat est beaucoup plus tôt débarrassé des neiges dans la partie inférieure de ses pentes, et c'est à 4220 mètres d'après Wagner, à 4370 mètres d'après Parrot, soit à un kilomètre et demi au-dessus de la ligne correspondante des Pyrénées, que se trouve la limite inférieure des neiges persistantes. C'est à son isolement, qui l'expose à toute la force des rayons solaires réfléchis par le plateau inférieur et à l'action évaporatrice des vents, que le haut volcan de l'Arménie doit de montrer ainsi ses escarpements de lave noire jusqu'à moins de mille mètres du sommet; toutefois la neige descend- beaucoup plus bas dans les ravins d'érosion qui échancrent les flancs de la montagne : d'en bas, on dirait une sorte de collerette à pointes régulières. Dans mainte gorge, ces névés prennent nue texture cristalline et se changent en véritables glaciers, les seuls de l'Arménie qui descendent jusqu'au-dessous de 3000 mètres d'altitude : le principal, au nord-ouest de la montagne, est celui de Saint-Jacques, dont le cirque est formé certainement par une explosion antérieure de l'Ararat, analogue à celle du val del Bove sur les flancs du Mongibello9 3. A une époque géologique antérieure, les glaciers de l'Ararat s'étendaient beaucoup plus bas : on le reconnaît aux stries glaciaires et aux surfaces polies des roches trachitiques. -En certains endroits, les parois moutonnées ont été si bien rabotées par le passage continu des glaces, qu'elles en ont pris le brillant du métal et répercutent en rayons éblouissants la lumière du soleil10.

1 Carl Ritter, Erdkunde, Asien, vol. X

2 Vivien de Saint-Martin, Recherches sur les populations primitives du Caucase.

3 Carl Ritter, volume cité.

4 James Creagh, Armenians, Koords and Turks.

5 Altitudes de l'Araxe et des plaines voisines :

Grand-Ararat 5160 mètres. Bayazed (citadelle) 2043 mètres

Petit-Ararat 3596 mètres Etchmiazdin 865 mètres

Col intermédiaire d'après Abich 2706 Erivan 985 mètres

6 Reise zum Ararat.

7G. Radcle, Zapiski kavkazskavo Otd'ela Roussk. Geogr. Obtchtchestva, t. I, n, 2.

8Statkovskiy, Problèmes de la climatologie du Caucase.

9Abich, Beiträge zur Kenntniss des russischen Reiches.

10 Moritz Wagner, Reise nach dem Ararat.

Ararat

Ararat

Dessin de Fr. Schrader, d'après Khodzko. — Gravure communiquée par le Club alpin. Mont Ararat vu du Nord-est

Dessin de Fr. Schrader, d'après Khodzko. — Gravure communiquée par le Club alpin. Mont Ararat vu du Nord-est

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