Souvenirs de Madeleine Mathis. Année 1944.
Peu de temps après les événements, Madeleine Mathis (1913-2006) écrivit ses souvenirs des combats de la Libération en 1944. Elle habitait alors à la ferme de Boutangrogne (Laître-sous-Amance, Meurthe-et-Moselle). J’ai respecté l’orthographe mais aménagé la ponctuation.
Le notes en bas de page sont de moi.
Dimanche 9 septembre1 au matin.
1944 La bataille.
Nancy est reprise par les américains2. En nous levant de bonne heure nous avons eu la surprise de trouver 50 vélos dans la cour. Ce sont des SS. Dangereux individus. Ils entrent dans la cuisine et un gradé plante son grand couteau dans la table. Un parent mange un morceau de viande, un soldat lui prend brusquement et le mange à sa place… Il pleut. Les soldats de télécommunication, des autrichiens. Les autrichiens étaient là depuis 8 jours. Ils veulent fuirent. Mais leurs camions sont embourbés dans les vergers et la côte est dure. Il fallut des tracteurs pour les faire partir. Les hommes de combat font leur trou individuel et se place prêts à combattre, pour prudence ils mettent une feuille de choux sur leur casque. C’était un dimanche triste, ces combattants étaient au bout de leurs forces, mais enfin ils nous ont épargnés. Certains pleuraient, d’autres arrivaient affamés, l’un d’eux a mangé un plein gros saladier de P de T. que j’avais fait cuire pour les porcs. Je ne peux pas dire que nous n’avions pas peur. Nous étions 22 civils à la cave3, plus deux compagnies d’allemands. Nous avions installé nos matelas sur des tonnes de pommes de terre, c’était un bonne année. Un officier m’a appelée dans la cour, il avait son revolver dans la main, car mon chien leur interdisant de toucher à quelque chose. C’était un gros bleu d’Auvergne. Il m’a demandé son pedigré !! Mais il faillait l’enfermer car il était prêt à le tuer. J’ai enfermé le chien avec les poules. Pour dormir, nous gardions les brodequins aux pieds. Afin d’être prêtes à toutes éventualités de départ brusques, car les canons tiraient sans cesse et les obus ne cessaient de passer par dessus la maison. De toutes façons, ils passaient dans tous les sens. Les américains au sud, ayant pris Nancy, et les allemands tenant encore le plateau d’Amance, et là au rythme des arrivées et des départs. Nous avons bien dormi, comme quoi on s’habitue à tout, surtout lorsqu’on est usé de fatigue.
1dimanche 9 septembre 1945, date de la rédaction de ce texte
2 Les troupes américaines (Armée Patton) sont entrées dans Nancy le vendredi 15 septembre 1944.
3 La cave de la ferme de Boutangrogne était exceptionnelle : cave voûtée de 20 mètres de longueur.
Libération de Nancy. L'Écho d'Alger, 16 septembre 1944
L'Écho d'Alger 16 septembre 1944 - (16-septembre-1944)
Lyon. - Après avoir exprimé l'espoir que les épreuves subies par la France n'aient pas été supportées en vain, le général de*- Gaulle a déclaré hier, à Lyon : " Nous savons bien que ce n...
https://www.retronews.fr/journal/l-echo-d-alger/16-septembre-1944/30/1295485/1
Ce duel au canon dura une semaine. Pendant les quelques heures ensoleillées nous écoutions le bruit du moteur de l’avion de reconnaissance et les soldats ne bougeaient pas : ils avaient planté des rames de haricots afin de cacher l’entrée de la maison. Il y avait un major qui était très correct.
Enfin le 14 fut une terrible journée. Au village il y avait 2 caves pour ainsi dire presque voisines1. Une occupée par l’état-major, et dans l’autre était réfugiée 72 personnes, autant dire toute la population du village. Notre maison étant située sur le versant sud du plateau, nous étions seuls à mi-côte. Depuis la veille les allemands avaient tout miné autour de la maison, caché des mines en bordure de route, et mis des fils dans tous les sens avec tous les vieux engins qu’ils trouvent dans la maison. Dans l’après-midi2, ce fut le drame, les avions américains sont arrivés presqu’en piqué et les bombes tombèrent, deux à cent mètres de la maison et d’autres tombèrent sur le village en anéantissant la cave de l’état-major, dont il ne restait que des cadavres. En se sauvant, ils nous avaient pris une jeune jument, toujours avec la revolver à la main. Au village, un seul civil3 est mort pour avoir voulu voir les avions. Les civils que nous avions hébergés et nourris sont partis sans dire ni merci ni au revoir, seulement en disant entre eux : filons, tout va sauter. Et c’est notre curé4, ancien officier tirailleur, qui avec courage a tout déminé et coupé les fils.
1 En haut de la rue Saint-Charles, à droite en montant vers la « Porte en haut ». Les ceux caves étaient séparées par un mur très épais, un reste des fortifications médiévales d’Amance.
2 21 septembre 1944
3 Paul Simon
4 René Monzain
Donc, nous heureux d’être libérés, et apercevant l’avion de reconnaissance nous avons pris des morceaux de linge blanc et nous avons fait des signes afin de signifier le départ en déroute des allemands. Et comme la soirée s’annonçait calme nous reprenions courage mais toutefois nous avions l’intention de rester encore cette nuit dans la cave. Vers 10 h du soir, nous sommes surpris par de gros coups donnés dans la porte. Là nous avons eu très peur car nous avions devant nous trois soldats allemands avec leurs armes, mais les pauvres cette fois n’avaient nulle envie de nous faire du mal. Ils voulaient savoir par quelle route étaient partis leurs camarades. Soulagés !! Après les avoir renseignés, nous avons respiré, mais quelle peur nous avions eu.
Le dimanche suivant, le matin, je suis montée au village, c’était le grand silence qui régnait. Les grillages qui délimitaient les jardons n’existaient plus. il ne restait que les traces des chenilles des charts dans tous les sens. Il avait fallu faire un grand trou derrière le cimetière, et une équipe d’hommes courageux ramassait les morts et parfois des morceaux de morts, jambes ici, bras là-bas et tête ailleurs, et tous cela pêle-mêle dans le même trou. Tout ceci répandait une odeur atroce ! Ensuite ce sont les américains qui prirent position au village. Il n’y avait plus un seul vitrail à l’église, et chaque fois que nous voulions rentrer à Amance, il nous fallait monter notre chapelet. Le samedi matin, notre père montant sur la masse de foin se trouve face à un soldat qui s’était caché, c’était un polonais qui sitôt a donné son fusil, et notre père l’a remis aux américains comme prisonnier.. Le garçon était heureux de s’en être tiré ainsi et la semaine suivante s’est passée à peu près dans le calme. Mais dans la soirée du samedi nouveau bombardement surprise par un char allemand mobile qui s’est très vite retiré. Tandis que sur le plateau d’Amance, la célèbre armée Patton se préparait à foncer vers Metz et Strasbourg. Pour nous les civils, nous nous attendions à quelques éventuels se ???. Mais arrivaient les offices de novembre, j’étais organiste, un de mes parents avait remplacé les vitraux par des planches, et comme les canons se tenaient en alerte permanente sur le versant nord du plateau, régulièrement il y avait le départ d’une grosse pièce d’artillerie de chart, ce qui fait que pendant l’office de la Toussaint deux garçons qui qui veillaient à ce que les portes de l’église qui s’ouvraient à chaque départ de pièces qui tiraient vers l’est, étaient dans l’obligation de refermer cette porte. L’église était pleine quand même, tous les paroissiens étaient là, comment quoi la peur est le commencement de la sagesse, ensuite nous avons eu une semaine de relative sécurité. Mais le samedi soir terminant cette semaine, pendant le souper, nous avons entendu à nouveau siffler les obus, lancés par un chart mobile afin de jeter ses derniers feux, et vite nous sommes redescendues à la cave pour 2 ou 3 nuit. C’était plus sage.
Sur la route entre Nancy et Amance, il y a le Pain de sucre (une butte-témoin) et le village d’Agincourt. Les combats furent très violents.
Un officier américain a déclaré peu après que son unité avait perdu plus d'hommes là que pour la prise de Saint-Malo (témoignage Paul Munier)