La Caucasie russe. Élisée Reclus (5)
28 Août 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie
L'ensemble du commerce extérieur de la Transcaucasie ne permet pas encore d'espérer que le mouvement des voyageurs et des marchandises puisse de longtemps payer les dépenses .des voies internationales de la Caucasie à l'Asie Mineure et à la Perse. En 1878, tous les échanges dit territoire caucasien, à l'importation et à l'exportation, s'élevaient à douze millions de roubles environ : ce n'est pas même quatre roubles par tête1.
Quoique la Perse communique plus facilement avec l'Europe par là voie du Nord que par les autres routes, cependant le mouvement de ses échanges avec la Transcaucasie et le port d'Astrakhan n'est, pas même de cinq millions de roubles. C'est à elle que revient la plus forte exportation, consistant principalement en fruits.
La Caucasie n'a pas encore l'unité matérielle que donne la possession d'un réseau de voies ferrées et d'entrepôts de commerce; elle a bien moins encore cette unité morale qui provient de l'existence d'une nationalité commune ou bien d'un concert de nationalités ayant les mêmes intérêts et les mêmes espérances. L'instruction est aussi trop peu répandue pour que les jeunes gens des diverses nationalités aient du moins cette confraternité que donne la connaissance des mêmes idées et des mêmes faits. Cependant de grands progrès ont eu lieu à cet égard, et dans mainte école on voit maintenant l'Arménien assis à côte du Tartare et le Russe à côté du Grousien2. En outre, un grand nombre de familles riches, ou même seulement aisées, envoient leurs enfants faire leurs études à l'étranger : en 1879, on ne comptait pas moins de 28 Arméniens dans les divers établissements scolaires ou universitaires de Zurich. Un grand obstacle à l'instruction commune des jeunes gens de la Caucasie provient, non seulement de la variété des langues, mais aussi de celle des alphabets. Les Abkhazes, les Osses, les montagnards du Daghestan n'ont pu apprendre à lire, tant que Lhuillier, Sjögren, Schiefner, Ouslar, Zagourskiy n'eurent pas inventé des alphabets, reproduit par un signe chacun des cinquante sons de leurs diverses langues. C'est au Caucase, plus que partout ailleurs, qu'il importerait de posséder cet alphabet universel déjà proposé par Lepsius en 1852 et depuis, sous d'autres formes, par Bell, Coudereau et tant d'autres savants3.
On sait que le Caucase est le pays des religions comme celui des langues. Le paganisme y subsiste encore sous diverses formes parmi les tribus des montagnes. Les deux grandes sectes du mahométisme s'y rencontrent : sunnites et chiites, se distinguant les uns des autres à la coupe de la chevelure et de la moustache, et à diverses pratiques, entremêlent leurs communautés dans la Caucasie orientale, surtout dans le gouvernement de Bakou4. La contrée a ses juifs, ses israélites convertis et ses chrétiens judaïsants. Orthodoxes grecs, Arméniens grégoriens, Arméniens unis dominent parmi les chrétiens; mais les sectaires sont aussi fort nombreux, beaucoup plus que ne l'indiquent les recensements officiels5. Les molokanesi surtout ont, d'importantes colonies, dans le gouvernement de Stavropol, près de Tiflis, sur le plateau d'Akhałkalaki, dans la steppe de Mougan, et maintenant ils se répandent dans les territoires annexés. Les diversités nationales et religieuses ont eu pour conséquence nécessaire une manière différente de concevoir et de pratiquer le droit. Aussi, malgré tous ses efforts, le gouvernement russe a-t-il dû renoncer, du moins pour un temps, à imposer une jurisprudence unique, et chez les montagnards musulmans se maintiennent encore les deux codes, le code religieux ou chariat, fondé sur le Coran, et le droit coutumier ou adat. Le chariat est appliqué seulement dans les questions religieuses, de famille et d'héritage, tandis que l'adat règle les affaires ordinaires de propriété et les questions d'intérêt communal. Le jugement d'après l'adat se fait sur la place publique, par des juges élus; certains villages, devenus célèbres par une administration scrupuleuse de la justice, ont été choisis par la coutume comme de véritables cours d'appel, et c'est à eux qu'on s'adresse dans les cas douteux6.
Presque tous les montagnards du Caucase ont gardé la haine des vaincus contre les vainqueurs et se rappellent avec orgueil les temps de l'ancienne indépendance. Parmi les habitants de la plaine, les uns, comme les Nogaï, les Tartares, les Tates, savent que leurs frères de race et leurs coreligionnaires sont en dehors des limites de l'empire russe et ils se disent étrangers dans leur propre patrie ; d'autres, comme les bergers kourdes, ne sont que des immigrants nomades, prêts chaque jour à plier leur tente. Les Géorgiens se croient destinés à servir les Russes plutôt qu'à devenir leurs égaux, et les Arméniens, assujétis politiquement, cherchent à se faire les maîtres de tous par la force de l'argent. Les envahisseurs slaves, quoique déjà les plus nombreux relativement, n'ont point encore donné de cohésion politique à l'ensemble des races. Leur prépondérance est surtout militaire, et la Caucasie est pour eux aussi bien une place de guerre qu'un pays de colonisation.
1 Commerce extérieur de la Transcaucasie, en 1878 :
Mer Noire. | Caspienne. | Routes continentales. | |
Exportation. | 4 575 050 roubles. | 1 349 550 roubles. | 554 500 roubles. |
Importation. | 1 418 400 roubles | 1 931 000 roubles | 2 666 100 roubles |
Ensemble | 5 995 450 roubles. | 5 280 050 roubles. | 5 000 400 roubles. |
2 Principaux établissements d’instruction publique en Caucasie :
École d'aides-médecins à Tiflis; deux écoles normales, institut de jeunes filles à Tiflis;
Quatre gymnases : Tiflis, Stravropol, Vładikavkaz, Yeïsk;
Six progymnases :Tiflis, Koutais, Erivan. Yelizavetpol, Patigorsk, Temir-Khan-Choura,
Trois écoles techniques : Tiflis, Bakou, Vładikavkaz
3 Zagourskiy Sbornik Sv'ed'eniy o kavkazskikh Gortzakh, vol. V. 1871.
4 Musulmans du gouvernement de Bakou en 1875 :
Chiites, 270 787; Sunnites, 206 121 (N. von Seidlitz).
5 Raskolniks du Caucase d'après le recensement de 1873 :
Ciscaucasie 24 722
Transcaucasie. 50 024
Ensemble . 54 746
6 Komarov, Sbornik Sv'ed'eniy o kavkazskikh Gortzakh, I, 1868.
i « buveurs de lait», qui se sont séparés de l'Église orthodoxe russe au XVIème siècle.
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