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Le blog de François MUNIER

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (6)

26 Novembre 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie

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L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (3)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (2)

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (1)

Les habitants du Pont, de l'Arménie turque et du Kourdistan, évalués à plus de deux millions d'individus1, appartiennent en grande partie aux mêmes races que les populations de la Transcaucasie : ethnologiquement, les deux contrées limitrophes ont la même unité qu'au point de vue géographique. De part et d'autre, quoique sous différents noms, vivent des Géorgiens; Erzeroum la turque est arménienne comme Erivan la russe; des pasteurs kourdes mènent leurs troupeaux sur les bords du Goktcha aussi bien que sur ceux du lac de Van : la frontière politique n'est point une limite naturelle entre les peuples. Il est vrai que des migrations en sens inverse, qui n'étaient pas toutes spontanées, ont eu lieu d'un territoire à l'autre lors de chaque nouvelle conquête de la Russie. C'est ainsi que de 1828 à 1850 plus de cent mille Arméniens de Turquie et de Perse, espérant trouver la liberté en pays chrétien, allèrent demander asile au gouvernement russe et reçurent les terres abandonnées par les émigrants kourdes et tartares, qui, de leur côté, avaient fui en pays mahométan. De même, depuis 1877, des échanges de population se sont faits entre l'Arménie turque et les provinces annexées à la Transcaucasie russe. Les Turcs d'Ardahan et de Kars ont suivi vers Erzeroum et Sivas la retraite de leurs armées, ceux d'Artvin se sont dirigés vers le plateau de Van, tandis que des Haïkanes du haut Tchoroukh, d'Erzeroum, de Van venaient prendre, autour des forteresses moscovites, les places laissées vacantes. Dans l'ensemble, c'est l'empire ottoman qui a le plus gagné à l'échange; les musulmans ne veulent plus vivre sous la domination russe et vont rejoindre leurs frères, tandis que nombre d'Arméniens de la Turquie redoutent encore moins la brutalité des pachas que les tracasseries de l'administration moscovite2. Les invasions russes ont eu pour résultat principal de transformer l'Arménie en Turkestan3.

Cependant ces changements considérables dans l'équilibre des éléments ethniques, changements qui furent accompagnés d'une effrayante mortalité, causée par la famine, les fièvres, la nostalgie, sont loin d'avoir produit une délimitation ethnologique coïncidant avec le tracé conventionnel de la frontière. On comprend quels avantages diplomatiques et militaires la contiguïté de populations d'une même origine donne au gouvernement russe en cas de conflit avec la Porte. Au nom de ses sujets, les Grousiens de Transcaucasie, il peut s'immiscer dans les affaires des Grousiens de Trébizonde; comme maître des bergers kourdes, il lui serait facile de revendiquer la surveillance de ces nomades d'un territoire à l'autre; mais surtout comme protecteur des Arméniens, comme possesseur de la ville sainte d'Etchmiadzin, il serait dans son rôle politique en demandant des réformes et l'autonomie administrative pour les frères de ses protégés. Dans la Turquie d'Europe, il a pu élever sa puissante voix en faveur des Bulgares et leur faire attribuer un territoire s'étendant jusqu'auprès du golfe de Salonique; de même, survienne l'occasion propice, il sera tout armé d'un prétexte d'intervention pour les communautés arméniennes éparses de la vallée d'Erzeroum jusque sur le versant du golfe d'Alexandrette, en face de Chypre, la nouvelle conquête de l'Angleterre. Quant à la Grande-Bretagne, elle ne saurait songer à garantir d'une manière efficace les frontières actuelles de l'empire ottoman contre les Russes ; si elle a mis le gouvernement turc en demeure d'assurer l'ordre dans ses provinces anatoliennes, c'est afin d'avoir un prétexte pour retirer sa promesse imprudente de protection ; elle menace parce qu'elle ne peut plus agir.

 

1 Population des vilayets de Trébizonde, d'Erzeroum et de Van en nombres approximatifs, d'après Yerizov, Mordtmann, etc. :

Turcs et Turcomans. . . . . 800 000 hab.

Lazes                                    100 000 hab.

Arméniens.                          600 000 »

Tcherkesses .                        50 000 »

Kourdes                                450 000

Turcs.                                      50 000

Autres                                      20 000 hab.

 

2 Mouvement dans le territoire annexé à la Russie, de 1878 à 1881 :

Immigration   21 850

Émigration.    87 760

Perte               65 870

3 Palgrave, Notes on Eastern Questions.

L'Arménie occidentale. Élisée Reclus (6)
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