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Le blog de François MUNIER

Loi sur la fin de vie : derrière le souci de la « mort digne », une nouvelle attaque validiste (Révolution permanente)

21 Mai 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Actualité

Je ne partage pas toutes les analyses de "Révolution permanente", loin de là, mais leur position sur ce sujet est juste et mérité d'être connue.

Le débat sur la loi fin de vie s’est rouvert ce lundi 12 mai à l’Assemblée nationale. Derrière le paternalisme des parlementaires et le discours sur la « mort digne », un texte de loi qui ignore volontairement les inégalités sociales et qui pourrait conduire des patients à demander la mort, non pour échapper à la maladie, mais à la pauvreté.

Mathilde Teni et Maddi Ordoki

19 mai

Il y a plus d’un an, Macron annonçait le projet de loi sur la fin de vie, dont l’examen fut ensuite interrompu à la suite de la dissolution de l’Assemblée en juin dernier. Le 9 avril, Bayrou a proposé de scinder le texte en deux parties, une première consacrée aux soins palliatifs suivie d’une seconde sur les critères encadrant l’aide à mourir. Depuis le lundi 12 mai, le débat sur les deux lois est en cours à l’Assemblée et les votes sont prévus à la fin du mois.

Comme lors du premier examen, l’an dernier, la loi suscite un débat intense, dans l’Assemblée comme au sein de la population. Macron affirme qu’il est temps de regarder la mort en face et de permettre de mourir dignement. Mais alors qu’il brandit ce discours humaniste, l’État et le gouvernement masquent les conditions de vie indignes qu’ils imposent aux personnes malades, handicapées et âgées. Bien que la proposition de loi soit soutenue par la quasi-totalité de la gauche de l’Hémicycle, tous les collectifs de personnes handicapées et malades ne cessent d’alerter sur les dérives d’une telle loi.

Un cadre rigoureux n’empêchera pas l’extension de la loi : l’exemple des autres pays doit nous alerter

Depuis plus d’une semaine, les députés débattent de deux propositions de loi : l’une relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs, l’autre concernant la fin de vie. Plus précisément, cette dernière vise à légaliser le suicide assisté et l’euthanasie. Dans le cas du suicide assisté, la personne effectue elle-même le geste létal, tandis que l’euthanasie implique qu’un tiers réalise ce geste.

Les personnes éligibles à cette aide devront satisfaire plusieurs critères : être majeur, avoir la nationalité française ou être résident en France de façon stable et régulière, être apte à manifester leur volonté de façon libre et éclairée, être atteint d’une maladie grave et incurable qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale, et/ou victime de souffrances réfractaires aux traitements (qu’on ne peut pas soulager) ou jugées insupportables.

À ce jour, la loi Claeys-Leonetti permet déjà de limiter l’acharnement thérapeutique. Elle autorise la sédation profonde et continue jusqu’au décès, pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme. Aujourd’hui, cette loi est jugée insuffisante par les défenseurs de la loi fin de vie, car elle ne répondrait pas pleinement aux attentes des malades et ne permettrait pas une mort digne.

La nouvelle loi proposerait ainsi d’élargir le champ d’application de la loi : des patients dont le pronostic vital n’est pas forcément engagé à court terme pourraient avoir la possibilité de recourir au suicide assisté, ou à l’euthanasie s’ils ne peuvent pas effectuer le geste eux-mêmes. Les défenseurs de cette loi garantissent qu’un encadrement strict suffira à prévenir toute dérive. Cependant, certains points soulèvent des inquiétudes, notamment le rejet en commission d’un certain nombre d’amendements, qui visaient à exclure du périmètre de la loi les personnes « atteintes d’une déficience intellectuelle », « dans un état de faiblesse ou de vulnérabilité psychologique susceptible d’altérer le jugement », ou encore lorsque le médecin a « un doute sur le caractère libre et éclairé de l’expression du patient », lui permettant de « saisir un psychiatre ».

En février dernier, Révolution Permanente avait donné la parole à Elisa Rojas, militante antivalidiste, qui expliquait la logique validiste et eugéniste qui se cache derrière cette loi. Elle prenait parmi de nombreux exemples la législation canadienne sur l’aide à mourir datant de 2016, rappelant qu’il n’avait fallu que cinq ans pour que l’assistance au suicide, initialement réservée aux « malades dont la mort est raisonnablement prévisible », soit élargie aux personnes « souffrant d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave ».

Un an avant cet élargissement du périmètre de l’aide médicale à mourir, un rapport parlementaire estimait qu’une telle extension entraînerait des économies de 149 millions de dollars canadiens, témoignant ainsi de l’objectif économique effroyable qui se cachait derrière la législation. En outre, les termes employés dans le nouveau texte de loi sont flous et permettent in fine de remplacer l’accès aux systèmes publics par la mort pour les patients les plus « coûteux ».

Left Voice, organisation sœur de Révolution Permanente aux États-Unis, a publié des témoignages accablants qui montrent que les changements apportés par cette loi ont conduit des patients à demander la mort non pour échapper à la maladie mais à la pauvreté : « Plutôt que d’accroître la liberté et la dignité des patients, MAiD (l’aide médicale à mourir) a exposé les profondes failles au sein de l’infrastructure sociale canadienne. Le système en place pour ces patients vulnérables est tellement inaccessible et sous-financé que la mort devient le choix préférable – et le plus facile ».

En 2001, les Pays-Bas ont voté une loi similaire, bien avant d’autres pays, ce qui nous permet de juger de ses conséquences avec presque 25 ans de recul. Theo Boer, professeur d’éthique de la santé aux Pays-Bas, a récemment déclaré dans une tribune du journal Le Monde : « On peut noter que le nombre d’euthanasies ne cesse d’augmenter (en hausse de 10 %) et qu’une tendance structurelle s’installe, faisant de l’euthanasie une fin de vie parmi d’autres ».

Il précise que « ce n’est plus seulement une demande individuelle, mais une attente sociale liée à la peur de la perte de dignité ou de dépendance, ce qui entraîne une augmentation de 59 % des demandes de fin de vie ». Face à cette situation, le gouvernement néerlandais ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là, et souhaite encore élargir la loi en accordant le suicide assisté à toute personne de plus de 74 ans, même en l’absence de pathologie grave. Theo Boer, dans la même tribune poursuit : « J’ai cru, à l’époque, qu’un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives : je n’en suis plus si sûr. Ce que je constate, c’est que chaque ouverture du champ de l’euthanasie crée de nouvelles attentes, de nouvelles demandes, une nouvelle normalité. La logique interne du système pousse toujours à élargir ». Le professeur interpelle les Français en disant qu’appliquer cette loi est « un pari risqué… qui modifie notre rapport à la vulnérabilité, à la vieillesse, à la dépendance et introduit l’idée que certaines vies, dans certaines conditions, ne valent plus la peine d’être vécues ni même soignées ».

Débat parlementaire : entre paternalisme, faux progressisme et casse sociale

Depuis quelque temps, on assiste à une accélération des réformes austéritaires en France. Elles frappent de plein fouet différents secteurs, notamment les services publics, la santé et la sécurité sociale. D’un point de vue économique, les soins en fin de vie coûtent très cher et ne rapportent pas. Les dépenses publiques de l’État liées à la santé de la dernière année de vie d’une personne s’élèvent, en 2025, à environ 35 000 euros par personne, pour un total de 20 milliards d’euros par an. Cela équivaut à 10 % des dépenses publiques en soins.

L’économiste Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale et de santé, avertit dans The Conversation que « les inégalités sociales en fin de vie vont exploser ». Il explique que « ces inégalités sociales de santé impliquent que les classes populaires et moyennes auront potentiellement recours à l’aide à mourir plus tôt que les personnes aisées, sans même prendre en compte l’impact possible de la souffrance sociale dans une telle décision ».

Dans un système capitaliste et néolibéral dans lequel l’individu n’est plus qu’une source de profit et la population, de plus en plus malade, il est difficile de ne pas voir les dérives que permettrait la loi fin de vie, comme en attestent de nombreux bilans et témoignages.

Malgré ces dangers clairs, la gauche institutionnelle défend activement la loi sans engager un véritable débat sur les conditions de vie indignes des personnes handicapées et malades. Parmi les députés PS, la moitié s’était opposée à scinder le texte de loi en deux parties, consacrées respectivement aux soins palliatifs et à l’aide à mourir, afin de ne pas affaiblir cette dernière. Pour mémoire, ce parti a été, à l’instar de la droite, l’un des artisans de la casse de l’hôpital public, notamment au travers de l’adoption consécutive de plusieurs lois de financement de la sécurité sociale austéritaires ou encore la poursuite de la mise en œuvre de la tarification à l’acte des soins hospitaliers. Le PS porte ainsi une lourde responsabilité dans la privatisation progressive de la santé et dans l’affaiblissement du soutien aux personnes malades et handicapées.

La France insoumise semble également négliger l’influence des inégalités, criant haut et fort que chacun a le droit à mourir dans la dignité, tout en oubliant que le droit de vivre dignement est de plus en plus bafoué. Le parti aligne son argumentation sur celle de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), un organisme qui représente 75 000 membres mais aucun militant antivalidiste. Son président, Jonathan Denis, n’hésite pas à déclarer son ambition d’étendre la loi aux personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé. Il affirmait ainsi sur le plateau du Quotidien : « Si les parlementaires votent le projet de loi tel qu’il est aujourd’hui, il ne répondrait pas à la demande [car] le texte est trop restrictif ». Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que les conditions économiques sous le capitalisme ne permettent trop souvent qu’une liberté factice.

L’absence d’une analyse matérialiste de la part de la gauche institutionnelle ouvre un boulevard à la droite et l’extrême-droite pour s’opposer de manière hypocrite au droit de mettre fin à sa vie au nom de leurs idéologies conservatrices. Se présentant hypocritement comme garant de la défense de la vie, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur ultra-réactionnaire et président fraîchement élu des Républicains, affirmait ainsi sur LCI que le texte sur la loi fin de vie est « tellement permissif, que demain ce que je crois, c’est qu’il soit beaucoup plus facile de demander la mort que d’avoir des soins ». Même son de cloche chez Marion Maréchal, qui définit cette loi comme « l’euthanasie des pauvres ».

Des propos particulièrement hypocrites tant la droite au pouvoir a été, et continue d’être, un acteur clé de la destruction de l’accès à la santé. Ainsi, Roselyne Bachelot ministre de la santé sous Sarkozy, a initié un ensemble de réformes (HPST, la tarification à l’acte) qui ont introduit une logique managériale dans les hôpitaux, avec des suppressions de lits, un accès aux soins déshumanisé pour les patients, et des travailleurs maltraités. Des logiques justifiées au nom de l’impératif austéritaire que le RN défend lui aussi.

Les conditions de vie des personnes handicapées, malades et âgées ne cessent de se dégrader

Aujourd’hui, parmi les personnes handicapées, 26 % vivent sous le seuil de pauvreté. Plus d’une sur deux rencontre des difficultés d’accès au logement, des milliers d’enfants ne sont pas scolarisés et le taux de chômage est pratiquement deux fois plus élevé que celui des personnes valides. Il est clair que les conditions de vie des personnes handicapées sont précaires et que leurs droits sont bafoués.

Ces conditions ne sont en aucun cas dues à leurs déficiences, mais bien aux politiques et à un système profondément validiste, qui valorise uniquement les corps et les esprits productifs, dits « valides », et qui organise la précarité des personnes malades, âgées et handicapées. Les fausses promesses de l’État, comme la loi Handicap de 2005 qui a été fortement critiquée pour son vingtième anniversaire, n’ont jamais permis d’apporter une solution à cette situation.

Dans un système capitaliste profondément validiste, les personnes handicapées, malades et âgées sont, pour beaucoup, plongées dans la précarité et contraintes de vivre une vie indigne, dont l’État est pleinement responsable. Nous ne pouvons que craindre que cette loi pousse justement celles et ceux qui souffrent le plus à envisager de mettre fin à leurs jours.

Il est en outre impossible de ne pas parler du validisme médical qui façonne en profondeur notre système de soin. En effet, la majorité du corps médical se donne pour mission de faire correspondre au mieux les corps jugés déviants à la norme. Toute vie qui ne s’y conformerait pas doit être guérie ou mérite moins que les autres de vivre, comme cela a été mis en lumière par la pandémie de COVID, de la gestion catastrophique du début au silence que la classe politique entretient sur ses conséquences actuelles : les personnes « vulnérables » sont rapidement devenues les victimes acceptables du laissez-faire pandémique.

Organisons une vie digne pour toutes et tous

En tant qu’organisation communiste révolutionnaire, nous ne nous opposons pas par principe au droit de mettre fin à sa vie. En revanche, nous jugeons que cette proposition de loi représente un danger évident pour les personnes handicapées, malades et âgées de notre classe. Dans le cadre d’un système capitaliste profondément validiste et dans une période de crise profonde et d’offensives austéritaires brutales, il est illusoire de prétendre que les dérives que permettrait la loi pourraient être évitées.

Pour garantir le droit à mettre fin à sa vie, des moyens massifs, humains et matériels, devraient d’abord être déployés pour développer les soins palliatifs, mais aussi pour repenser le soin hors des logiques de rentabilité. Un développement des services de santé qui devrait être financé en prenant massivement sur les profits du patronat.

L’autonomie des personnes handicapées, malades et âgées doit devenir une réalité, pour permettre une vie sans privation de liberté. Nous devons garantir que chaque personne puisse jouir d’une véritable liberté et vivre dans la dignité, libre des pressions matérielles, économiques et idéologiques que nous impose la bourgeoisie. Défendre l’autonomie face à l’oppression conservatrice est essentiel.

La victoire ne pourra être obtenue qu’à travers une lutte commune. Il est urgent d’organiser un front commun entre les travailleurs et travailleuses de tous les secteurs, les personnes handicapées et malades afin de combattre les structures sociales et économiques qui nous privent de nos droits et nous soumettent à des conditions matérielles inégalitaires.

Alors que le gouvernement alloue un budget colossal au réarmement et à la militarisation, au détriment de l’éducation, de la santé et des services publics, la défense de l’autonomie et l’ouverture des soins pour toutes et tous doit s’inscrire dans une lutte pour un changement radical de nos structures sociales et économiques.

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