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Le blog de François MUNIER

Piépape et Choignes (Haute-Marne). Cartes postales

15 Février 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Cartes postales anciennes, #Généalogie familiale, #Haute-Marne, #Champagne-Ardenne, #Grand Est

En 1940, Albert Contal, mon père, entreprit, pour ne pas être prisonnier de guerre, d'aller de Nancy à Bourg-en-Bresse pour se faire démobiliser.

Il a raconté son odyssée et ses passages de ligne.

14 août 1940 à Piépape:

Le paysage n’existe pas. Dans mon esprit, il est remplacé par l’image d’un petit ruisseau enjambé par le canal de la Marne à la Saône, aux environs de Piépape, dans la Haute-Marne. Ce canal constitue la ligne de démarcation entre « zone interdite » et « zone occupée ». Ponts, écluses sont soigneusement gardés, mais ce petit passage ne l’est pas. Le franchir doit être aisé, le ruisseau étant peu profond à cette époque de l’année. Le renseignement mérite d’être vérifié. Vers 17 h, je m’approche du village, désireux de reconnaître de loin le passage que j’emprunterai de nuit. Sur la route, je rattrape une voiture, chargée de luzerne, conduite par un jeune homme. Je descends, marchant à ses cotés « Vous allez à Piépape ? questionnai-je ? – Oui – de l’autre coté du canal ? - Oui – Les Allemands ne vous demandent rien ? Non, ils me connaissent. J’ai un laisser-passer pour aller chercher les récoltes. – Alors, laissez moi me cacher dans votre voiture, il faut que j’aille en zone libre ! »

Je puis affirmer que l’hésitation du jeune homme fut de courte durée. « Oui, mais le vélo dit-il ?» -« Je le laisse dans une haie et vous venez le chercher » Ainsi fut fait ; il lui fallait une certaine dose de courage à ce garçon car il habitait la deuxième maison après le pont, celle qui était voisine du poste de garde allemand. Après avoir déposé le vélo derrière un buisson, je monte sur la voiture, creuse un trou et rassemble de la luzerne sur moi ; le conducteur n’est pas tranquille bien sûr ! Il monte pour vérifier l’état de mon installation et à larges brassées rend au chargement une allure parfaite. L’esthétique y gagne, mon bien-être diminue d’autant ; Cependant je m’y trouve fort bien, malgré la chaleur, tant il est vrai que les sensations produites par une même cause varient selon l’état d’esprit du moment ; après avoir parcouru quelques mètres, l’attelage fait halte ; j’entends : « Vous ne vous montrerez pas au premier arrêt, car je serai devant la maison. J’ouvrirai la grange et je rentrerai la voiture » Ainsi tout se déroule parfaitement ; le père est heureux du bon tour réalisé par son fils mais la mère ne recouvre sa tranquillité que lorsque le jeune homme revient, tout fier, sur la bicyclette. Je partage bien volontiers le repas familial et continue ma route non sans emporter quelques lettres que je dois poster en zone libre. Je couche à Selongey.

Piépape et Choignes (Haute-Marne). Cartes postales

20 septembre 1940 à Choignes (retour à Nancy) :

La solde perçue à Bourg  s’épuisant, il me faut rentrer. Un train circule en direction de l’Est via Chaumont, limite de la zone occupée. Le 20 septembre, dans l’après-midi,  je sors de la gare de cette ville. Après avoir récupéré ma bicyclette, j’aborde un cheminot, lui demandant comment passer la ligne. Il me donne l’adresse d’un café à Choignes à quelques kilomètres de là. Il est environ 17 heures lorsque j’y parvins. La patronne, bien gentiment me dit « Les Allemands ont coulé les barques, je ne puis plus vous passer. Mais présentez-vous à la sentinelle. Vous lui direz que vous rendez visite à la cousine « M.. » ; elle habite de l’autre coté, sur la gauche, derrière les arbres. » Confiant, j’avance vers le soldat qui garde le pont. Présentant ma carte d’identité, je lance « Je vais voir la cousine M.. » et tente le passage. « Nein ! Nein ! bureau! Schreiben!» crie l’homme en vert. Dans le bureau voisin, le chef de poste s’exprime en français. « Alors, que désirez-vous ? – Je désire rendre visite à la cousine M.. » Elle habite de l’autre coté. – Ah ! Vous aussi ? » me dit-il en ouvrant son cahier sur lequel tous les passages étaient notés. A sa vue, il apparaît clairement que ce mobile de franchissement du pont est beaucoup utilisé. A ce moment, qui me paraît légèrement critique, je me mets à parler allemand disant que je l’ai appris à l’école mais que je n’en connais plus guère. Oh ! magie du verbe, puissance de la langue maternelle, même très écorchée ! la physionomie de du sergent se fait plus avenante. Il explique alors à son voisin que « cousine M… » est une petite femme qui habite de l’autre coté, puis me demande « Combien de temps vous faut-il ? – Oh ! une heure !- Bien, ça va, seulement vous repasserez bien par ce pont, par l’autre vous ne pourriez pas rentrer » Il note fort consciencieusement, nom, prénom, adresse, motif de passage sur son cahier et me rend ma carte d’identité. Maintenant encore je suis étonné en revivant le déroulement de cette scène. Imaginez un peu la réaction d’un Français mis à la place du chef de poste allemand. On ne peut la concevoir que suivant un cours tout différent. Je ne trouve qu’une explication. Cette pauvre « cousine M.. » qui m’est encore inconnue. Elle devait avoir mauvaise réputation.

Piépape et Choignes (Haute-Marne). Cartes postales
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