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Le blog de François MUNIER

Souvenirs de guerre de Georges Lucot (5/5). Du 5 au 18 septembre 1914.

31 Janvier 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Histoire du 79ème RI, #Histoire et témoignages, #Guerre 1914-1918

Bulletin de 1981

Samedi 5 septembre 1914 :

Deux villages sont en feu aux alentours car c'est là le fort des Allemands, nous restons à peine une heure à Flainval, le temps de dormir un peu et l'on repart occuper les crêtes en arrière d'Anthelupt. Nous restons dans les abris toute la journée sous le feu constant de l'artillerie ennemie à laquelle la nôtre répond bravement.

A sept heures du soir, en route, on reprend la marche en avant vers Anthelupt et le château de Léomont; nous arrivons à notre emplacement 800 m N.-E. du château vers 11 heures. Installation, patrouilles, attente, il est minuit quand les hommes peuvent dormir. Quant à moi je veille pendant une heure encore, car nous sommes quatre gradés et on se partage le reste de la nuit.

Dimanche 6 septembre :

J'ai pu dormir deux heures, bien emmitouflé dans un manteau de Prussien que je porte sur mon sac, mais j'ai dû rester en dehors des tranchées, car lorsque je veux me coucher toutes les places sont prises et je ne voudrais pas en déranger un autre pour m'y mettre, ils ronflent de si bon cœur l c'est le troisième jour que l'on ne dort pas.

Nous passons la journée dans les tranchées où l'on se repose un peu. A sept heures je vais avec quatre hommes constituer un poste en avant, en haut d'une crête dans une petite tranchée à proximité immédiate des lignes allemandes, car on entend très bien causer et travailler aux tranchées. De temps en temps une patrouille s'approche qui nous envoie quelques balles puis se replie ; aussi il faut être tous sur le qui-vive et ce n'est pas le moment de dormir car c'est sur nous que repose la sécurité du bataillon qui se tient à 200 mètres en arrière et si une attaque se produisait, il faudrait résister jusqu'au bout afin de permettre au bataillon d'être prêt à la recevoir. Il me faut encourager mes hommes, ils n'ont pas peur mais ils se plaignent d'être toujours aux avant-postes et ils sont bien fatigués. La nuit se passe heureusement sans affaire grave ; nous sommes relevés à sept heures et rentrons dans la tranchée où une bonne soupe nous attend avec de la viande à volonté.

Souvenirs de guerre de Georges Lucot (5/5). Du 5 au 18 septembre 1914.

Lundi 7 septembre :

Après avoir bien mangé, on fait un bon somme sous le chaud soleil qui nous réchauffe et la nuit embêtante est bien vite oubliée.

La journée se passe sans autre incident que deux blessés à la 7e Cie. La cause est que notre ligne de sentinelles est à 100 mètres environ de celle des Allemands et dame elles ne résistent pas à la tentation de se fusiller mutuellement de temps en temps.

A 8 heures nous sommes relevés par le 1er Bataillon, nous allons dormir dans un petit bois à 500 mètres en arrière. A 4 heures, en route, nous allons occuper les autres tranchées en arrière d'Anthelupt. ll y a dans les environs plusieurs villages -- Deuxville, Anthelupt, Maixe, Crévic, Flainval, Hudiviller -, tous sont complètement détruits ou brûlés par les obus allemands. C'est vraiment triste !

Mardi 8 septembre :

Nous restons toute la journée sous nos abris et dormons à l'ombre de bon cœur. Le soir, dès la nuit, nous allons prendre une position d'attente auprès du village d'Anthelupt; nous passons la nuit dans un pré derrière une petite crête. Vers 9 heures, puis plusieurs fois dans la nuit, la fusillade retentit sur notre droite vers Lunéville; les canons se mettent de la partie et nous ne dormons guère.

Mercredi 9 septembre :

A quatre heures nous rentrons dans nos abris où nous passons encore une bonne journée. Bonne pour nous, bien entendu qui ne sommes pas difficiles, car les obus à la mélinite viennent nous rendre visite de temps à autre en éclatant à 40 ou 50 mètres, ce qui n'empêche pas que les éclats viennent jusqu'à nous, témoin notre lieutenant commandant la compagnie qui fut blessé légèrement à la tête ce matin à deux mètres de moi; mais on est tellement habitué maintenant qu'on n'y pense plus.

On nous prévient que le bataillon doit prendre l'offensive ce soir, aussi nous nous tenons prêts à partir d'un moment à l'autre. Nous partons vers 7 h, c'est-à-dire dès que l'ombre nous met à l'abri des vues de l'ennemi. Je dis « des vues » car l'ennemi se doute de notre mouvement et envoie des obus à travers la plaine ; nous les évitons heureusement. A 9 h nous arrivons à notre emplacement. Nous ne prenons pas l'offensive, mais nous sommes là pour renforcer les avant-postes s’il se produisait une attaque ennemie. Le ciel est embrasé - d'un côté les canons, de l'autre un orage qui monte de Lunéville. Les canons et le tonnerre grondent et nous emplissent les oreilles d'un bruit assourdissant. Bientôt, à un coup de tonnerre plus violent succède une véritable trombe d'eau; nous sommes dans une petite tranchée ayant de temps à autre une sorte d'avant-toit avec quelques branches, paille et terre. J'ai pu trouver une place sous un de ces abris et grâce au manteau allemand que je porte avec moi, je suis un peu protégé; mais au milieu de la nuit la terre s'est détrempée, les poteaux de soutien hochent et voilà tout qui nous tombe sur la tête, nous avons mille peines pour sortir de ce fouillis et nous en sortons couverts de boue. Il faut maintenant rester à la pluie en se serrant les uns les autres pour se réchauffer. Ce fut une nuit des plus horribles et fatigantes. A 5 heure; nous reprenons le chemin d'hier soir.

Bulletin de 1982

Jeudi 10 septembre 1914 :

A 6 heures nous arrivons à nos abris que la pluie a traversés, malgré cela nous nous couchons pour nous reposer des fatigues de la nuit. Quelques ondées viennent encore nous embêter dans le courant de la journée, aussi il est impossible de faire sécher ses vêtements.

Vers 5 heures, le lieutenant d'artillerie me communique le renseignement suivant « Les armées françaises vont prendre l’offensive. mais la 11e division (la nôtre) restera sur la défense pour garder ses emplacements : Bois de Crevic-Petite Maix. Château de Léomont-Bois de Vitrimont ». Cela ne dit pas quand doit commencer l'offensive, mais si nous réussissons à chasser l'ennemi, cela nous laisse a prévoir un où deux Jours de repos pour nous nettoyer, car nous en avons grand besoin. Voici 3 semaines qu'on a l'eau à peine nécessaire pour boire, on ne peut donc pas songer à se laver. C'est triste à dire mais c'est la vérité ! On est si peu de monde ici que nous sommes forcés d’être toujours en avant, on ne peut pas nous mettre en réserve, il ne doit pas y en avoir.

A 7 heures nous quittons à nouveau notre emplacement diurne pour aller prendre les avants-postes où nous étions il y a 4 jours. La nuit est encore passée dans une tranchée sans abri, mais on a l'avantage sur la nuit dernière de ne pas recevoir d'eau.

Vendredi 11 septembre 1914 :

Dès le matin, comme tous les jours, la canonnade retentit, mais mais elle fait rage surtout à notre gauche vers Nancy où les coups sourds des grosses pièces résonnent jusqu'à nous. C'est la que se porte surtout l'offensive prussienne à l'Est, car les allemands voudraient aller de force à Nancy. Heureusement qu'on a prévu le coup, on a retranché les environs : le Pain de Sucre, La Rochette1, Amance. etc et les prussiens ont déjà subi là un sérieux échec Il y a 3 ou 4 jours. Ils ont cependant réussi à envoyer une douzaine d'obus sur la ville, mais il parait que la batterie qui a fait cette nouvelle démonstration de la barbarie germanique a été détruite aussitôt.

Le soleil se montre de temps en temps ce matin, aussi nous sommes heureux d'imiter les lézards et de nous faire sécher.

A 8 heures du soir. le petit poste placé en avant de nous tire une salve et se replie sur nous en hâte, disant être attaqué par au moins une section ennemie. Nous prenons de suite nos dispositions de combat et nous attendons. Mais il ne vient rien ! Après une demi-heure d'attente, le lieutenant m'envoie remplacer le caporal qui commandait le poste, car c'est probablement la peur ou une hallucination qui lui a fait nous mettre en armes et comme il faut avant tout chercher à donner le plus de repos possible aux hommes ; il me place là en confiance pour éviter les fausses alertes, et en effet je n'ai plus rien vu de toute la nuit ; mais ce fut horrible. La pluie n'a pas cessé et j'étais assis dans l’herbe, sans abri, aussi le matin nous étions de vraies éponges glacées.

1Plateau au-dessus de Bouxières-aux-Chênes

Samedi 12 septembre 1914 :

Dès le jour je rentre dans la tranchée où j'essaie de me reposer. mais en vain, car je suis gelé ; je me contente de me mettre au vent qui parvient à me sécher un peu.

La canonnade commença de notre coté et une seule batterie allemande. nous répondit. mais ce fut pour nous un vrai moment de fou rire. quoique par instant nous étions en danger. Voilà le cas sur une cinquantaine d'obus que les prussiens ont lancé sur nous. plus de trente n’éclatèrent pas, alors à chaque coup c'étaient des rires bruyants « encore un » ! « encore un » ! ce fut un passage de joie qui fit oublier la nuit.

Dans la matinée, après la salve du matin, les allemands furent complètement muets. on n'apercevait plus rien, même à la jumelle. Alors des patrouilles avancèrent et nous firent savoir que les prussiens déguerpissaient en laissant un matériel énorme sur le terrain.

A 5 heures le soir, tout le monde marcha de l'avant et nous allâmes occuper à nouveau Deuxville, Les prussiens avaient creusé là des tranchées énormes recouvertes de madriers, planches portes de granges volées partout. Un réseau de fil de fer entourait le tout et c'eut été folie de venir attaquer cela. Il 'faut vraiment un ordre pressant pour qu'ils aient abandonné ainsi de telles positions et qu'ils soient bien pressés pour laisser un matériel comme celui que nous avons trouvé : 100 fusils. des milliers de cartouches. voitures d'outils et de fil de fer etc... etc.-. et des morts étendus là depuis 8 jours prouvent qu'ils en ont eu une très grande quantité.

Nous nous établissons dans leurs tranchées à 7 heures et nous commencions à dormir quand à 9 heures retentit le cri «, Aux armes ». « sac au dos ». 5 minutes plus tard nous parlions en avant. nous traversons Deuxville et nous avons reçu l'ordre d'aller occuper la ferme de la Rochelle1. La pluie commence a tomber des notre départ et nous sommes déjà mouillés jusqu'aux os quand nous arrivons à Rémonville-ferme2. Nous laissons là une section et avec le reste de la Cie nous partons à la recherche de la Rochelle. Il n'y a pas de route, nous traversons des champs de toute nature, l'ouragan fait rage, nous avançons avec une peine inouïe, Après une heure. de marche nous n'avons encore rien trouvé, alors on se résout a retourner à la ferme de Remonville ; nous y arrivons vers 2 heures dans un état indescriptible, nous sommes de véritables éponges et le froid nous fait grelotter. La ferme étant détruite on s'abrite derrière un mur, mais à chaque instant des pierres tombent ; à 4 heures, un pan de mur entier s’écrase près de nous.

Bulletin de 1983

Dimanche 13 septembre 1914 :

Enfin le jour parait ! Quel soupir, nous sommes transis. C'est a peine si nous pouvons causer et marcher, car nous partons de suite à la Rochelle que nous trouvons à 1 km de là, alors que la nuit nous avons marché 2 heures sans la trouver. Il reste encore deux petites chambres délabrées mais assez solides, nous y faisons du café et sécher nos capotes. Je dis « nous », plutôt les autres car je pars aussitôt à Bonviller m'assurer que l'ennemi n'est plus là. A dix heures l'ordre nous parvient de partir de suite pour Rosières. C'est un vrai cri de joie que nous poussons tous et malgré notre état lamentable, nous faisons l'étape en chantant.

Nous arrivons à Rosières à 13 heures, on achète aussitôt du pain car en un instant il ne reste plus rien ; un bon nettoyage et rasage et on est transformé. Le soir nous nous sommes arrangés entre cinq et nous faisons une vraie fête. Voici plus d'un mois et demi que nous n'avons pas mangé dans une assiette et à table ; c'est un vrai régal.

A 20 heures nous nous enfouissons dans le foin avec délice, car voilà quinze jours que nous sommes couchés sur la terre, à la belle étoile.

Lundi 14 septembre :

Nous devions embarquer pour Commercy à 13 h 30, afin d'aller combattre l'armée du Kronprinz, mais c'est inutile, l'armée est disparue ; alors nous partons à 4 heures, nous traversons Saint-Nicolas, Laneuveville et arrivons à Nancy. Jamais je n'ai vu une réception comme celle-là. malgré une pluie fine qui tombait depuis le matin, la population était massée dans toutes les rues et tout le monde nous offrait pain, sucre, chocolat. bonbons, vins, café etc... Nous faisons la grand-halte aux Barraques de Toul et allons cantonner à Velaine-en-Haye. Je trouve là le caporal Poignant, ancien camarade de Versailles, nous passons deux bonnes heures ensemble. Encore un bon lapin entre quatre pour souper et on va se blottir entre deux bottes de paille.

Mardi 15 septembre :

Nous partons à 5 heures et arrivons vers 11 heures à Royaumeix, on fait un peu à manger, on se nettoie et on se repose ; nous préparons un bon souper pour le soir : poulet avec petits pois et carottes, beefsteack, salade de concombre. Mais aussitôt la fin du repas, il arrive des réservistes et territoriaux : 700 pour le régiment, dont 20 pour ma section ; il faut les noter, les loger, et leur donner à manger ; ensuite seulement aller dormir ! C'est enfin la première vraie bonne nuit, car nous restons ici le lendemain, nous ne devons pas sortir de la grange avant 6 heures.

Mercredi 16 septembre :

Ce matin j'ai examiné de près les réservistes de ma demi-section, j'ai retrouvé parmi eux avec grand plaisir beaucoup de bragards3, camarades de jeunesse4 et entre autres, l'un de mes instituteurs de Saint-Dizier. Nous avons eu repos toute la journée et les douze sous-officiers de la compagnie. nous avons mangé ensemble, cela nous fait faire connaissance.

Jeudi 17 septembre :

Encore une nuit passée agréablement, auprès de celles de la semaine dernière ! Il y a eu ce matin revue de la Cie, en tenue de campagne à peu près propre, car on a pu se nettoyer un peu depuis deux jours. Nous faisons toujours la cuisine entre sous-officiers, nous sommes 14, cela ne nous revient pas trop cher et nous mangeons comme des petits princes (en comparaisons de la vie de tranchées !)

Dans l'après-midi nous sommes allés faire un peu d'exercice dans un champ, avec une théorie sur la discipline de marche ; nous avons fait connaissance avec le nouveau Capitaine de la Cie (Capitaine KREPS).

Vendredi 18 septembre :

Comme hier, nous avons repos et nettoyage le matin, avec une heure d'exercice l'après-midi ; nous faisons d’interminables manilles où nous oublions que nous sommes en guerre. Je vous assure que depuis trois jours, nous avons oublié toutes nos souffrances physiques et morales et que les affreuses nuits d'insomnies ne sont plus qu'un souvenir joyeux et ineffaçable.

1 à Bonviller

2 Commune de Einville-au-Jard

3 Gentilé de Saint-Dizier : « braves gars »

4 Sur la base de données généalogiques en ligne Geneanet, on trouve un Georges Lucot, né à Saint-Dizier en 1892 et décédé en 1990. Ingénieur horticole.

Monument sur la butte de Léomont

Monument sur la butte de Léomont

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