Souvenirs de guerre de Georges Lucot (2/). Du 15 au 20 août 1914. Attaque sur Morhange et retraite
Avertissement.
Dans beaucoup de billets de blogs, dont celui-ci, j’ai mis des liens avec des articles de Wikipedia. Cette encyclopédie collaborative en ligne n’est pas parfaite, mais elle demeure irremplaçable. Il faut donc la soutenir contre les attaques dont elle est l’objet.
Samedi 15 août :
Je vous assure que pour la baptême du feu il était terrible et c'est une grande chance que nous n'ayons eu qu'un mort et deux blessés. Un homme est disparu pendant la marche de nuit. Je n'avais pas encore éprouvé une pareille sensation que celle que l'on reçoit quand un obus éclate à 20 mètres de soi. On entend d'abord le coup de départ puis le sifflement de l'obus et enfin l’éclatement. Cela dure deux ou trois secondes, on courbe le dos, on se recroqueville et on attend, l'anxiété au cœur, se demandant si le moment est venu pour nous de disparaître de l'existence. Le moral est d'autant plus atteint qu'on ne peut faire que se cacher, pas moyen de riposter soi-même. On vient de risquer sa vie pendant 24 h de suite et on n'a pas encore tiré une cartouche. Vers 3 heures on reçoit l'ordre d'évacuer la tranchée pour gagner le village de Bezange-la-Petite1. Notre section part la première. L'artillerie allemande, surprise, n'a pas le temps de tirer sur nous, elle bombarde la tranchée et les autres sont obligés d'évacuer sous le feu. Ils se doutent de notre mouvement et aussitôt arrivés au village une pluie d'obus nous arrose ; on est obligé d'aller se placer dehors contre le cimetière. On construit des tranchées abris et on passe la nuit dedans sous une pluie torrentielle qui nous transperce.
Nous n'avons toujours pas à manger. A 10 heures on touche une petite portion d'un porc qu'on a trouvé dans le village. On a touché deux ou trois biscuits. Je partage les miens avec le lieutenant. On mange cela avec des mirabelles que l'on trouve dans les vergers où nous sommes.
1Donc passage de la frontière et entrée sur le territoire allemand (Lorraine annexée)
Dimanche 16 août :
Notre artillerie qui a démoli deux batteries allemandes hier soir, doit s'efforcer de museler le reste et ensuite nous devons prendre l'offensive sur tout le front et chasser les Allemands des tranchées où ils sont établis. Nous venons de toucher les distributions et on en a profité de suite en déjeunant d'un bon bifteck et un quart de jus. Vers 10 heures nous partons par demi-section, c'est-à-dire dans l'attente d'être bombardés, mais nous atteignons la cote 236 sans encombre. Des patrouilles et des détachements nous précèdent et aucun coup de feu n'est tiré. On est surpris, mais dès qu'on arrive en haut de la position tout s'explique. Ils ont abandonné leurs positions en fuyant lors du bombardement de la veille. Ils ont abandonné 400 obus et des débris de toute sorte. Un vieux du village voisin nous a raconté les avoir vus fuir pareils à une bande de moineaux lorsque nos pièces de 75 les ont bombardés vers 7 h du soir. Ils avaient tout laissé et ne sont venus rechercher leurs pièces qu'à 3 heures du matin.
Ils ont reculé à Dieuze à 10 km. Nous prenons position à 8 h du soir sur la cote 259. ll pleut à torrents. Il faut faire un abri pour la nuit et on a juste une botte de paille ; on n'a pas encore mangé. Presque toute la nuit se passe à faire les distributions sous une pluie qui nous traverse et on grelotte malgré les feux allumés. C'est la troisième nuit que nous passons dehors sans dormir et sous la pluie. Heureusement on a touché du vin et de l'eau-de-vie. Nous restons en place jusqu'au lendemain en se chauffant toujours, car on est complètement gelés et traversés par la pluie.
Lundi 17 août :
Nous partons vers midi, on va sur Juvelize. Le 15e Corps nous dépasse, se dirigeant sur Marsal ; nous sommes donc relevés des avant-postes et le régiment va cantonner au village de Ley en passant par Juvelize et Lezey. Toute la 11e Division est rassemblée ici pour prendre part à l'attaque de Marsal. Nous sommes bien reçus ici, le drapeau français flotte sur l'église. La patronne de la maison où nous logeons fait notre cuisine et nous faisons un bon souper avant d’alter enfin dormir à l'abri.
Mardi 18 août :
Quelle bonne nuit ! Dans la paille jusqu'au cou ! Et un bon café au lait le matin et on est prêt à partir. L’artillerie tonne depuis quatre heures ; cela va chauffer car aujourd'hui doit commencer la bataille de la Seille qui a pour but de déloger les Allemands de la région : Vic - Marsal - Dieuze. L'artillerie doit détruire les batteries allemandes et l'infanterie montera ensuite à l'assaut à la baïonnette, à moins qu'ils ne fassent comme avant-hier, qu'ils ne se sauvent avant notre arrivée, car ce jour-là ils ont été complètement démoralisés par l'effet de notre artillerie ; nous verrons bien. En tout cas nous sommes tous prêts à aller en avant et nous sommes certains du succès.
Nous arrivons à Moyenvic vers 3 heures sans avoir entendu un coup de feu ; encore une fois Ils sont délogés sans que l'infanterie intervienne. Je visite un peu le village ; Il est propre et coquet - 600 habitants - une belle petite église sur laquelle flotte le drapeau français. Nous sommes reçus à bras ouverts. Il est resté beaucoup de personnes qui sont toutes remplies d'une grande amabilité causée par la joie de revoir des Français.
Mercredi 19 août :
Après une nuit de repos on repart à 5 heures après avoir bu un bon café au lait offert par la patronne de la maison où nous avons logé. Le soleil est radieux et la journée promet d'être chaude. On sait les Allemands retranchés sur Morhange-Contil et les hauteurs environnantes. C'est je crois leurs positions les meilleures et s'ils ont reculé si vite jusqu'à présent, c'est qu'ils ont confiance de nous arrêter là car ils sont tous massés dans la région. Il va donc y avoir la une bataille en règle et beaucoup écoperont, c'est inévitable. Nous arrivons sur le terrain vers 3 heures après avoir fait au moins 25 km afin d'utiliser le terrain.
La canonnade est déjà vive et bientôt sur la droite la fusillade crépitera pour durer jusqu'au soir. Après un combat d’artillerie acharné, la nuit vient. Tout le Régiment se rassemble près de la tuilerie de Koecking et nous partons dans la nuit noire à l'assaut du village de Lidrezing (Liedersingen).
Notre Bataillon est de réserve et nous n'avons pas eu à intervenir car le combat n'a pas été long. Il ne reste plus guère de Prussiens dans le village. Nous revenons sur nos pas et nous arrêtons à minuit à la ferme du Haut de Koecking auprès de deux batteries d'artillerie dont nous sommes les soutiens.
Jeudi 20 août :
Dès le réveil la danse recommence, la fusillade est très vive sur notre droite et c'est certainement vers cet endroit que se produit le plus grand choc. L'artillerie reprend son duel à mort et comme soutien de nos batteries nous sommes placés sur la lisière du bois, face à la ferme du Haut de Koecking, laquelle est criblée d'obus allemands qui ne se gênent pas pour si peu.
Hier vers 6 heures les Allemands avaient essayé une charge à la baïonnette et tiraient en marchant. Ils ont été repoussés par l'infanterie aidée de l'artillerie qui les a forcés à reculer de plusieurs kilomètres.
On commence à s'habituer à la canonnade et quoique les obus éclatent à 200 ou 300 mètres, je suis bien tranquillement installé sur l'herbe en train d'écrire en avant de la demi-section qui est formée en carapace sous le bois.
Trois hommes du 1er bataillon arrivent ici, ils nous racontent comment ils ont été cernés dans le village et pris sous un feu d'artillerie terrible ; ils disent que presque tout le bataillon est anéanti ou prisonnier. Les Allemands avancent sur nous, nous allons donc combattre pour la première fois et devant des forces certainement supérieures. Qu'arrivera-t-il ? Demain nous le saurons. Pour le moment nous attendons avec fermeté.
A quatre heures nous recevons l'ordre de nous replier, la 5e Cie qui occupe une tranchée en avant vient d'être prévenue et rentre. Elle est terriblement décimée. De tous les officiers et sous-officiers de la Cie, il ne reste plus que le capitaine, l'adjudant et un sergent; quant aux hommes, une centaine, à peine, se présentent à l'appel. Tout le monde est attristé devant ce destin, car nous avions tous des camarades, soit soldats, soit gradés. Voici la situation à cette heure :
Le 15e Corps qui combattait à notre droite vers Dieuze a été refoulé, nous avons donc été obligés d’intervenir pour essayer de le dégager. Notre contre-attaque a bien réussi mais nous avons quand même repris position en arrière afin de ne pas être écrasés. Nous avions deux bataillons contre une division. Nous nous formons donc en ordre parfait et repassons par notre chemin de la veille avec rassemblement au bois de la Géline puis passage à Haraucourt-sur-Seille. Arrivée a Moyenvic vers 10 heures. Nous commençons à nous installer pour passer la nuit, quand arrive l'ordre de se porter encore en arrière après un repos d'une heure. Nous sommes épuisés et il faut réunir toutes ses forces pour continuer. Nous arrivons à Juvrecourt au petit jour, on peut enfin se reposer.
Cimetière de Riche, où sont enterrés les morts de la bataille
Remise en contexte :
Les troupes française pénètrent en Lorraine annexée, franchissent la Seille le 14 août 1914 et se dirigent vers Morhange, où elles sont attendues par des troupes allemandes qui connaissent le terrain et sont mieux armées. L’attaque française vers Morhange tourne au désastre.
Le général de Castelnau, commandant la IIème armée (XVème, XVIème et XXème1 Corps d’armée, ordonne la retraite et réussit à regrouper ses forces devant Nancy.
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Le 79ème RI en 1914, de Morhange à Deuxville - Le blog de François MUNIER
Bulletin Le Clocheton de 1977 Extrait du Journal de Marche du 79e Régiment d'Infanterie 20 août au 13 septembre 1914 LES 19 ET 20 AOUT 1914 Dans la matinée du 19 à 7 h du matin, le régiment re...
https://francoismunier.name/2025/01/le-79eme-ri-en-1914-de-morhange-a-deuxville.html
Autre évocation de la bataille sur ce blog