Les religions dans l'ancien département de la Meurthe. Dictionnaires historiques de Michel et Grosse
Les religions dans l'ancien départeemnt de la Meurthe. Dictionnaires historiques de Michel et Grosse.
Les quatre départements lorrains correspondent aux anciens duchés de Lorraine et de Bar, aux trois principautés épiscopales de Metz, Toul et Verdun (les Trois-Évêchés) et quelques petite principautés dépendant du Saint-Empire.
Les ducs de Lorraine et de Bar étaient des catholiques intransigeants : c’est Antoine qui a écrasé la révolte des rustauds à Saverne en 15251, cousins des Guise, ils ont soutenu le camp catholique pendant les Guerres de religion en France, ils ont également pris le parti de l’empereur catholique Habsbourg contre les princes protestants allemands pendant la Guerre de Trente ans. Conséquence de ce dernier point, les troupes suédoises et françaises, alliées au camp protestant, ravagèrent la Lorraine2. Il y avait donc très peu de protestants dans les territoires dépendant des ducs de Lorraine.
Je mets en ligne ce qu’écrivirent à ce sujet Michel, cadre de la préfecture de la Meurthe en 1822 et Grosse, prêtre catholique, en 1836.
Michel déplore que des catholiques vont plus à la messe pour des raisons de mondanité que que par piété. Il rend hommage aux vertus agricoles des anabaptistes et à l’esprit civique des ministres des cultes protestant et juif.
Grosse profite de ce dictionnaire pour évoquer les différentes tendances du judaïsme et du protestantisme, y compris celles qui n’ont aucun fidèle dans le département de la Meurthe.
Il va de soi que les commentaires de ces deux auteurs, appréciatifs ou dépréciatifs sur certaines confessions et leurs livres de références sont les leurs et non les miennes.
J’ai inséré beaucoup de notes de bas de page, avec des liens, pour expliquer certaines notions.
CULTE.
Catholicisme. La religion de l’état a toujours été le culte universellement suivi en Lorraine : le peuple y est naturellement religieux, et sa piété est assez solide pour résister à. tout esprit de superstition ou de fanatisme. On remarque avec une bien douce satisfaction que la morale religieuse reprend chaque son empire, et fait sentir progressivement sa bienfaisante influence. Hommage soit rendu au clergé vertueux et distingué qui ne cesse de donner l’exemple et le précepte de l’obéissance aux lois, de l’union , de la charité et de la tolérance (1).
Évêché de Nancy. Cet évêché comprend les départemens de la Meurthe, de la Meuse et des Vosges : le premier se divise en 29 Paroisses , auxquelles ressortissent 470 succursales et 225 annexes.
Séminaires. Le séminaire diocésain1, relevé avec les ressources de la charité publique, a pris un grand développement et sa situation est prospère : cette institution peut aujourd’hui
(1) Quoique le culte catholique soit. assez bien observé en Lorraine, il l'est moins bien dans les villes que dans les campagnes. On a lieu de remarquer qu’il y a en général une tenue trop peu convenable dans les églises, et qu’elles paraissent être plutôt des points de réunion, où chacun va voir et se montrer, que des lieux où l'on doit ne recueillir devant la majesté du Dieu qui l’habite.2
contribuer efficacement à réparer les pertes immenses que la religion déplore, et qui rendent veuves un si grand nombre d'églises du royaume. Cet établissement renferme 285 élèves.
L’école secondaire ecclésiastique de Pont-à-Mousson3 est aussi dans une situation satisfaisante : elle est peuplée de 245 jeunes étudians.
Anabaptisme4. La partie allemande du département renferme quelques familles d'anabaptistes : cultivateurs par état, ils se distinguent par l’amour du travail, par la simplicité patriarcale de leurs mœurs et par un fond de probité peu commun. On compte 648 anabaptistes dans le département.
Protestantisme. Quoique les doctrines de cette secte5 eussent toujours été repoussées avec force par les princes lorrains, le culte réformé ne s'en est pas moins maintenu jusqu'à présent. Les protestants de l’oratoire réformé6 ont des temples à Nancy, à Lixheim et à Hellering, et ceux de l’oratoire de la confession d'Augsbourg7 à Fénétrange, Vibersviller, Hangviller et Vintersbourg. Le nombre des protestans établis dans le département de la Meurthe s’élève à 1 377. Leurs ministres méritent ici un tribut d'éloges , pour la charité qu'ils exercent et pour les soins qu'ils ne cessent d’apporter à maintenir8 la meilleure harmonie entre les citoyens professant un culte différent.
Judaïsme. Les juifs, établis en Lorraine depuis plusieurs siècles, furent indéfiniment tolérés jusqu'en 1721, époque à laquelle le duc Léopold ordonna aux familles dont l’établissement ne remontait pas à quarante ans de s'en éloigner: cet ordre fut mitigé quelque temps après en faveur de plusieurs familles; et à mesure que les principes de la tolérance politique se développèrent, la nation juive s'accrut sensiblement; elle s’élève aujourd’hui à 3 561 habitans. On voit avec plaisir cette portion de citoyens s’attacher davantage au sol, devenir propriétaires, et ne plus faire consister leur existence dans des professions purement mercantiles. Ils ont quatre synagogues dans le département, placées à Nancy, à Lunéville, à Lixheim et à Phalsbourg : le principal rabbin réside à Nancy. Le consistoire du culte israélite a droit aussi à des témoignages d’estime, pour la soumission aux lois et l’amour de la patrie qu’il inspire à ses coreligionnaires.
1 Grand séminaire. Adresse actuelle du bâtiment 94-96, avenue Maréchal de Lattre de Tassigny (anciennement avenue de Strasbourg). Affectation actuelle : Sciences Po Nancy
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3 Petit séminaire à Pont-à-Mousson, de 1817 à 1906. Bâtiment de l’abbaye des Prémontrés.
5 A l’époque, ce mot a le seul sens d’opinion ou groupe dissident, sans le sens négatif d’aujourd’hui (pratiques sectaires, p.e.)
6 Église réformée. Confession de la Rochelle, largement inspirée par Jean Calvin
7 Texte fondateur du luthéranisme (Église évangélique).
8 page 124
RELIGIONS.
Un philosophe célèbre, définissant l’homme l’a nommé un être religieux : cet axiome fondamental n'a rien perdu de sa force, malgré l’insouciante légèreté du siècle. En vain le matérialisme pèsera de tout son poids sur des âmes éprises des jouissances terrestres : en vain quelques esprits flotteront dans le vide du scepticisme; Il n'en restera pas moins incontestable que les peuples ont besoin de croyances, et que le jour où le sentiment de la divinité aurait entièrement perdu sa puissance tutélaire, ce jour serait le dernier des sociétés humaines. La force armée ne remplace point les salutaires enseignements de la foi, et sans en demander la preuve aux nations éteintes, évoquons seulement les souvenirs de l'histoire contemporaine depuis cinquante années. Un joug de fer s’appesantissait alors sur la France; la terreur était organisée; le pouvoir était armé de lois terribles, et cependant l’anarchie dévorait tout, jusqu’aux tyrans eux-mêmes: on avait à trembler pour ses biens, pour sa famille, pour sa propre existence; enfin, la voix glapissante de Robespierre se fit entendre :elle proclamait l’existence d'un Dieu et l’immortalité de l’âme, dernier remède à une société expirante !
Celte époque de sang et de ruines demeurera nomme une leçon éternelle, destinée à l’instruction des peuples et des rois. Sur un sol jonché des débris de tant d’institutions et de siècles, le doute n'est plus recevable, et les ravages amenés chaque jour1 par le dévergondage des opinions et des mœurs; les monstrueux suicides qui emportent dans la tombe l’âge même le plus tendre; le marasme qui dessèche de jeunes intelligences; tout enfin doit nous convaincre qu'il n'y a de paix, de sécurité, d'ordre, de bonheur et d'avenir, que dans l’égide maternelle de la religion. ll n'est pas prouvé , dit Schoell2, que sans elle un peuple ait jamais existé.
Quelques-uns de nos lecteurs ont désiré que la Statistique pût offrir un tableau abrégé des croyances professées dans le département: nous nous empressons de satisfaire à un pareil vœu.
L’immense majorité des habitants de la Meurthe est comptée comme appartenant à l’église romaine : on nomme ces fidèles catholiques, parce qu'ils suivent le culte le plus universellement répandu. Eux seuls ont l’avantage de conserver une foi qui n'a jamais variée : leur symbole est encore celui des apôtres, et il a traversé dix-huit: siècles, au milieu des persécutions, des hérésies, des schismes, des ténèbres du moyen âge, des contradictions, de l’indifférence et des plus affreux désordres d'idées et de mœurs introduits jusques dans le sanctuaire. Une œuvre humaine n'eut jamais résisté à tant de secousses. L’église latine reconnaît, pour chef visible, le Pape; elle admet l’autorité de la tradition et des conciles œcuméniques, regardés comme infaillibles : elle admet sept sacrements d'institution divine : la transsubstantiation3 dans l’Eucharistie; la confession auriculaire; le culte des saints; le purgatoire ; les œuvres de surérogation4 ; les indulgences ; les vœux monastiques; et, au moins, comme discipline, le célibat des prêtres. Il existe une hiérarchie et des dignités ecclésiastiques : on administre le baptême par infusion5, et on vénère, non seulement les sept premiers conciles œcuméniques6, assemblés avant le schisme de l’église orientale, mais encore tous ceux qui ont été convoqués par les papes, depuis le 9e siècle, et dont le dernier et le plus fameux a été le concile de Trente. Tout ce qui est bien, est autorisé, enseigné par cette religion : rien de si parfait qu’elle ne propose aux méditations et aux efforts de l’homme; il n'est rien de mal, de vicieux et de funeste qu'elle ne frappe de ses anathèmes. L'église catholique règne sur la plus grande partie de l'Europe: sur presque toute la France, sur l'Italie, l’Espagne, le Portugal, sur la presque totalité de l'Irlande , de l’Autriche et de la Belgique; sur la moitié de la Suisse, de la Prusse et des états secondaires de l’Allemagne; elle a de nombreux croyants en Angleterre, en Russie et en Grèce. Les Syriens de Malabar7 la reconnaissent, ainsi que les Maronites8 du Liban et plusieurs milliers9 de Grecs-arméniens : elle domine dans l’Amérique du sud: elle est florissante dans les États-Unis et dans une foule de contrées que nous ne pouvons énumérer dans cette notice.
Son empire s’étend progressivement dans nos bourgades et et nos campagnes :le clergé de la Meurthe se distingue par son amour du travail, ses lumières et son dévouement aux intérêts des populations. On regrette seulement que les études de nos séminaires diocésains n'aient pas encore atteint cette élévation, cette force et cette étendue , réclamées impérieusement par les besoins du siècle. La philosophie s'y maintient toujours dans ses vieilles routines; elle ne s'attaque point aux idées contemporaines et n'est point révélée dans toutes les phases de son histoire : il faudrait un cours de deux années. Une chaire d’éloquente religieuse devrait être aussi établie pour remplacer la rhétorique, définitivement supprimée comme absurde, et remplacée par une étude synthétique des littératures anciennes et modernes. Le cours d’éloquence aurait sa place après ceux de philosophie et de théologie; c'est là qu'il serait éminemment utile et qu'on pourrait s'y familiariser avec les sublimes homélies des pères de l'église , toujours inconnues aux jeunes lévites. Une chaire d'histoire ecclésiastique et de physique, appliquée à l’hygiène et à l’agriculture, serait encore une indispensable nécessité. A une époque où les vides du sanctuaire sont comblés, il serait noble et généreux de constituer ainsi les études cléricales sur des bases solides et durables.
Dans le petit séminaire, les langues vivantes devraient obtenir une large place : on commence un cours d'allemand qui n’est pas assez suivi : la géographie, l’histoire mériteraient des chaires particulières, qu'elles obtiendront , sans doute, un jour.
1 page 207
2 Frédéric Schoell https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Schoell
3 Définie par le Concile de Latran en 1215, https://fr.wikipedia.org/wiki/Transsubstantiation
5 en versant de l’eau sur la tête https://www.cnrtl.fr/definition/infusion
9 page 208
- Judaïsme. Il ne reconnaît d'autre révélation que celle promulguée par Moïse et par les prophètes. Ils ont cessé de sacrifier1, et au lieu de prêtres, ils n’ont plus que des rabbins qui expliquent la loi dans les synagogues : ils n’admettent qu'une personne en Dieu.
Les juifs se divisent aujourd'hui en plusieurs sectes : 1° les Talmudistes, ou Rabbinistes, qui respectent et qui suivent les décisions des anciens rabbins , dont les idées sont consignées dans un immense fatras appelé le Talmud2 : ces juifs sont les plus nombreux; 2° les Charidins3, ou piétistes, fraction des Talmudistes : ils affectent une dévotion plus grande et des mœurs plus sévères : ils sont en majorité en Pologne et dans la Turquie d’Europe4 ; les Caraïtes5, qui rejettent les traditions, les superstitions6 et les folies du Talmud : il se sont débarrassée aussi de quelques cérémonies légales; on les trouve dans la Syrie, en Égypte, en Crimée, dans l’Ukraine, dans la Galicie; 4° les Rechabites7, juifs indépendants, près de la Mecque : ils remontent à la plus haute antiquité; 5° les Samaritains8, peu nombreux et vivant près de Jaffa; et les Juifs du Malabar9, qui comptent plusieurs siècles dans ce pays et y ont fait quelques prosélytes.
1 Depuis la destruction du Second temple par les Romains, en 70 E.C.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Second_temple_de_J%C3%A9rusalem
4 Balkans
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Protestants. Nous ne mentionnerons, avec M. Schœll, que les principales sectes connues sous le nom de protestants; la nomenclature serait trop longue s'il fallait tout énumérer.
Voyons d'abord ceux qui ne reconnaissent que l'autorité de la Bible :
Les Unitaires1 : ils nient la Trinité des personnes en Dieu ; sous ce nom on entend aussi les ariens et les Sociniens. Ils n'admettent point la divinité de Jésus-Christ, ni sa préexistence.
Les Sociniens2, ainsi appelés de Lelliod Sozini, en 1562, écartent toute interprétation mystique de la Bible, et ne veulent que le sens littéral : le Christ est pour eux un prophète : ces sectaires sont peu nombreux.
Trinitaires-Protestants : Ils adoptent la Bible comme un livre divin, mais en rejettent quelques parties comme apocryphes3: ils reconnaissent le libre exercice de la raison dans l'examen des vérités : ils repoussent toute autorité humaine en matière de foi : ils ne reconnaissent que deux sacrements, le baptême, qu'ils donnent par infusion , et la Sainte-Cène : ils n'admettent point la transsubstantiation, ni la messe, ni la légitimité des vœux monastiques , ni le célibat , ni le mérite des bonnes-œuvres, ni les indulgences, ni la distinction des péchés, ni l’extrême-onction, ni le purgatoire , ni l’autorité du souverain pontife. L'ordination ecclésiastique n'est pour eux qu'une cérémonie où le récipiendaire est reconnu, par ses confrères, apte à exercer les fonctions de pasteur: les ministres sont les serviteurs du Prince qui les nomme : la bénédiction nuptiale, la confession, ne sont aussi que des cérémonies dont on peut se dispenser.
Une foule de divergences existe sur ce symbole : beaucoup de protestants ne reconnaissent plus la divinité du Christ et l’inspiration des livres saints : la plupart sont tombés dans le rationalisme.
Les protestants se divisent en luthériens, ou évangéliques, nouveau nom officiel : ils se distinguent par la mysticité de leur langage sur la présence réelle dans l’eucharistie : ils ne condamnent pas les hiérarchies et ont des évêques en Suède. Le luthéranisme4 domine dans les royaumes de Prusse, de Danemark, de Norvège, de Suède, de Hanovre, de Saxe et de Wurtemberg: on le trouve aussi dans les régions baltiques de la Russie, en Autriche, dans la Hongrie et dans quelques cantons de la France.
Les Protestants Calvinistes rejettent la présence réelle, et admettent la prédestination au salut : leur régime ecclésiastique est républicain, et leur culte d’une excessive simplicité. Plusieurs départements de la France, divers cantons de la Suisse, la Hollande et quelques principautés de l’Allemagne, comptent un assez grand nombre de Calvinistes; on en trouve aussi dans les colonies Anglaises, en Prusse et dans les États-Unis.
En 1817, un rapprochement s'est opéré entre les Luthériens et les Calvinistes; les premiers ont modifié leur croyance sur l’eucharistie; les seconds ont adouci leur système de prédestination, et de cette fusion est née l’église évangélique5 qui est aujourd’hui reconnue dans presque toute l’Allemagne protestante :reste à savoir comment on peut ainsi transiger sur les dogmes.
On voit aussi, en France , des ministres réformes exercer indistinctement leurs fonctions pour les Calvinistes ou les Luthériens.
On distingue encore des Calvinistes puritains, presbytériens, indépendants et congrégationalistes; les anabaptistes ou mennonites6 affectent une extrême simplicité de mœurs : ils ne reconnaissent aucune autorité , aucune personne pour juge en matière de religion : ils n'ont aucun symbole de foi, expliquent la Bible chacun à sa manière, et sont divisés entr'eux sur un grand nombre d'articles : ils s'accordent seulement à ne baptiser qu'à l’âge de raison, de ne pas jurer et de ne jamais porter les armes: ils ont beaucoup de points de ressemblance avec les Quakers7 et les Moraves8.
Nous mentionnerons, seulement pour mémoire, les Zwingliens9, appelés autrefois Huguenots, les Anglicans10, les Mystiques ou Enthousiastes, les Arminéens11 ou Remontrants, les Quakers ou Trembleurs, les frères Moraves ou Herrnhüter, les Piétistes12, les Swedenborgiens13 et les Méthodistes14, etc. , etc.
Chacune de ces subdivisions apporte en sa faveur le témoignage de la Bible : c'est ce qui prouve qu'en dehors de ce livre divin , il faut un tribunal qui prononce en dernier ressort sur le sens des paroles et conserve ainsi le dépôt de la vérité ; or les catholiques seuls ont ce tribunal15.
4 page 210
5 En France, ce rapprochement n’est effectif que depuis 2012.
9 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ulrich_Zwingli dont les thèses sont proches de celles de Calvin.
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