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Le blog de François MUNIER

L'origine du mot islamophobie.

6 Mai 2024 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Religions

Ce qui me surprendra toujours, et me choquera, c'est que des personnes puissent affirmer quelque chose sans donner leurs sources, leurs références. J'ai été habitué, y compris dans mes travaux de recherches et mes publications personnelles, à donner des références, des sources.

Mais le plus grave, c'est que ces rois et reines de l'approximation, des généralisations hasardeuses, des mensonges assumés soient invité·e·s sur les plateaux TV, ou qu'on leur offre des tribunes.

En 2003, Caroline Fourest et Fiametta Venner écrivent dans Libération :

Le mot «islamophobie» a une histoire, qu'il vaut mieux connaître avant de l'utiliser à la légère. Il a pour la première fois été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de «mauvaises musulmanes» en les accusant d'être «islamophobes».

Personne ne leur a demandé les sources de leur affirmation. Il est possible que les dirigeants iraniens aient accusé certaines femmes d'impiété, etc.. Mais pourquoi auraient-ils forgé un mot avec une racine grecque, alors que les langues arabes et perses sont riches de mots pour désigner les adversaires de l'islam? Sans être un islamologue, je connaissais le mot taghut, dont la presse francophone avait signalé l'usage.

Citer une déclaration, des articles de la presse iranienne (en anglais ou en farsi, avec traduction) aurait été le minimum minimorum pour un article sérieux. Rien de tout cela.

Mais c'est passé comme une lettre à la poste, et personne ne s'est demandé comment le mot était passé du farsi aux langues anglaise et française. D'autres ont inventé une version différente : le mot islamophobie serait une invention des frères musulmans, sans plus de preuves.

A l'inverse, le genèse du mot "antisémitisme" est parfaitement connue et sourcée : c'est un raciste allemand, Wilhelm Marr, qui l'a inventé.

Aujourd'hui, beaucoup de ressources bibliographiques sont en ligne. Une recherche sur Gallica montre que les termes islamophobie et islamophilie ont été employés pour la première fois en 1910 et 1912 par des administrateurs coloniaux, ethnologues et juristes français, Alain Quellien et Maurice Delacote

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6152175h.r=islamophobie?rk=85837;2#

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103565h/f227.image.r=islamophobie?rk=150215;2#

L'origine du mot islamophobie.
L'origine du mot islamophobie.
L'origine du mot islamophobie.
L'origine du mot islamophobie.

La lecture de ces textes montre que les rédacteurs connaissent les sociétés dont ils parlent, et le prisme colonial ne les empêche pas de dire des choses plus intelligentes que celles qu'on lit trop souvent hélas aujourd'hui.

Pris en bloc, l'état d'esprit des musulmans du Haut-Sénégal-Niger ne paraît pas opposé à notre civilisation si certains partis nous ont fait de l'opposition, ce n'est pas parce que nous sommes une nation chrétienne, mais simplement parce que notre action a menacé l'indépendance jusqu'ici absolue de chefs turbulents ou de tribus pillardes que ces chefs ou ceux qui cherchent à soulever ces tribus mettent en avant la question religieuse et prêchent la guerre sainte contre les infidèles, rien de plus naturel mais la religion est ici un masque et non une cause, et le sultan du Maroc chercherait à établir sa domination sur la Mauritanie qu'il rencontrerait tout autant d'hostilité que la France, sinon plus.

Quoi qu'en disent ceux pour qui l'islamophobie est un principe d'administration indigène, la France n'a rien de plus à craindre des musulmans au Soudan que des non musulmans. Les uns et les autres nous considèrent comme des maîtres parfois gênants, parfois utiles, généralement bienveillants, et nous subissent avec plus ou moins de facilité selon la nature de leur caractère et la diversité de leurs intérêts. Ceux d'entre eux qui désireraient le plus ardemment nous voir partir du pays et il s'en trouve certainement dans la haute classe sinon dans la plèbe le désirent, non pas parce que nous ne sommes pas de leur foi, mais simplement parce que nous ne sommes ni de leur race, ni de leur mentalité, ni de leur sol, en un mot parce que nous sommes « l'étranger ».

L'islamophobie n'a donc pas de raison d'être au Soudan, mais, par contre, l'islamophilie, dans le sens d'une préférence accordée aux musulmans ou d'un encouragement à la propagation de l'islamisme, constituerait également une erreur fort grave, en créant un sentiment de méfiance parmi les populations animistes, qui se trouvent être les plus nombreuses et qui, à certains égards, sont plus accessibles à nos idées que les populations musulmanes.

(Maurice Delacote, pages 211 et 212)

En 2012, deux chercheurs français ont signalé ces ouvrages et également démontré que le terme n'existait pas en farsi (persan).

Mais ce n'est pas tout, la BNF a créé un site payant consacré à la presse française. https://www.retronews.fr/

Un recherche plein texte montre que le terme est employé aussi dans la presse coloniale, avec une permière occurrence en 1899 !

L'origine du mot islamophobie.

Article paru le 7 décembre 1899, à propos des relations entre le sultan ottoman et les Senoussis de Lybie (donc avant la conquête italienne de 1912).

Des événements mystérieux — et qu’on ne se préoccupe pas assez d'éclaircir — se produisent dans le monde de l’Islam. Le cheikh Senoussi vient de quitter les oasis de la Tripolitaine, où cependant il était en sécurité parfaite, pour aller s'établir du côté du Bornou. En même temps, une « expédition » disent les uns, une « mission » disent les autres, part de Tripoli pour le Wadoï, par les ordres du sultan. Presque au même moment, noue apprenons qu’une « conspiration » vient d’être découverte et réprimée —par l’exécution secrète et immédiate des accusés — à Constantinople ; et ce qui ne laisse pas que d’être sur prenant,c'est que les « coupables » sont non pas des Arméniens, mais des personnages officiels ; non pas des soldats ou des fonctionnaires civils, mais des personnages religieux, des aléas, des muftis, des sommités du clergé musulman Le dessous des commentaires infiniment variés et contradictoires ont cours eu Europe.

Les islamophiles affirment qu’un grand mouvement de rénovation, quelque chose comme une réforme spontanée se produit dans les milieux éclairés du monde religieux.Un grand parti se serait formé parmi les chefs de la foi et ce parti tendrait à se rapprocher de la civilisation, à fraterniser, pour ainsi dire avec le monde moderne. Une sorte de 89 commencerait pour les populations de l’Islam; la liberté,la tolérance, le progrès entreraient désormais dans les conceptions des docteurs de la foi. L’islamisme, en un mot, serait en train de faire ; peau neuve et d’arborer les principes les j plu-libéraux de la civilisation moderne..

Les islamophobes au contraire, voient dans ces avènements, mal connus et point du tout expliqués, les symptômes d’une recrudescence violente du fanatisme musulman. Mais, même dans cet ordre d’idées, deux opinions différentes se formulant : selon les uns, c’est le Sultan qui provoque et dirige ce mouvement, selon les antres, ce sont les intransigeants de la foi, les ultra du mahométisme qui, trouvant le sultan tiédi ou gênant, veulent établir dans toute sa pureté le régime théocratique, le pouvoir absolu des ministres de la religion, au moyen d’une conspiration de palais aboutissant à un changement de souverain.

L'origine du mot islamophobie.
L'origine du mot islamophobie.

En conclusion, un mot soi-disant persan était employé en France il y a plus d'un siècle !!

Une synthèse par Radio-France :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/islamophobie-dialogue-de-sourds-et-faux-proces-la-vraie-histoire-du-mot-3482182

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