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Le blog de François MUNIER

L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1884). Le lac d'Ourmiah

9 Mai 2018 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Iran

L'Iran (Perse) dans la Géographie universelle d'Élisée Reclus (1884). Le lac d'Ourmiah

Page 180

Au nord-ouest du plateau d'Iran, mais déjà dans la région des hautes terres arméniennes, se trouve le plus vaste réservoir d'eau de la Perse, le seul qui mérite vraiment le nom de lac : c'est la Dariatcha ou « Petite Mer », le lac d'Ourmiah, de Maragha ou de l'Armenistan, que domine à l'orient le haut massif du Sehend. Les îles du lac, ses promontoires, la montagne dont les roches plongent dans l'eau, la vue grandiose de l'Ararat neigeux, varient les tableaux à l'infini ; les bords, arrosés par des pluies plus abondantes que celles de la Perse méridionale, ont plus de bosquets ils sont aussi moins déserts et des villes, des bourgs, des châteaux se montrent sur tout le pourtour des rivages.

N° 29. La d'Ourmiah (page 181) . Taille originale de la carte 11 x12 cm

N° 29. La d'Ourmiah (page 181) . Taille originale de la carte 11 x12 cm

Mais la « Petite Mer » est loin d'offrir des abîmes comparables à ceux des lacs de l'Europe centrale : la partie la plus creuse du bassin, mesurée par Monteith, vers l'extrémité nord-occidentale, est seulement de 14 mètres. En moyenne, l'épaisseur d'eau ne dépasse probablement pas 5 mètres : ainsi, quoique s'étendant sur un espace d'environ 4000 kilomètres carrés, le lac d'Ourmiah représente pourtant un volume liquide de six à huit fois moins considérable que le Léman, qui est d'une si faible étendue relative. Il est à remarquer qu'au large de la ville d'Ourmiah le lac s'abaisse de la rive occidentale à la rive orientale par une succession de cinq plateaux d'une régularité parfaite : d'abord, la sonde marque uniformément un mètre, puis deux mètres et demi, et successivement quatre, six et sept mètres. En certains endroits, les rives marécageuses se continuent au loin par des fonds à peine immergés de quelques centimètres. Plus de cinquante îles et récifs se dressent au-dessus de l'eau, et dans le nombre il en est trois, l'île des Chevaux, l'île des Moutons et l'île des Anes, qui sont assez grandes pour que les riverains les utilisent comme terres de culture et de pâturages. L'eau du lac d'Ourmiah est plus saline et plus riche en iode que celle de la mer, plus même que celle de la mer Morte : les nageurs ne peuvent y plonger et leur corps se recouvre aussitôt d'une couche de sel brillant au soleil comme la poussière de diamant; d'après Wagner, les bains pris dans cette eau saline et iodurée seraient souverains pour la guérison de diverses maladies; tandis que l'eau de l'Océan ne contient en sels qu'un trentième de son poids, le lac d'Ourmiah en donne un cinquième1. Dès que le vent souffle, une écume salée se forme en grandes nappes à la surface de l'eau; sur les vases des bords, le sel se dépose en dalles de plusieurs décimètres d'épaisseur, ayant en certains endroits cinq et six kilomètres de large. Les habitants de la contrée pourraient à leur aise venir y faire leur provision de sel comme en carrière; dans les endroits où le bord est facilement accessible, ils ont établi des salines semblables à celles des plages méditerranéennes; mais en général ils préfèrent le sel gemme des montagnes voisines, plus facile à obtenir et d'une plus grande pureté. Aucun poisson, aucune espèce de mollusque ne vit dans les eaux du lac, mais on y voit par myriades de petits crustacés à queue fine, constituant une espèce particulière2 ils servent de nourriture à des cygnes et à d'autres oiseaux qui viennent s'abattre en bandes sur le lac. On y trouve aussi des espèces d'insectes qui n'existent point ailleurs, et une flore saline spéciale est née dans les vases qui bordent les rivages et qui rendent presque tout le pourtour du lac absolument inabordable. Ces masses limoneuses, noirâtres ou d'un vert sombre, offrant parfois des reflets métalliques et répandant une odeur infecte, occupent une large zone au bord du lac et se continuent au-dessous de la surface jusqu'à une grande distance : elles renferment de la magnésie, du fer, ainsi qu'une très forte proportion de débris organiques; les résidus huileux de cette décomposition donnent une telle consistance à la surface liquide, que, même sous l'impulsion d'une brise violente, l'eau poussée contre les plages ne se soulève pas en vagues ; en hiver, cette masse. à demi congelée, se change en une espèce de bouillie.

Des fontaines abondantes jaillissent du fond du lac en maints endroits, traversant la masse saline de leurs colonnes d'eau pure; mais les sources les plus remarquables coulent près du rivage, au nord-ouest du lac, dans le voisinage de la plaine du Selmas, et au sud-est, non loin du village de Dihkergan. Ces sources sont connues sous le nom de « fontaines de marbre » ; d'après l'opinion commune des indigènes, que partagent la plupart des voyageurs européens, elles déposeraient en effet des couches marmoréennes ; c'est à elles certainement qu'il faut attribuer la formation de ces assises que l'on exploite dans les environs de Dihkergan et qui ont fourni des matériaux aux plus beaux palais de la Perse et de l'Asie Antérieure. Ce « marbre de Tabriz » est ordinairement d'un blanc de' lait, jaunâtre ou rosé, et présente l'éclat du quartz; souvent il forme des concrétions pareilles aux stalactites, et les oxydes qu'il contient le nuancent des plus belles couleurs. Il s'est très probablement déposé à l'époque où les fontaines, dont la température actuelle ne dépasse pas 18 degrés centigrades, avaient une chaleur beaucoup plus élevée; de nos jours, elles ne laissent plus à leur issue que de petits feuillets très minces et d'un blanc de neige, d'ailleurs complètement semblables en composition au marbre du voisinage. En outre, les sources déposent des tufs grossiers, dont quelques-uns se mêlent au limon en agglomérations noirâtres. La plupart des sources jaillissent de cônes de travertin qu'elles ont elles-mêmes déposés; quand elles ont obstrué leurs issues, elles s'ouvrent un passage au pied des anciennes buttes et en érigent graduellement de nouvelles3.

Le niveau du lac d'Ourmiah a fréquemment changé. D'après la tradition des riverains, le bassin s'étendait jadis sur un espace beaucoup plus considérable; mais il fut aussi un temps où il était réduit à de bien moindres dimensions : un monstre prodigieux, disent-ils, vit au fond du lac et tantôt boit, tantôt revomit les eaux de la Petite Mer. Que le lac d'Ourmiah ait été plus étendu jadis, l'aspect même de la contrée le démontre; d'anciennes plages se prolongent au loin à une distance considérable du rivage actuel , sur le pourtour de rochers maintenant éloignés des flots ; des îles, telles que la montagne de Chahi ou mieux Chah-i-kouh, au nord-ouest du lac, vers Tabriz, sont devenues des péninsules, et des presqu'îles se sont de tous les côtés rattachées à la terré ferme. Mais, d'autre part, le lac avait été autrefois assez bas pour qu'un souverain des âges mythiques, Roustem ou Djemchild, ait pu construire à travers la partie méridionale du bassin, entre Ourmiah et la rive opposée, une digue servant en même temps de chemin pour les hommes et les chars : nombre d'indigènes prétendent avoir vu les vestiges de cette chaussée sous l'eau transparente; au commencement du siècle, un chef afchar, n'ayant pas d'autre moyen de traverser le lac, aurait suivi la digue, sans y trouver nulle part plus de quatre pieds d'eau4.

Depuis que des Européens visitent la contrée, l'abaissement du niveau lacustre a été considérable, ce qui s'explique d'ailleurs par le fait que les cultures se sont étendues, utilisant par conséquent les eaux d'irrigation d'une manière plus complète. L'accroissement et la diminution du territoire cultivé ont sur la contenance du bassin lacustre une influence directe, probablement plus importante que les oscillations du climat avec leur alternance de sécheresse et d'humidité. Que les versants du lac se couvrent de -champs cultivés, et l'eau, retenue en route, ne peut plus atteindre la cavité centrale; qu'ils se dépeuplent au contraire, laissant les torrents reprendre la liberté de leur cours, le bassin dans lequel ils se jettent s'accroît de nouveau. La ligne changeante des plages indique ainsi par ses empiètements et ses reculs les balancements de l'histoire elle-même pour les populations riveraines : c'est là un phénomène analogue à celui que Humboldt et Boussingault ont décrit pour le lac de Ticaragua ou Valencia; mais sur les bords de la mer de l'Azerbeïdjan, les résultats doivent être beaucoup plus considérables. Le bassin du lac d'Ourmiah, jusqu'à la ligne de partage où naissent tous ses affluents, dépasse 50 000 kilomètres carrés, et la masse d'eau pluviale tombée dans cette région, ne fût-elle en moyenne que de 25 centimètres par an, représente une masse totale d'au moins dix milliards de mètres cubes, soit à peu près la moitié de l'eau amassée dans la .cavité centrale. Suivant la proportion des écoulements, que règle la culture des terres environnantes, lès contours du lac doivent changer d'autant plus rapidement que la nappe d'eau s'étale-en moindres épaisseurs. Puisque la superficie du lac Majeur, pourtant si profond, change d'une quarantaine de kilomètres carrés entre' la période des sécheresses et celle des crues, on peut juger des alternances que présente la surface du lac d'Ourmiah, dont une si grande partie n'est guère qu'un marécage. La navigation ne peut évidemment avoir d'importance sur ce bassin sans profondeur : cependant quelques bateaux à voile voguent dans les parages éloignés des bas-fonds; le transport des marchandises et de rares voyageurs se fait ordinairement au moyen de radeaux. En 1838, un oncle du chah s'était fait nommer grand-amiral du lac, et tout d'abord, pour établir son monopole de navigation, il avait commencé par saisir et briser tous les bateaux appartenant à des particuliers5.

1 Poids spécifique de l'eau du lac d'Ourmiah : 1,1555.

(Hitchcock ; — Loftus, Quarterly Journal of the Geological Society, aug. 1, 1855.)

2 Moritz Wagner, Reise nach Pei-sien und dem Lande der Kurden.

3 Chardin, Voyages en Perse; — Moritz Wagner, ouvrage cité.

4 Carl Ritter, ouvrage cité; — H. Rawlinson etc

5 Rawlinson, Journal of the Geographical Society, 1880.

Je suis passé à Ourmiah en 2016. La situation ne s'est pas améliorée. Il y a maintenant un pont à péage pour passer d'une rive à l'autre, de Tabriz à Ourmiah (croix X sur la carte)

 

Capture d'écran Google Earth
Capture d'écran Google Earth

Capture d'écran Google Earth

L'eau a des reflets rouges, mais la lac reste un lieu de destination pour les touristes.

L'Iran (Perse)  vu par Élisée Reclus (1884). Le lac d'Ourmiah
L'Iran (Perse)  vu par Élisée Reclus (1884). Le lac d'Ourmiah
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