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Le blog de François MUNIER

La Caucasie russe. Élisée Reclus (1)

23 Août 2011 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Arménie, #Élisée Reclus, #Asie

VIII ÉTAT GÉNÉRAL ET ADMINISTRATION DE LA CAUCASIE

 

Les Russes ne sont pas des nouveaux venus en Caucasie. Ceux du Tmoutatakan peuplaient une partie du bassin de la Kouban dès la fin du dixième siècle, et déjà en 914 des « Russiques » s'étaient présentés devant Berda, au pied des montagnes de Karabagh. Il y a plus de deux cents ans, Étienne Razin pillait Bakou, et en 1723 Pierre le Grand poussait ses conquêtes jusque dans la Perse actuelle. Depuis plus d'un siècle, la puissance russe a pris pied dans la région transcaucasienne, et les provinces se sont successivement ajoutées à l'empire, soit par conquête, soit par achat et annexion pacifique. Comparée à la plupart des pays d'Europe, la Caucasie s'est donc trouvée pendant les cent dernières années dans une situation tout à fait anormale ; cependant la partie la plus populeuse et la plus riche de la contrée, celle qui servit de point d'appui aux armées pour leur permettre d'annexer peu à peu toute la région transcaucasienne, appartient à la Russie depuis le commencement du siècle.

La population des régions caucasiennes, encore inférieure à celle de la Russie d'Europe, s'est accrue rapidement depuis la conquête, malgré les guerres, les émigrations, les exils en masse, malgré l'insalubrité de quelques districts. L'immigration des Cosaques et des paysans russes, celle des Arméniens fugitifs ont compensé les départs, et l'accroissement des habitants par l'excès des naissances s'est produit régulièrement dans tous les districts de la contrée, même chez les immigrants slaves. Au commencement de l'occupation armée, la Caucasie était le « tombeau des Russes ». Les fièvres faisaient plus que décimer les malades pendant le cours de l'année. Mais l'expérience, l'emploi de la quinine, une meilleure hygiène et, çà et là, le dessèchement des terres marécageuses, ont singulièrement amélioré la situation, et maintenant la mortalité des Russes est moins grande au Caucase que dans la Russie proprement dite. C'est un phénomène analogue à celui que l'on a observé en Algérie, où les immigrants français et espagnols, ont su s'accommoder graduellement au climat et en même temps se le rendre plus propice1. Le taux actuel de la mortalité, par rapport aux naissances, est moindre en Caucasie que dans toutes les autres parties de l'empire russe, et même le pays occupe à cet égard un des premiers rangs parmi les contrées du monde. D'après Bunge, le nombre des morts ne représente en moyenne, dans les provinces du Caucase, que les deux tiers des naissances, tandis qu'il est proportionnellement plus considérable dans le reste de l'empire russe, en France, en Angleterre, en Autriche et même en Allemagne2. La proportion des suicides est assez forte au Caucase et la statistique signale ce fait remarquable, qu'ils sont à peu près égaux entre les deux sexes. C'est là un contraste frappant avec l'Europe, où la proportion des suicides d'hommes est de trois à quatre fois supérieure à celle des suicides de femmes. Chez quelques races de la Caucasie, chez les Arméniens et les Osses, plus de femmes que d'hommes en finissent violemment avec la vie. La cause de ce contraste doit-elle être cherchée pour les Arméniennes dans le mutisme forcé des femmes, dans l'ennui mortel de la routine journalière, et pour les Osses, dans la brutalité des maris? L'instinct poétique des femmes, qui se révèle en Caucasie par des improvisations, des chants, des accents passionnés, doit se heurter souvent aux dures nécessités de la servitude domestique3.

Une grande partie des régions caucasiennes, s'élevant au-dessus de la zone des céréales, ne peut guère être habitée que par des peuples de pâtres; mais, outre les contrées que les neiges et les glaces interdisent au cultivateur, il est aussi de vastes étendues que l'homme lui-même a stérilisées par ses dévastations, et qu'il pourrait facilement reconquérir : ce sont les plaines sèches, dont les canaux se sont taris ou qui n'ont jamais été arrosées, quoique dans le voisinage des eaux courantes. La vaste plaine d'Etchmiadzin et d'Erivan, celles de la basse Koura et du bas Araxe ne se sont-elles pas changées en déserts, du moins partiellement, depuis que les canaux d'irrigation sont fermés par les boues et les joncs? La « mésopotamie » formée par l'Ałazan, la Yora, la Koura, n'est-elle pas une steppe sans population, quoique des rivières abondantes l'entourent de toutes parts? Des millions d'hommes ont disparu de la Transcaucasie avec le réseau d'arrosement des anciens peuples; d'autres millions d'hommes naîtront sur les rivières dérivées qui se creuseront bientôt. Là où passe le flot vivifiant, germent les plantes et les cités. La terre se peuple et s'assainit à la fois; les champs prennent la place des marécages.

 

1 Mortalité de l'armée du Caucase :

1857, un cas de mort sur 9 malades |1846, un cas de mort sur 11 malades |1862, un cas de mort sur 41 malades.

Mortalité totale en 1864 : 25 sur 1000 | Mortalité totale en 1872: 19,86 sur 1000 | Mortalité totale du district de Moscou : 41,11 sur 1000.

2 Cours de statistique (en russe).

Caucasie : Naissances sur 1000 habitants 37.9. Morts : 25.2

Russie 47.8. 34.7

Royaume-Uni 35.6 22.7

France 26.6. 23

3 Stalinskiy, Sbornik Sv'ed'eniy o Kavkazé, I, 1871.

La Caucasie russe. Élisée Reclus (1)
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