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Le blog de François MUNIER

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot

24 Mars 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Histoire du 79ème RI, #Guerre 1939-1945, #Bas-Rhin

Bulletin de 1991

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot

Le 10 juin 1990 la France a commémoré le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot. La cérémonie s'est déroulée devant l'entrée de l'ouvrage de Schoenenbourg.

Cet ouvrage, situé à une quarantaine de kilomètres au Nord de Strasbourg, est un de ceux qui a le plus souffert des bombardements allemands. On estime à trois mille le nombre d'obus de tous calibres tombés dans le secteur.

Mais de leur côté, les artilleurs de Schoenenbourg ont tiré entre le 14 et le 25 juin 1940: 12.776 obus de 75 mm et 612 obus de 81 mm. C'est surtout le 20 juin que nos artilleurs se sont distingués. Sur demande de la casemate d'Aschbach Ouest, ils ont fourni un tir de barrage sur le ravin Miconnet, à 300 mètres à l'Ouest du bourg d'Aschbach où l'ennemi s'était infiltré, avec une rapidité et une précision qui méritent d'être soulignées. Leur intervention a certainement été décisive dans l'issue des combats. L'ennemi mis en déroute s'est retiré, laissant sur place huit morts et un matériel important. ll y avait même un énorme drapeau à croix gammée. Le gefreite (caporal) Freytag, s'il est encore en vie pourra parler en connaissance de cause. ll se trouvait dans le ravin lorsque les premiers obus sont tombés. Il n'a trouvé son salut que dans la fuite comme bon nombre de ses compagnons. ll est revenu huit jours plus tard pour récupérer son sac à paquetage. ll ne cessait de maudire ces canons du diable que les Allemands appelaient les Ratsch-Boum.

On sait qu'après le 10 juin 1940 les troupes d'intervalles et certains avant-postes ont été retirés. Les casemates étaient pratiquement seules pour se défendre. Les Allemands se sont rapidement rendu compte de la situation et ont attaqué les quelques avant-postes encore tenus. Il y eut même des combats au corps à corps.

Le 19 juin, la cloche d'observation d'artillerie de la casemate d'Aschbach Est a été fortement endommagée par des obus de 88 mm.

Mais c'est le 20 juin que les combats ont été les plus durs dans le secteur. Cinq Français ont trouvé la mort et les Allemands ont abandonné douze cadavres sur place.

Vers 13 heures 30 un avion d'observation ennemi a survolé les casemates d'Aschbach et d'Oberroedern. Cet avion était occupé par le Hauptmann (capitaine) Von der Heyde, un universitaire dont l'épouse est Française. En 1945 le Oberst (colonel) Von der Heyde s'est distingué dans les Ardennes où il commandait des troupes aéroportées de Von Rundstett.

L'avion d'observation était suivi de près par plusieurs vagues de Stukas. Les Stukas (Sturskampfflugzeug) étaient des bombardiers qui piquaient droit sur leur objectif pour lancer des chapelets de trois ou quatre petites et d'une grande bombes. Pendant leur mouvement ils émettaient un bruit de sirène particulièrement démoralisant. Les bombes créaient des cratères d'un diamètre de 5 mètres et d'une profondeur de trois à quatre mètres. Les casemates étaient secouées comme un navire dans la tempête. Les services de renseignements français n'avaient jamais parlé de l’existence de ces engins.

Les trois casemates de Hoffen ont été bombardées en premier. Elles ont résisté et le personnel a conservé son moral.

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot
Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot

Puis ce fut le tour des Aschbach Ouest et Est. A part la destruction des lignes téléphoniques reliant les casemates entre elles et de l'antenne radio il n'y eut pas d'autres dégâts.

La casemate d'Oberroedern Nord a le plus souffert. Un pilote particulièrement maître de son appareil a réussi à placer une bombe dans le fossé diamant. Sous la violence de l'explosion le mur du sous-sol a été enfoncé.

Les casemates d`Oberroedern Sud, de la Seltz et de Hatten Nord n'ont pas subi de dégâts particuliers.

Après le passage des avions ce fut l'attaque de l'infanterie, les Stosstrupp.

A Oberroedern Sud, la casemate commandée par le lieutenant Rieffel a été immédiatement prise sous le feu des canons anti-chars. Le sergent Delsart avait remarqué une pièce installée derrière le carrefour ” Bellevue " entre Stundwiller et Buhl. Cette casemate ne comportant pas de Cloche de tir. Delsart a retiré l’épiscope du créneau de la cloche de guet pour y placer le fusil mitrailleur. Il a eu la tête arrachée par un obus placé en plein dans le créneau. Le lieutenant Rieffel a de suite repris la situation en mains et l'ennemi a été tenu à distance pendant toute la journée.

La casemate d'Oberroedern Nord avait été fortement endommagée à hauteur de la chambre de repos. Pour maintenir la surpression atmosphérique la brèche a été bouchée avec des matelas et des paquetages. A un moment donné le chef de la chambre de tir a voulu observer le réseau rails à l'aide de la lunette de pointage du canon de 47 mm. Là, il a eu la stupéfaction de voir un Allemand, au bord du fossé diamant, se tenant au tube même du canon pour déposer un paquet sur le créneau. Le réflexe fut immédiat. Un obus était engagé dans le canon, il ne restait qu'à faire partir le coup. Par la suite on a retrouvé le cadavre déchiqueté sur plus de deux cents mètres à la ronde.

A l'arrière de la casemate, un feldgrau a réussi à pénétrer dans le fossé diamant, tout près de l'endroit où le sous-sol avait été éventré. ll y eut un échange de coups de feu et c'est finalement un coup de pistolet tiré par le créneau de la porte qui a mis fin au combat. L'Allemand est mort dans le fossé diamant.

Un troisième Feldgrau a réussi à atteindre le remblai Ouest de la casemate. ll a été abattu par les tirs conjugués des casemates de Hoffen et d'Aschbach Est. La casemate d'Oberroedern Nord était commandée par le lieutenant Vialle qui a entraîné ses hommes d'une façon remarquable. Il était partout et avait un mot d'encouragement pour chacun. A un moment donné l'équipage a même en- tonné la Marseillaise.

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot
Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot

Entre les casemates d’Oberroedern Nord et celles d'Aschbach un point d'appui tenu par le sergent-chef Kerneis et deux hommes avait pour mission de surveiller le réseau-rails. Un Allemand a réussi à s'approcher du blockhaus ; le chef Kerneis et le soldat Thomas ont été mortellement blessés. Ils sont morts carbonisés. Leur camarade a pu s'échapper et a trouvé refuge à la casemate d'Oberroedern Nord. Le chef Kerneis avait lui-même construit son blockhaus fin 1939. La trémie destinée à renforcer le créneau ne lui a été livrée que courant mars 1940. Elle avait été déposée devant et à droite dudit créneau. L'Allemand s'est caché derrière et de là il a pu lancer la grenade dans le blockhaus. Il a été abattu par la casemate d'Aschbach Est. Lorsqu'il a été retrouvé huit jours plus tard, il se trouvait déjà dans un état de décomposition avancée.

Profitant du passage des Stuckas, l'ennemi partant de la lisière du bourg d'Aschbach a cherché à atteindre le ravin Miconnet situé à trois cents mètres à l'Ouest. De là, il aurait pu encercler les deux casemates d'Aschbach. Le terrain particulièrement accidenté à cet endroit lui offrait un gros avantage. Mais il a été stoppé dans son élan par le tir des cloches de tir et de guet. A un moment donné un canon anti-chars de petit calibre, bien dissimulé près du ravin a atteint le cache-flamme du F.M. de la cloche de guet d'Aschbach Ouest. Ce fut la bousculade dans la cloche, mais le F.M. a conservé sa puissance de feu. Le canon a de suite été pris sous le feu de la cloche de tir et réduit au silence. Par la suite il est réapparu en bordure du village d'Aschbach. De là, il n'a tiré qu'un seul obus dont l'impact est toujours visible sur la cloche de tir qui a répondu sur le champ. Une vingtaine de minutes plus tard les servants de la cloche de tir ont remarqué une animation à l'endroit où se trouvait le canon. C'étaient des brancardiers qui agitaient leur drapeau. Ils ont évacué les blessés et la pièce est restée muette jusqu'à la nuit. Le lendemain matin elle avait disparu. Quant au personnel de la cloche de tir, il a respecté les conventions de Genève, très impressionné par le courage des brancardiers.

Vers 17 heures 30, le guetteur d'Aschbach Ouest a remarqué une présence insolite dans un arbre du ravin Miconnet. ll n'y avait pas de doute l'ennemi s'est infiltré dans le ravin en faisant un grand détour. L'intervention de l'Artillerie de Schoenenbourg a été demandée aussitôt. Les artilleurs ont répondu avec une rapidité et une précision qui leur font honneur. Dans le ravin il dut y avoir un certain affolement. Le personnel de la chambre de tir a dû intervenir avec le jumelage car l'ennemi a cherché à traverser le réseau-rails. Les cloches de tir et de guet ont également dû inter- venir car des Allemands sortant à l'autre extrémité du ravin cherchaient à atteindre le bourg d'Aschbach.

A noter que le ravin Miconnet était défendu par un blockhaus tenu par les soldats Rossi et Boudault qui ont été trouvés morts à leur poste le matin même. Ils avaient été tués au cours de la nuit par un boulet de rupture.

Les Français ont donc perdu cinq des leurs ce jour-là dans le sous-secteur de Hoffen. Vers 18 heures le calme est revenu. Deux membres de la casemate d'Aschbach Ouest ont alors effectué une liaison avec Aschbach Est. Là tout le personnel avait gardé un très bon moral bien qu'une cloche de guet avait été fortement endommagée par les tirs d'un canon de 88 mm installé près de Buhl. Cette même pièce s'était également acharnée sur Aschbach Est où la paroi avant avait été endommagée à gauche de la cloche de tir. Les cache-flamme du jumelage avaient d'ailleurs été endommagés.

Vers 19 heures une liaison téléphonique a pu être établie entre Aschbach Ouest et le P.C. du capitaine Quinet. " Tout va bien mon capitaine aux deux Aschbach nous tenons le coup. Tout semble normal à Oberroedern Nord. ” Quel soulagement pour le capitaine qui avait toutefois une mauvaise nouvelle à annoncer, la mort du capitaine sergent Delsart. Le capitaine Quinet a donc gardé le contact avec sa compagnie.

La nuit a été calme, le lendemain quelques obus sont encore tombés sur les casemates, mais l'infanterie n'est plus intervenue. La porte de la casemate d'Aschbach Ouest a été touchée par un boulet de rupture tiré de l'arrière, mais il n'y a pas eu trop de mal. Un gradé débrouillard d'Aschbach Ouest avait réussi à faire fonctionner son poste radio. Le personnel était donc au courant de ce qui se passait sur le territoire français. Il a même eu connaissance de l'appel du 18 juin lancé depuis Londres par le général de Gaulle.

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot

Les jours qui suivirent étaient calmes et les équipages vivaient dans l'attente " gardant le doigt sur la détente " prêts à reprendre le combat. Personne ne se considérait vaincu. On avait encore des munitions et de la nourriture. ll n'y avait que le sel qui nous manquait. La réserve du sel était remplacée régulièrement. Le lot avait été retiré mais Fintendance n'a pas eu le temps de le remplacer. Un petit détail qui nous fait rire actuellement.

Puis on a commencé à enterrer les morts, nos camarades d'abord, puis les Allemands restés sur place. ll y en avait douze pour les trois casemates.

Dans le ravin Miconnet ce fut la surprise. Le personnel de la 22 casemate d'Aschbach Ouest y a trouvé huit cadavres et un important matériel, des armes de toutes sortes, des paquetages et même un énorme drapeau à croix gammée. Le 28 juin ces morts ont été enterrés, le drapeau leur a servi de linceul. Les Français leur ont même rendu les honneurs militaires observés de loin par les rescapés du carnage. Ceux-là ont pu se rendre compte que la devise des gens du béton: ” ON NE PASSE PAS ” était bien une réalité. Le lendemain une délégation allemande est venue recenser les morts et récupérer le matériel abandonné. Un membre de cette délégation, le Gefreite Freytag s'est dépêché de récupérer son (Tornister) sac à paquetage.

Tout le monde fustlgeait les ” RATSCH BOUM " c'est ainsi que les Allemands appelaient nos canons de 75 mm. Des engins du diable comme ils disaient. Ils étaient peu loquaces mais ont néanmoins reconnu avoir subi de très lourdes pertes.

Nos camarades ont d’abord été enterrés sur place, puis ils ont été regroupés près de |'abri du Grassersloch. Finalement les autorités allemandes leur ont réservé une parcelle au cimetière de Hoffen.

Dans les casemates on vivait dans l'attente. Les ordres et contre-ordres se succédaient. Puis on a pu entendre à la radio: " La non-reddition sans condition constituerait une violation au traité d'armistice et nous ne tarderons pas à reprendre les hostilités. L'ennemi a donné son avis, il était clair.

A compter du premier juillet les équipages se sont mis en route pour rejoindre les cantonnements à l’arrière convaincus qu'ils seront dirigés sur la zone libre. Hélas on connaît la suite.

A Haguenau par exemple, le sinistre Robert Ernst, un Alsacien expulsé en 1919 a fait le tour des casernes pour annoncer aux combattants qu'ils étaient bel et bien prisonniers. Il a même ajouté que les Alsaciens seront libérés et que des mauvaises langues prétendaient qu'ils seront libérés pour être incorporés dans l'Armée Allemande. Lorsque nous aurons besoin des Alsaciens a-t-il ajouté la guerre sera perdue pour nous... Là aussi on a connu la suite.

Donc le 1°' juillet le drapeau français flottait encore sur les casemates de la Ligne Maginot, notamment dans le secteur fortifié de la Lauter. Or le 19 mars 1945, à une vingtaine de kilomètres au Nord d'Aschbach, à Scheibenhardt en Allemagne les éléments avancés de la 5° Division Blindée du général de Lattre de Tassigny ont planté le premier drapeau tricolore en territoire allemand. Ce jour-là grâce au fair play des Américains, le 96e Bataillon du Génie sous les ordres du colonel De Douhet, a lancé le premier pont sur la Lauter, permettant ainsi au 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens ainsi qu'au 6e Régiment de Chasseurs d'Afrique de prendre pied en territoire allemand. A noter qu'il y a deux villages de Scheibenhardt, l'un en France, l'autre en Allemagne.

Le 29 mars 1945, d'autres éléments de la 5° D.B. ont établi leur cantonnement à Hoffen. Parmi eux il y avait le tireur de la cloche d'Aschbach Ouest. Il avait fait ce jour-là en jeep mais en sens inverse exactement le même chemin qu'il avait parcouru entre Haguenau et Hoffen le 2 juillet 1940. Avec ses camarades, il s'est incliné sur la tombe de nos héros du 20 juin 1940.

Donc le 10 juin prochain nous penserons en premier lieu à nos morts:

Sergent-chef Kerneis

Sergent Delsart

Soldat Thomas

Soldat Rossi

Soldat Boudault.

Mais nous aurons également une pensée pour le capitaine Claude abattu avec son avion le 21 septembre 1939 près de Trimbach. Nous aurons une pensée pour Gilbert Chausson, mortellement blessé près de Trimbach également, au cours d'un engagement du Groupe Franc du 79e R.l.F. Ce Groupe Franc était commandé par le lieutenant Beck qui a été blessé ce jour-là. Le lieutenant Beck avait comme adjoint le sergent-chef Marcel Bigeard, le futur général Bigeard qui parle de cet épisode dans son livre « Pour une parcelle de gloire ».

Gilbert Chausson a été enterré au cimetière militaire de Haguenau. Sa tombe se trouvait en bordure de l'allée transversale où pendant l'occupation elle a été entretenue avec beaucoup de soins par Victor Gass qui se trouvait avec lui lorsqu'il a été blessé. Cette tombe représentait pour les habitants de Haguenauune parcelle de terre de France et nombreux ceux qui allaient s'y recueillir lors de leur passage au cimetière. Les nazis n'appréciaient pas tellement cela et Victor Gass a même effectué deux séjours au sinistre camp d'internement de Schirmeck.

Beaucoup d'entre nous penseront également à l'adjudant- chef Hausberger, un ancien de la C.M. 7 du 79e R.l.F. qui fut l'un des premiers maquisards à tomber sous les balles des Allemands dès 1943 dans la région de Grenoble.

UN CASEMATEUX

P.S. - Le lieutenant Bouilloc a également trouvé la mort en juin 1940 mais je n'ai pas trouvé de précisions sur les circonstances.

NOTA. - Il a été tué par balle à Luxeuil le 18 juin 1940 en effectuant une liaison à moto.

Selon un renseignement de dernière minute, le Oberst Von der Heyde aurait publié ses mémoires de guerre. Dans son livre il parlerait évidemment des combats de la Ligne Maginot et dit: " L'Armée Allemande s'est déshonorée en retenant comme prisonniers de guerre les combattants de la Ligne Maginot pourtant invaincus au moment de la signature du traité d'armistice.

Affaire à suivre.

Le cinquantenaire des combats de la Ligne Maginot
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