Témoignage sur les transmissions pendant la Première guerre mondiale.
Bulletin de 1971 du "Clocheton"
Le service téléphonique au 79e R.I. avant et pendant toute la durée de la guerre 14-18
A la demande fréquemment renouvelée du rédacteur de service du « Clocheton » réclamant la collaboration de tous les membres et ne voulant pas partir pour le dernier voyage sans m'être acquitté « bien maladroitement de cette mission je pense intéresser les quelques camarades survivants en commentant particulièrement le chapitre « Liaisons qui a joué un si grand rôle dans les opérations militaires.
Du premier au dernier jour, ayant tenu un journal de marche, il m'est facile de glaner des renseignements que la mémoire la plus fidèle serait incapable de fournir.
En temps de paix, le téléphone n'était pas très bien vu ; les appareils d'exercice en très mauvais état et petit nombre (1 poste double par bataillon) constituaient un atelier de 6 hommes. Ce personnel assurait rarement un bon service. Est-ce la raison qui voulait que les téléphonistes étaient souvent invisibles durant toute la durée de la manœuvre et ne réapparaissaient qu'au moment de la critique ?
Toutefois, dès le printemps 1914, le commandement semble avoir perçu toute l’importance des transmissions et très fréquemment des concours entre bataillons avaient lieu pour stimuler et perfectionner les différents ateliers de ce service.
Les trois ateliers partaient de la caserne avec trois plis cachetés pour se rendre à trois endroits différents aux environs de Nancy: les plis étaient ouverts en présence d'un officier. Une ligne était à construire par atelier pour relier deux points fixes, un message devait être transmis, la ligne repliée entièrement, le retour à la caserne effectué au pas accéléré, et le premier atelier rentré ayant exécuté correctement toutes les consignes était déclaré vainqueur avec une permission de théâtre pour tout l'atelier soit six téléphonistes.
Parallèlement des exercices de signalisation avec fanion avaient lieu fréquemment de jour puisqu’à ce moment-là, les appareils optiques n’existaient pas au régiment : l'apprentissage du morse était particulièrement poussé.
Vint la mobilisation : aucun effectif militaire n'étant prévu pour la garde des postes téléphoniques civils, du 4 au 8 août, je suis détaché au poste de Seichamps et le sergent Poinsot André au poste de Pulnoy.
Le 2 août 14, le lieutenant Crouzier arrive et prend le commandement du détachement téléphonique avec comme adjoint un adjudant de carrière qui ne possédait aucune aptitude professionnelle sur le plan technique, ce qui provoqua à maintes reprises des conflits internes. Ce sous-officier nous quitta définitivement le 16 septembre 1915 pour raison de santé. Je le remplacerai au détachement téléphonique. A Seichamps, la dotation en matériel et en personnel est augmentée le 5 août 1914 et portée de 3 à 7 ateliers. On aménagé des perches avec bambous pour accrocher les fils après arbres ou saillies des maisons, mais aucun tableau pour central ne fut touché: toutes les lignes doivent être reliées ensemble. Pour faciliter la transmission des messages, il fallait déconnecter les nemployées.
Au 79e, nous avions des petits tableaux très rudimentaires (4 pour le Régiment) à 5 directions, se logeant dans les cartouchières et qui avaient été construits au début de 1914 par les soldats Borrel et Félix du service téléphonique. Ils étaient utilisés avec un appareil à magnéto et commutateurs au chaimp de tir de Bois-l'Evêque afin de commander les différentes équipes en tranchées, affectées à la manœuvre des silhouettes mobiles. Ces tableaux furent utilisés, faute de mieux, jusqu'au début de 1915.
En Belgique, au poste de Saint-Julien, le colonel Pétin aimait beaucoup causer longuement avec ses chefs de bataillon. Pour faciliter ces communications les lignes non utilisées étaient débranchées du tableau. Un jour, l’artillerie tirait trop court : le téléphoniste de service affolé appelait désespérément le central, mais en vain. Il y eut des blessés et même des tués, enquête minutieuse du colonel auprès des responsables. Je fis un rapport circonstancié et demandais la construction urgente d'un tableau utilisant toutes les lignes et permettant, en toutes circonstances, de surveiller et de déceler les appels, de connecter ou de séparer rapidement les lignes.
Je fus envoyé à Dunkerque le 23 décembre 1914, en mission spéciale avec le cantinier Aubert qui avait une voiture, pour acheter le matériel nécessaire dont la dépense fut masquée par un achat de porc fictif !
Au train de combat de Krombeke, les travaux furent exécutés avec les moyens du bord. L’appareil fut mis en service au central téléphonique de Saint-Julien le 1er janvier 1915 à la grande satisfaction de tous.
Le fil téléphonique utilisé au début de la campagne était en acier émaillé enroulé, sur bobines de 500 mètres au moyen d'un bobinoir monté sur un plastron : la manœuvre était assez longue. ll aurait fallu un engrenage multiplicateur qui ne tut malheureusement jamais réalisé faute de machines appropriées à notre disposition.
Ce fil émaillé neuf fonctionnait dans de bonnes conditions, mais au fur et à mesure de son utilisation, l’émail partait peu à peu par suite des frottements divers. L’isolement diminuait parallèlement et par temps humide la transmission des messages ou des communications devenait de plus en plus difficile par suite des pertes avec le sol.
En Belgique où nous avons passé tout l'hiver 14-15, on trouvait en abondance des perches à houblon qu'on utilisait pour supporter et tendre les lignes hors de la portée des voitures ou des troupes.
Seuls, les éclats d'obus les coupaient. Pour les réparer, par nuit opaque, on tâtait la ligne avec une grande gaule et on la suivait jusqu'à la coupure. Mais l'équipe de réparation ne pouvait rentrer que quand la ligne était complètement réparée car une autre coupure pouvait exister plus loin. Pour être sûr du résultat, il leur fallait aller jusqu'au poste correspondant. C'était long, périlleux, sous les bombardements et très fatigant.
Avec du matériel récupéré, les techniciens de l'équipe construisirent de toute urgence des postes volants de dépannage de façon à pouvoir en doter chaque équipe de réparation. Quand, après une réunion par épissure des deux bouts de la ligne coupée, les deux postes terminus répondaient, les réparateurs pouvaient rentrer avec la certitude du devoir accompli.
C'était une très grosse amélioration du service enfin réalisée qui diminuait considérablement la fatigue des réparateurs travaillant souvent dans l'obscurité la plus complète et sous des bombardements hachant les lignes passant au même endroit emmêlant les tronçons.
Mais les centraux de bataillon n'avaient toujours rien de pratique comme tableau de raccordement. Le 5 mars 1915, je fis de nouveau le voyage de Dunkerque avec le cantinier pour rapporter, avec beaucoup de peine (les stocks s'épuisaient) le matériel nécessaire à la construction de trois tableaux de centraux qui furent comme le précédent construits au train de combat régimentaire.
De cette façon, le service téléphonique fut beaucoup amélioré.
Pendant l'hiver 14-15 en Belgique, les techniciens de l’équipe téléphonique du régiment furent très souvent occupés à réparer les postes téléphoniques des artilleurs en position près de nous. Ils se servaient d'un matériel vraiment défectueux tombant en panne fréquemment.
Différents appareils construits ou fournis furent essayés au régiment de 1915 à 1918.pour améliorer les transmissions : optique avec miroirs d’angle abrités pour passer au-dessus des crêtes, porte-messages expédiés avec tromblon V B1 pour traverser ravins particulièrement bombardés comme celui de Grélines dans l'Aisne, en avril 1917 et épargner ainsi la vie des coureurs.
Des comptes rendus furent fournis au commandement mais n'eurent pas de suite.
A Verdun, les transmissions par le sol (TPS2) furent utilisées : c'était merveilleux. Les bases installées dans les sapes de première ligne étaient à l'abri des obus et on obtenait des portées approchant ou dépassant parfois 10 km. Mais quand les lignes téléphoniques furent hachées par les obus il fallut déchanter : les portées furent considérablement réduites du fait probable que les lignes acheminaient une partie de l’énergie émise par les postes émetteurs. De plus, la recharge des accus au plomb, très lourds, posait -de grands problèmes pour leur transport très pénible à dos d’homme.
Le 9 mai, au cours de l'attaque, un :poste volant construit avec des pièces récupérées à droite et à gauche servit à transmettre directement à la division les progrès de l'attaque qui eut la chance de passer à gauche du labyrinthe où le 26e fut bloqué dès le départ. Nous fûmes un des rares régiments à pouvoir donner exactement au fur et à mesure de la progression nos positions successives. Par une chance inouïe le câble déroulé ne fut par coupé durant toute l'avance.
Mais avec les réactions de l’ennemi cette sécurité ne dura pas et très fréquemment nous avons dû réparer les différentes lignes progressivement hachées par le bombardement.
A l'attalque du 25 septembre 1915 qui, malheureusement, fut beaucoup moins couronnée de succès, un obus de 150 tomba en plein dans le boyau devant le P.C. du colonel tuant deux téléphonistes dont Foucher René.
En Lorraine à Benney, le 30 décembre 1915, une antenne de T.S.F. fut montée après la croix du clocher afin de prendre régulièrement le communiqué allemand pour le colonel.
A partir du 4 janvier 1916 on installe des lampes électriques sur secteur dans divers cantonnements, grâce à un réseau local de distribution alimenté par turbine hydraulique depuis Lemainville.
Le colonel Pétin, outre les conversations, utilisait beaucoup les messages : à cet effet, deux sténos étaient entrés au téléphone :Foucher René, le 1er décembre 1914, et Dulbourg Gaston, le 4 mars 1915. Ils se relayaient pour assurer la prise et la transmission de tous les ordres.
En 1915, au dégel, les tranchées s'éboulaient entraînant les planchettes sur lesquelles étaient fixés les isolateurs bois. Les corvées de soupe ou de matériel arrachaient également les lignes, surtout quand voulant raccourcir leur itinéraire, elles escaladaient ou descendaient les parapets.
Au cours de l’année 1915 le fil téléphonique acier fut progressivement remplacé par le câble léger de campagne, ensuite par le gros câble qui pouvait être enterré. Puis le câble armé fit son apparition pour les endroits bombardés. Mais la réparation des coupures était délicate pour ne pas mettre en court circuit l'âme centrale conductrice avec la gaine extérieure métallique de protection.
Du 27 septembre au 20 octobre 1917, je fus désigné pour suivre un cours de transmission de G.Q.G. à Liancourt. Au retour, un cours fut organisé à l'arrière au C.I.D. pour améliorer les connaissances techniques de l’ensemble du personnel.
Du 23 novembre au 15 décembre 1917, un standard seize directions fut mème construit à Vigneulles au sud de Rosières-aux-salines, par les techniciens de l’équipe régimentaire sous la direction et d’après les plans du chef des transmissions du régiment; le meuble fut exécuté par les sapeurs du lieutenant Poinsot André. Cet appareil fut utilisé avec beaucoup de satisfaction même dans les secteurs tranquilles.
Les annonciateurs et jacks provenaient de tableaux quatre directions démontés mais les clés furent confectionnées avec des douilles d'obus de 37, martelées et découpées, sur lesquelles furent soudés des points de maillechort pour améliorer les contacts lors des commutations.
Du premier au dernier jour de la campagne les téléphonistes de garde étaient obligatoirement auprès de l’appareil pour répondre au premier appel des correspondants et cela de jour comme de nuit. Au 7-9 c'était une consigne absolue qui n'a jamais souffert d'exception. En période opérationnelle le téléphoniste de service veillait à côté de l'appareil et faisait de fréquentes vérifications. Au repos, il dormait à portée du téléphone pour répondre immédiatement au premier appel.
Ces consignes impératives eurent du mal à subsister après le 11 novembre 1918. Un téléphoniste ayant même quitté son poste à cette époque fut relevé de ce service et affecté à une compagnie à titre de sanction ce qui fut diversement commenté par ses camarades.
A la démobilisation, nous avions beaucoup de matériel en supplément grâce à la compréhension du colonel Pétin qui ne craignait pas de demander postes ou fil en certifiant, par état de perte, la nécessité impérieuse de remplacement. De ce fait, nous pouvions relier téléphoniquement au repos beaucoup de bureaux ou détachements et en ligne. assurer un meilleur service continu.
Il me reste à m'excuser de la longueur de ce récit qui peut-être n'intéressera que médiocrement les camarades du 79e J'ai nommé individuellement le moins possible de crainte d’oublier quelques téléphonistes qui tous, du premier au dernier pendant toute la durée des opérations, ont fait tout leur devoir dans des conditions parfois difficiles ou obscures : ils n'en sont que plus méritants.
J'évoque longuement le souvenir de tous ceux du détachement qui sont tombés à leur poste, en service ; fréquemment, au cours de pèlerinages, je visite leur tombe dans les cimetières regroupés (Fouché à Sarain en Champagne, Riotte Georges à la Forestière en Argonne).
Je garde une profonde reconnaissance à tous les rescapés pour tout ce qu'ils ont fait de jour comme de nuit, car c'est grâce au dévouement de tous que le service téléphonique au 79e atteignit un rendement particulièrement élevé, ceci dit sans aucun esprit de démagogie.
Lieutenant Pierre FÉLIX Chef du Service des Transmissions du 79e R.I.
1 Lance-grenade adaptable sur le fusil : https://fr.wikipedia.org/wiki/Viven-Bessi%C3%A8res_(arme)