Témoignage sur les combats de Vrigny (Montagne de Reims) le 25 juillet 1918
En 1928 et 1929, soit une dizaine d'années après l'armistice de 1918, mon père rédigea ou me dicta la plupart de ses souvenirs de la Grande Guerre, qu'il fit comme simple soldat d'infanterie, d'abord au 125e Régiment d’infanterie, puis, comme téléphoniste, au 1er Bataillon du 79e Régiment d’infanterie où il fut affecté en avril 1916. Parmi ces papiers, j'ai retrouvé, rédigé par lui, le récit du combat de Vrigny, le 25 juillet 1918. C'est un récit d'une bataille vue par un simple soldat. Je la reproduis ci-dessous.
André FRAISSE.
COMBAT de VRIGNY
Dans l'obscurité, par des sentiers coupés à intervalles irréguliers de trous faits par des obus de calibres différents, nous gravissons un monticule. La nuit est suffisamment claire pour que nous puissions distinguer, dans les silhouettes dévalant la côte, des soldats italiens. En effet, c'est un régiment transalpin que nous allons relever. Leur allure rapide ne manque pas de provoquer certaines réflexions faites à haute voix par certains camarades plus soucieux de provoquer les rires que d'être désobligeants à leur égard.
De petits ânes dévalent la pente comme un troupeau de moutons. lis reviennent de porter le ravitaillement à quelque autre régiment en ligne. Enfin, après quelques heures de marche, on a l'impression de n'être plus éloignés. des tranchées. On marche dans des bois. On ne grimpe plus : on se trouve sur un plateau. Le secteur est à peu près calme.
Halte ! Nous sommes arrivés. Reconnaissance du poste de commandement dans une sape exiguë, prise de services, relève. Avec les autres camarades qui, comme moi, n'ont pas été désignés pour prendre immédiatement la faction, nous quittons le poste, et, à l'aveuglette, chacun cherche à proximité un trou pour se blottir provisoirement.
En voici un recouvert de branchages, mais il est déjà occupé par trois camarades dont mon ami Clovis Métais, que je reconnais à sa voix. Il me fait connaître qu'il regrette bien que je ne puisse m'abriter avec lui, mais c'est impossible. Je vais plus loin. Un point un peu plus noir dans la nuit m'indique que sous d'autres branchages et un peu de terre rejetée pardessus, se trouve un autre abri. Je me penche sur l'orifice, mais le caporal Naudin et deux agents de liaison qui l’occupent me disent qu'il est également au complet.
A la guerre on ne désespère jamais, et, dans l'obscurité, je continue mes pérégrinations en tâtonnant. Enfin, devant moi s'ouvre une amorce de tranchée d'environ 2,50 m de long sur 0,60 m de profondeur. Avec deux camarades qui me suivaient, Bligny et un autre, nous nous y asseyons tant bien que mal.
Quelle heure est-il ? Deux heures, trois heures, je l'ignore. Le calme règne toujours. La position que chacun de nous trois doit garder n’est pas trop reposante. Cependant, la fatigue aidant, nous nous assoupissons. Quel rêve pouvais-je faire alors ? Probablement celui d’être tranquillement étendu dans mon lit, quand une formidable détonation provenant de l'éclatement d'un obus tombé à proximité et nous couvrant de terre me rappela à la triste réalité. Le jour commençait à poindre. Aussitôt d'autres éclatements tonnèrent dans diverses parties du bois, puis brusquement un terrible bombardement se déchaîna. Le sifflement des obus, leur éclatement, le craquement des arbres brisés faisaient un infernal vacarme, des geysers de fumée s'élevaient de toute part ; la terre ne cessait de trembler : dans notre trou on avait l’impression d'être dans une barque balancée par des vagues. Des branches d'arbres s'abattaient sur nous, ainsi que d'épaisses mottes de terre. A un certain moment, relevant la tête, je distingue à travers la poussière et la fumée le tir dune batterie de gros calibre, les éclatements de ses obus qui tranchent sur les autres et se produisent à notre hauteur vont en se rapprochant. Si les artilleurs ennemis appuient un peu plus leur tir sur leur droite, nous sommes hachés ou ensevelis. Cependant il ne faut pas penser à se déplacer. Heureusement, le tir, méthodiquement, va en s'allongeant.
A chaque instant on s'attendait à voir arriver la mort, mais les obus épargnent notre petit trou, bien que les parois secouées par les explosions qui se produisent tout autour s’effritent et nous recouvrent de terre. Si un de ces obus que l'on voit projetant des gerbes de fumée qui montent bien au-dessus de ces arbres maintenant squelettiques vient tomber dans notre abri, que restera-t-il de nous ? Et pourtant cela nous paraît inévitable.
Un nuage de teinte laiteuse s'infiltre lentement parmi nous. Je ressens une vive brûlure à la gorge : nous nous rendons compte alors que ce sont des gaz. Rapidement nous mettons nos masques. Certainement je me suis préservé un peu tard, car la brûlure descend, j’ai les poumons en feu, de vives douleurs me torturent la poitrine, je ne puis parler et je respire difficilement, semblant aspirer du feu. Tout absorbé par la douleur que je ressens, je ne m'intéresse plus au bombardement qui continue à faire rage.
Combien de temps cela dura-t-il ? ll me semble que ce fut de longues heures. Puis brusquement le bombardement devient moins dense. le tir s’allonge, mais sur nos têtes l'air est plein de sifflements, ceux des obus allemands alliant tomber derrière nous et se croisant avec les obus français faisant barrage à l'attaque qui vient de se déclencher. Mais notre artillerie n'a pas été non .plus inactive et nos assaillants de leur côté ont dû éprouver de lourdes pertes.
Autour de nous partent des cris déchirants de blessés.
Que doit-il rester de notre bataillon, après un pilonnage pareil ?
Mes deux camarades et moi sommes sortis indemnes de cette fournaise, nous ne pouvons y croire. Nous nous dépêtrons de l’enchevêtrement des branches abattues et de terre qui nous recouvre. Nous ne voyons personne. Serions-nous les seuls survivants ? Notre bataillon est-il anéanti '?
J'entends des cris à proximité. Je m'y rends, et reconnais le petit abri où je m'étais adressé avant-la découverte de notre trou, et qui était occupé par Naudin et les deux agents de liaison. Je me penche : tout est bouleversé. A proximité, Naudin, les yeux hagards, se tord en poussant des cris. A côté de lui ses deux camarades sont tués. Je saisis Naudin sous les bras et le tire au dehors. Je n’aperçois pas de sang et je ne puis me rendre compte de sa blessure. Pourtant il ne cesse de geindre et ne me reconnaît pas. Comme des obus tombent toujours, je suppose qu'il sera plus en sécurité dans l'amorce de boyau qui m'a protégé et, à grand peine, en escaladant les arbres abattus, je l'y transporte. Arrivé au bord, je me baisse pour le déposer à terre, afin qu'il me soit plus commode de l'installer dans notre trou, lorsqu'en me relevant je me sens retenu par la manche de ma capote. Je constate alors que Naudin a saisi celle-ci avec ses dents, serrant avec force : heureusement que l'étoffe est épaisse ! A un certain moment je profite pour me dégager de ce qu’il pousse un cri un peu plus fort qui lui fait ouvrir la bouche. J'ai beau l’examiner, je ne lui découvre aucune blessure; cependant son corps paraît paralysé, sa face se contracte, il ne cesse de crier, il semble ne rien reconnaître. Je le saisis à nouveau, et, après l'avoir chargé sur mon dos, je vais à la recherche d’un poste de secours que je finis par découvrir installé dans un petit abri en bordure d'un petit chemin : il est déjà tout encombré de blessés.
En cours de route, j'avais croisé un sergent parcourant le bois et faisant connaître que les hommes valides devaient se rassembler au près du poste de commandement. Je m'y rends. Répondant à l'appel, d'autres soldats arrivaient : nous n'étions donc pas tous morts !
J’apprends alors que mon bon camarade Clovis Métais est blessé. Après moi, qui avais alors 36 ans, c'est le plus âgé de l'équipe. Il provient également du 125e Régiment d’infanterie. Je me lance à sa recherche, connaissant par suite de mes pérégrinations de la nuit la direction de son abri. En effet, dans un amoncellement de branchages déchiquetés qui recouvraient primitivement son abri, sortent des plaintes. Par un trou je me glisse à l’intérieur et trouve mon vieux camarade couvert de sang, un chapelet enroulé autour de ses mains, la figure livide. Il ne peut me parler. Je l'examine, et, à travers ses habits déchiquetés, je constate qu'il a une jambe affreusement broyée. Je la ligature. Elle paraît comme détachée du corps. Puis je cours chercher un brancard. Avec un camarade nous nous mettons en devoir de le sortir, chose peu aisée, car l'ouverture est petite de même que l'abri. Je le saisis sous les bras, et l'autre par les jambes. Mais chaque mouvement que nous faisons lui arrache des cris terribles. Puis la douleur dut de venir atroce, car je l'entendais grincer des dents, puis finalement il s'évanouit. Avec beaucoup de peine nous pûmes le hisser au dehors, et, après l'avoir déposé sur le brancard, nous l’avons emporté au poste de secours.
Nos lignes téléphoniques étaient hachées; pour assurer la liaison avec le poste du colonel, à l'arrière, nous devons porter les plis. Notre camarade B... part, il ne revient pas : quelques jours après l'un de nous trouvera son nom inscrit sur la croix dune tombe d'un des cimetières improvisés.
Enfin les canons se sont tus. Le calme est à peu près revenu. Il faut maintenant rétablir les moyens de liaison avec les compagnies et l'arrière, travail assez compliqué à travers ce chaos. Chargé d'installer un poste téléphonique à l'avant dans un boyau démoli, je sers de point de mire aux mitrailleurs ennemis dont les balles s'abattent autour de moi. Mais, dans cet enchevêtrement, il m'est facile la plupart du temps de me dissimuler, et j'exécute ma mission sans dommages. Je me souviens avoir trouvé un pigeon ramier tué par le bombardement.
Ce poste a été pour moi la cause d'un petit incident le soir au moment de la relève. J'ai été chargé alors d'aller remplacer l’appareil, ce que j'ai fait. Mais, à mon retour, comme la nuit était fort noire, je me suis égaré dans le bois. Comme il n'y avait aucune piste, dans cet amoncellement de branches cassées, il m'était difficile de me repérer. il ne fallait pas songer à appeler, et j'étais anxieux, ne sachant pas la direction que je devais prendre. J’allais doucement, écoutant, craignant d'aller me jeter dans les lignes ennemies.
Après avoir erré pendant je ne sais combien de temps, je débouche sur un «petit chemin que je longe, lorsque, dans l'obscurité, je reconnais avec satisfaction l'entrée du poste de secours où j'avais transporté mes camarades le matin. Il me fut alors aisé de m'orienter, et, peu après, je retrouvais mon équipe prête à partir, et qui se demandait ce que j'étais devenu.
Et, malgré la fatigue de la journée et le lourd équipement, d'un pas alerte on dévala la côte pour aller se reposer à Villedommange.
Le 25 septembre, nous sommes revenus au village de Vrigny. Nous étions dans une cave, près du château de Vrigny. A proximité, il y avait une mare assez poissonneuse où nous allions nous amuser à pêcher. Mais .parfois les Allemands tiraient, et nous nous dépêchions d’aller nous mettre à l'abri.
Nous avons ensuite fait des attaques. A Bourgogne, un obus est tombé tout à côté de moi, mais n'a pas éclaté.
Le 11 octobre, nous sommes encore revenus à Vrigny. Je mangeais des raisins. J'ai voulu revoir le bois où j'avais failli être tué. L'après midi, je suis monté sur le plateau, et j'ai retrouvé le trou où je m'étais abrité. Il y avait beaucoup de cadavres allemands squelettiques. J'en ai vu un qui devait appartenir à une troupe correspondant à nos chasseurs alpins, car il avait des souliers avec de gros clous. Sur son bidon, son nom était inscrit, et je m'en suis souvenu : Wagner.
Je me souviens aussi qu'un jour, à Vrigny, des artilleurs français qui tiraient sur les Allemands nous ont invités à les aider, et on le faisait joyeusement, en pensant au bombardement que nous avions subi sur le plateau le 25 juillet.
Henri FRAISSE.
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79ème régiment d'infanterie 1918
1/1/18 2 bataillons en 1ère ligne tenant un front de 2 km. 1 bataillon en soutien. 1 5 1 Nouveau coup de main ennemi qui échoue. Le bataillon de soutien relevé va cantonner à la citadelle de VE...
http://francois.munier2.free.fr/79RI/guerre19141918/1918.htm
Bilan du 14 au 29 juillet : 106 tués, 288 blessés, 111 prisonniers ou disparus