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Le blog de François MUNIER

Souvenirs de guerre de Georges Lucot (4/). Du 27 au 4 septembre 1914.

30 Janvier 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire du 79ème RI, #Histoire et témoignages, #Guerre 1914-1918

Bulletin de 1976 (suite)

Réveil 3 h du matin. Le Bataillon part. Ma 1/2 section est patrouille d'avant-garde. Nous marchons vers Lunéville. Les éclaireurs arrivent au coin de la ferme située près du moulin de Xerbéviller1 ; nous obliquons à gauche pour monter à la cure d'air Saint-Léopold quand, arrivés à mi-côte, une fusillade interrompt notre marche. L'ennemi occupe, le haut de la crête. On ne connaît pas sa force et le bataillon est dans le fond, il faut donc revenir en arrière mais cela me coûte 1 disparu et 2 blessés dans ma 1/2 section.

Après cette escapade, ma section rentre à Deuxville. La 1re demi-section garde les issues et la mienne est de réserve dans le village. Nous en profitons pour faire un bon dîner dans une maison mise à notre disposition. Les habitants nous donnent du vin à volonté car, pendant les quelques jours que les Prussiens ont séjourné chez eux, ils les ont saignés à blanc revolver au poing et avant de partir ils ont emmenés le maire et le curé à qui ils ont demandé de venir confesser un mourant et qu'ils ont gardé.

Il y a eu dans cette plaine un beau carnage. Les caissons les chevaux et les artilleurs allemands jonchent le sol. Des sacs, des fusils et des munitions sont trouvés dans tous les soins. Mais malheureusement on trouve une vingtaine des nôtres, blessés hier soir à la nuit et qui n’ont pu être ramassés. C’est le résultat de l’attaque finale donnée par le 26e pour chasser définitivement l’ennemi de cet endroit.

Vers trois heures, nous quittons le village et allons faire des tranchées sur la crête à l’ouest de Deuxville. La 7e vient nous remplacer ici pour la nuit.

Vendredi 28 août.

A 6 heures, le capitaine me fait prévenir que je suis nommé sergent à la 5e Cie. Je suis content d’être nommé mais cela m'embête de quitter la Cie où j'ai beaucoup d'amis. Heureusement que je change en même temps que le lieutenant qui commandait ma section et qui vient aussi à la 5e où tous les officiers et sous-officiers ont été tués.

A la nuit, ma section va remplacer la 7e Cie pour garder le village de Deuxville. Je passe au moins une nuit à l'abri sans alerte sérieuse car l’ennemi a dû quitter ses positions. Comme je suis dans une maison, on fait une bonne cuisine chaude et cela remet un peu.

Samedi 29 août

R.A.S. concernant Deuxville.

Souvenirs de guerre de Georges Lucot (4/). Du 27 au  4 septembre 1914.

Dimanche 30 août :

Depuis hier soir, j'ai pris mon service à la 5e Cie. Pour un superstitieux, ce serait désolant d'entrer dans cette Cie qui est vraiment la Cie de malheur du bataillon. Elle a perdu 180, hommes en 3 fois, tous ses officiers et sous-officiers sauf 2 et qui, reformée il y a 4 jours avec le dépôt de Neufchâteau a perdu le jour même son commandant le lieutenant Delhumeau et 40 hommes dont 18 de ma section.

Elle est reformée à effectif réduit et je n'ai qu'une vingtaine d'hommes à peine dans ma demi-section.

Lundi 31 août - mardi 1er septembre – mercredi 2 septembre – jeudi 3 septembre

Événements journaliers n’intéressant pas Deuxville et dont le détail allongerait trop ce récit.

Vendredi 4 septembre.

Étant tout près du village (Deuxville) nous pouvons nous restaurer à notre aise et le vin bouché est de la partie. A 6 h, au moment où le souper arrive une pluie d'obus à la mélinite et de shrapnells nous inonde, met le feu au village. Il faut donc se terrer et laisser le manger pour plus tard. Un peu après, l'infanterie ennemie nous attaque, blesse un homme de ma 1/2 section que j’avais placé en sentinelle. On saute sur les fusils et j'emmène mes hommes près de la sortie du village pour éviter d'être tournés de ce côté. Une section de la 8e vient me renforcer par la suite. Après une petite fusillade un peu au hasard car il n'y a pas grand monde et la nuit vient; nous sommes criblés d'obus, on baisse la tête et quand la rafale est passée, on rejoint les tranchées. Nous nous apprêtons à être relevés. La 8e est presque partie déjà et la 2e section de la 5e est restée à la sortie du village. Nous restons environ 60 à 80 en tout, quand tout à coup les cris de « «Fortwerts1 ›› mélangés à des hurlements sauvages nous entourent de tous côtés. En un clin d’œil, le lieutenant, l'autre sergent et moi faisons former le cercle après avoir mis baïonnette au canon et le feu à répétition commence. Quelques-uns sont désemparés, il faut les ramener avec les autres et les obliger à ne pas se placer derrière. C'est ce à quoi je me charge surtout afin d'avoir le plus de monde possible à opposer à une véritable invasion, ,car on peut estimer à plusieurs compagnies ceux qui nous entourent. Comme toujours, suivant leurs procédés infâmes, les Allemands veulent nous donner le change en criant « Vranoe, Vrance » mais on ne se laisse pas prendre un instant à ce stratagème. La lune qui vient de se lever éclaire suffisamment pour éviter toute méprise aussi grande. Ils ont commencé l'assaut à la baïonnette à 60 ou 80 mètres. Le temps de se rassembler en rond avec baïonnette au canon et le feu à répétition commence tellement nourri que les Allemands tombent par files comme des mouches, leur élan est arrêté et les plus hardis n'arrivent qu’à une dizaine de mètres de nous où ils sont fauchés comme des blés.

Pendant 1/4 d'heure, la fusillade crépite. On a envoyé prévenir le bataillon. Ils se mettent en route pour venir nous secourir. Pendant ce temps, nous tenons les issues du village que l'on a barrées avec des voitures et chaque fois qu'un groupe se présente pour forcer l’entrée, il est fauché en un instant. Nous nous rallions petit à petit,et fractions par fractions, nous nous replions poursuivis par les obus. Un fort groupe d'Allemands a tourné la gauche, les mitrailleuses fauchent puis se replient. On se retire ainsi jusqu'à Flainval car le 5e bataillon prend notre place en avant. Arrivés au village, on se rassemble. Un seul homme manque dans ma section et pas un seul disparu à la 8e Cie. Donc, de tous ceux qui ont soutenu l'assaut à la cote 290 un seul n'est pas revenu et pourtant combien de centaines d’Allemands y sont restés et n'en sortiront pas. C'était la première fois que je tirais depuis le début de la guerre et j'en ai tué ma part quoique ne tirant pas toujours afin de diriger le feu, rallier les peureux et désenrayer les fusils.

C'est une soirée, une phase de la guerre dont peu de soldats auront vu une semblable car c'était terrible et quand on revient d'une telle boucherie, on a l'espoir d'être pour toujours sauvé !

Voilà donc le récit véridique de ce combat de nuit de Deuxville en ce qui concerne la 5e Cie.

1 vorwärts : en avant

Monument commemoratif 79e et 279e RI. Angle des routes D 70 et D 974
Monument commemoratif 79e et 279e RI. Angle des routes D 70 et D 974

Monument commemoratif 79e et 279e RI. Angle des routes D 70 et D 974

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