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Le blog de François MUNIER

Souvenirs de guerre de Georges Lucot (1/) : du 1er au 14 août 1914

24 Janvier 2025 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Histoire du 79ème RI, #Histoire et témoignages, #Guerre 1914-1918

Georges Lucot a d’abord confié au bulletin «  Le Clocheton » de 1976 ses souvenirs de la bataille de Deuxville, puis de 1978 à 1983, ses autres souvenirs des mois d’août et septembre 1914. Je n’ai fait que des modification de forme (orthographe et ponctuation moderne). Les notes en bas de page sont de moi.

Introduction au texte de 1976 :

Après la cérémonie de septembre dernier, j'avais incidemment signalé à notre président d'honneur le général Hogard et à mon vieil ami et camarade le président Émile Georges que j'avais conservé le journal de marche où je signalais jour après jour ce qui se passait à la 8eCie où j'étais caporal à la mobilisation et à la 5e Cie où j'ai été affecté comme sergent le 28 août.

J'ai accepté de faire paraître dans le bulletin du Clocheton les seules parties de ce journal de marche qui intéressent Deuxville, en laissant de côté les autres actions en dehors du village mais à une condition, c'est que je copierais exactement, mot pour mot, ce qui est porté sur ce journal, c'est-à-dire la vérité des faits tels que je les ai vécus, avec les sentiments exacts d'un caporal ou d'un sergent du 79e à l’époque et non pas des racontars plus ou moins bien brodés comme on en trouve souvent dans les récits de guerre faits, la plupart du temps, par des gens qui ne les ont pas vécus ou qui ont un intérêt quelconque à les enjoliver.

Bulletin de 1978

30 juillet 1914 :

A 23 h 10, Debout !! Mobilisation mais sans sonneries. A 0 h 30, le 1er Bataillon part, les deux autres attendent l'heure du départ. On nous signale Metz en état de siège, de forts rassemblements vers Delme et Château-Salins, l'artillerie est en position, on attend toute la journée.

31 juillet :

La générale est sonnée à 7 heures. Quel tintamarre et tous sont joyeux. Aussitôt les réservistes commencent à arriver et la nuit se passe à les habiller. On emballe les effets pour Neufchâteau1. Tous les hommes vont réquisitionner les chevaux et voitures. Ce matin, la compagnie seule reste à la caserne avec une partie de la 7e Cie. Les réservistes se promènent et on ne peut pas s'empêcher de rire devant certains qui ressemblent vraiment à des mannequins.

Les civils s'entassent devant la porte et tous pleurent, heureusement les soldats sont là pour les consoler avec leur invariable sourire que rien n'efface. Les réservistes disent adieu à leur femme dont les larmes coulent et eux rentrent presque joyeux, la tète haute, n'ayant qu'une pensée, celle de sortir de suite pour « aller taper dans le tas ».

1er août :

Les réservistes arrivent de toutes parts et on les habille le mieux possible. L'après-midi je suis de planton au poste de police avec huit hommes pour empêcher les attroupements et aller chercher les hommes demandés, car les grilles sont assaillies du matin au soir par des hommes et des femmes demandant, qui, leur fils, qui, leur époux, ami, etc... et c'est des pleurs à n'en plus finir. Un cycliste un peu ému devient furieux subitement et je l'ai échappé belle. On lui avait enlevé son fusil et ses cartouches car il avait une crise nerveuse et on l'a déposé dans la salle d'armes. Lorsqu'il s'est aperçu que son fusil et ses cartouches lui avaient été enlevés, il a sauté sur un ancien fusil muni d'une baïonnette suspendu dans une panoplie et nous a couru dessus. Comme il y avait beaucoup de monde autour, ce n'était pas facile à déblayer et la porte s'est fermée juste à temps.

1 En 1914, le régiment est caserné à Nancy (Caserne Molitor) et Neufchâteau (Vosges), où une rue porte encore son nom.

Caserne Molitor, à Nancy

Caserne Molitor, à Nancy

De Nancy à Réchicourt-la-Petite, vers la frontière et la ligne de front.

De Nancy à Réchicourt-la-Petite, vers la frontière et la ligne de front.

Dimanche 2 août :

Enfin à 8 heures du soir nous partons. Tout le monde est content car on commence à s'ennuyer terriblement ici. On ne fait rien mais on ne peut pas se reposer, on est alerté sans cesse. Partis à 8 heures, nous allons cantonner chez Fruhinholz1. Nous passons la nuit dans un hangar sur la paille. A minuit, faux réveil, on est en armes cinq minutes puis on se recouche. A 2 heures nous partons avec la 7e Cie, nous arrivons à Seichamps à 4 h 30 et nous faisons le « jus ». Il y a là aussi le 8e d'Artillerie qui attend un ordre pour se porter en avant. Nous avons eu un mauvais début, presque aussitôt sortis de la caserne, un orage torrentiel s'est abattu sur nous et ce matin nous sommes encore tout trempés.

Lundi 3 août :

Après avoir bu deux bons quarts de café à Seichamps, nous partons sur la route de Château-Salins à 1 km de Seichamps, nous nous établissons en réserve dans un champ de pois. Nous en profitons pour en faire une bonne provision qui nous fournira le soir un repas excellent ; autant d'économisé sur nos vivres de réserve. A 11 heures nous allons vers l'Est de 1 km environ et la Compagnie creuse une tranchée pour tireur debout, en arrière d'une crête située à 1.500 m de là ; notre tranchée devra servir de position de repli au cas ou celles creusées à la crête et occupées par le 69e auraient été évacuées de force. Nous rentrons à 5 heures, juste le temps de se débarbouiller et de manger et je prends la garde à 6 heures. A ce moment on entend un grand brouhaha, c'est un automobiliste qui rentre avec deux gendarmes et deux douaniers. Ils portaient une casquette et une paire de bottes de Uhlans. C'était un cavalier qui s'était aventuré chez nous, une patrouille l'a surpris. Il a voulu mettre pied à terre pour riposter, mais son cheval a pris peur et s'est sauvé, abandonnant le pauvre Uhlan qui a pris ses jambes à son cou et a regagné la frontière en perdant les effets que les nôtres ont trouvés aussitôt. Quand les soldats ont aperçu les lambeau d'uniforme ils étaient fous de joie et je crois que si l'homme avait été dans les habits il n'aurait plus vécu longtemps car on n'aurait pas pu les retenir. Il est minuit, à mon tour d'aller me coucher car rien de nouveau n'est arrivé cette nuit et j'espère bien pouvoir me reposer une paire d'heures avant de partir.

Mardi 4 août :

Minuit et demi. Le caporal réserviste qui vient de me relever m'appelle. Un maréchal-des-logis de hussards est là qui veut entrer. Comme on ne doit laisser entrer personne qui ne possède pas le mot, le réserviste ne sait pas quoi faire. Devant ses réponses je laisse entrer le hussard qui couche avec nous au poste car il vient pour remplacer l'ordonnance du commandant. A une heure je parviens à m'endormir, mais il était dit que je ne dormirais pas de la nuit ; une demi-heure après un ordre arrive par un automobiliste - partir le plus tôt possible. On va reprendre notre emplacement dans les bois ; mais aussitôt arrive un orage terrible qui nous inonde et pendant près d'une heure c'est un vrai déluge. Alors le commandant nous fait rentrer au cantonnement, on fait le jus et on se sèche.

A midi nous partons faire une tranchée sur la pente Est du Pain de Sucre. Un petit bois gêne la vue et servirait de point de repère, on l'abat. On rentre à cinq heures, on soupe et on se couche.

Mercredi 5 août :

Réveil 4 heures. On va faire un peu d'école de section et de compagnie pour apprendre le nouveau règlement aux réservistes. Le commandant nous présente le sous-lieutenant Morin qui sort de l'école forestière de Nancy et doit commander notre section.

L'après-midi nous allons continuer notre tranchée en faisant un clayonnage avec les arbres abattus hier ; on recouvre le tout de terre pour nous protéger contre l'artillerie. Le 8e d’Artillerie qui cantonnait près de nous quitte son emplacement, car la dysenterie a fait son apparition. Je reçois une lettre de chez nous, elle a cinq jours de voyage.

1 Ancienne tonnellerie située le long de l’actuelle avenue du XXème Corps à Nancy

Jeudi 6 août :

Ce matin repos. Astiquage des fusils, sacs, souliers, etc... A neuf heures nous mangeons car il faut se tenir prêts à marcher en avant. Il paraît que nos troupes ont déjà repoussé un régiment de Bavarois et sont entrées en Alsace, on doit les suivre. Nous quittons définitivement Seichamps vers deux heures. Nous traversons Laneuvelotte et allons nous établir à la ferme du Tremblois1. Nous prenons les avant-postes jusqu'à 6 h 1/2, puis nous mangeons et nous allons passer la nuit dans les sous-sols du château. Un joli château en plein bois, que ses propriétaires ont déserté, car c'est à la lisière du bois que devait être organisée la défense de la vallée et dame le château aurait trinqué ! Je reçois deux lettres du 31 juillet...

Vendredi 7 août :

Après une nuit excellente le capitaine me fait prendre le commandement de la 2e demi-section et je suis fonctionnaire sergent. Nous quittons le château à neuf heures et allons occuper une tranchée près de la route à 400 m ouest de la Bouzule. Le mouvement en avant commence. Quelle journée et quelle nuit, c'est une véritable inondation !

Samedi 8 août :

A cinq heures nous sommes relevés de garde, nous quittons la tranchée sans regrets car nous sommes transis; On va occuper à nouveau le château du Tremblois pour se reposer toute la journée par un beau soleil. On en profite pour se nettoyer et dormir quelques heures au soleil. Les bonnes nouvelles arrivent de tous côtés et nous sommes très heureux. On attend la marche en avant avec impatience.

Dimanche 9 août :

Toute la journée et la nuit sont passées dans les tranchées en avant du château ; nous abattons des arbres pour barricader la lisière du bois. La nuit est d'une fraîcheur exceptionnelle, la lune brille de tout son éclat et la tâche des sentinelles est facilitée.

Lundi 10 août:

Après avoir bu notre café nous quittons les tranchées et rejoignons le bataillon au château. Tout le monde est sur le point de départ. La 39e division vient relever la 11e, la nôtre, afin que nous puissions manœuvrer et peut-être enfin marcher de l'avant.

Il nous faut attendre à Laneuvelotte jusqu'à 9 heures pour partir. La chaleur est terrible. Dès les premiers km beaucoup s'en plaignent.

Nous arrivons à Dommartin-sur-Amance vers 10 h 30. Nous nous ravitaillons en eau et nous continuons sur Eulmont où nous faisons une demi-heure de pose. Tous les enfants du village nous amènent l'eau à pleins seaux ; nous continuons ensuite sur Montenoy. On est oblige de faire plusieurs arrêts car la chaleur est trop forte et un grand nombre restent en panne. Nous arrivons à Montenoy vers midi et demi. C'est notre cantonnement. Aussitôt arrivés tout le monde se couche, personne ne veut faire la cuisine. Comme le suis en bon état, je me change, me lave copieusement et je vais à la recherche d'un fromage blanc et de crème que je découvre dans une ferme. Je mange une boite de thon avec un camarade, on l'arrose d'un litre de vin qu'il a fallu payer 1,50 F et là-dessus tout va bien, nous mangeons le soir vers 7 heures et à 8 heures je m'endors profondément.

1 Sur l’actuelle D 86, route de Laneuvelotte à Seichamps

Mardi 11 août :

Nous restons à Montenoy. Ce matin deux aéroplanes allemands viennent nous survoler. Le colonel donne l'ordre aux mitrailleuses d'ouvrir le feu dessus. Je ne sais si les balles ont porté, en tout cas tous les deux fuient sans descendre. La journée se passe dans le plus complet repos.

Mercredi 12 août :

Deux heures du matin debout ! En un quart d'heure nous sommes prêts et nous partons. Le colonel a reçu hier dans la soirée l'ordre d'attaquer. Nous nous dirigeons sur Leyr. Nous arrivons vers 3 heures. A ce moment arrive l'ordre que la division passe en réserve de l'armée de l'Est. Nous prenons donc la grande route de Nancy et nous faisons halte à Dommartin-sous-Amance où nous étions passés avant-hier. On bivouaque dans un verger sous les mirabelliers, car le village est complet : il y a au moins 10.000 hommes dans le patelin.

Tout le long de la route nous avons rencontré des troupes : infanterie, artillerie, train des équipages, etc... Il y a cinq ou six corps aujourd'hui dans la contrée. Aussi, le 20e Corps qui est sur le qui-vive depuis dix jours passe en réserve. A 9 heures nous reprenons la marche pour aller faire la grande halte à la ferme de Voirincourt1. Après deux heures d'arrêt on gagne Cercueil2 où nous cantonnons. Jamais je n'ai vu un pays aussi dépourvu. Après une heure de recherches et bien des prières, j'ai tout de même découvert un peu de crème. Nous sommes logés dans une ferme et nous couchons sur un grenier ouvert. Toujours la même chaleur torride. Un homme du régiment est mort d'un coup de chaleur.

Jeudi 13 août :

Nous quittons Cercueil à 7 heures pour aller à la ferme de Romémont où nous passons une bonne journée.

Vendredi 14 août :

Départ à 2 heures moins le quart. Nous passons sans arrêter à Réméréville, Hoéville et Serres. La Compagnie est en réserve du Bataillon, lequel doit protéger le rassemblement de la Brigade. Nous avons 9 Corps d'Armée réunis dans la région et tout le pays est couvert de troupes ; nous devons prendre l'offensive dès maintenant car nous n'avons que trois Corps d'Armée devant nous, d'après les renseignements.

Depuis 13 jours que nous attendons le baptême du feu, je crois qu'il va venir aujourd'hui. Il n'est pas trop tôt car nous sommes tous las d'attendre. Nous marchons toute la journée sans manger sous une chaleur torride. On devient soutien de l'artillerie. Il faut se déplacer à chaque instant. Vers 4 heures nous arrivons à Réchicourt3. On peut manger un peu, du moins ceux qui ont fait leurs provisions. Un sergent m'apporte deux œufs qu'il a pu acheter à une paysanne qui a voulu rester dans le village. Après une heure d’arrêt on va occuper une tranchée, ou mieux un début de tranchée qu'il faut continuer. Vers 8 h 30 nous partons en avant, la 5e et la 8e ; nous sommes exténués car voici 40 km de parcourus depuis 2 heures du matin et tout le monde meurt de faim et de sommeil. Nous arrivons enfin à notre emplacement. C'est aussi un début de tranchée que le 3e Bataillon a occupé l'après-midi et a subi là un feu d'enfer et naturellement quelques pertes. Le lieutenant nous exhorte. Il sait qu'on est presque à bout, mais il faut quand même travailler toute la nuit. On se relaie, le bombardement commence et les obus à la mélinite ne vont pas cesser de nous asperger.

1 Sur la route de Laneuvelotte à Cerville

2 Aujourd’hui Cerville

3 Réchicourt-la-Petite

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