Odyssée d'un téléphoniste du 1er bataillon du 79e RI
Une dizaine d'années après la grande guerre, mon père (Henri Fraisse) m'avait fait un récit des campagnes auxquelles il avait alors participé. J'étais étudiant, et j'avais relevé rapidement ses souvenirs, pratiquement sous sa dictée.
Peut-être ce récit d'un simple soldat de 1914-1918 pourra-t-il intéresser ses anciens camarades du 79e R.I. Mais, par-delà cette reproduction de souvenirs, je voudrais qu'ils y trouvent aussi le respect ému qu’éprouve, pour cette génération de soldats; le fils de l’un d’entre eux, qui vécut plus tard d'autres aventures.
Capitaine honoraire d’infanterie coloniale.
(Après avoir fait campagne dans la Somme et en Artois en 1915 au 125e R.I., régiment du Poitou, puis après une longue hospitalisation suivie d’une permission de convalescence, mon père qui a alors 33 ans, rejoint le 125e R.I. à Poitiers. Il devient téléphoniste. Des affectations sont faites pour compléter les effectifs d'autres unités décimes, et il est alors affecté au 79e R.I., qu'il rejoint en avril 1916. Il y devient téléphoniste au 1er Bataillon. Voici donc son récit)
Par Orléans, nous allons au Bourget, où l'on nous équipe. Puis je participe avec le 79e R.I. à l’offensive de la Somme. Après diverses attaques en juillet 1916, je suis au repos pendant une huitaine de jours au village de Suzanne, au bord de la Somme, au Sud-Est de la petite ville d’Albert. J'aide le cuisinier à porter pendant la nuit la popote à travers les boyaux.
Derrière nous, il y avait un ravin bourré de pièces d’artillerie françaises et anglaises.
Je prends ensuite un poste assez tranquille au bord de la route qui va de Suzanne à Maricourt, au nord des carrières. Au cours de ces attaques je me trouve ensuite parmi les troupes qui s'emparent de Curlu, de Hem et la ferme de Monacu. Un jour, je fais partie d’un groupe d'une cinquantaine d’hommes qui marchent sur Hem. Nous avons failli être faits prisonniers : Nous avons vu les Boches qui descendaient derrière nous sur la Somme et qui allaient nous couper. J’ai vite enterré un casque allemand que j'avais ramassé, parce qu'on nous avait dit qu’ils fusillaient les prisonniers qui avaient ces objets. Heureusement, un bombardement français les a forcés à faire demi-tour.
Nous avons ensuite atteint la ferme de Monacu.
A Curlu, le maire avant l'attaque, avait demandé qu'en bombardant, on épargne le village. Mais quand nous y sommes entrés, les, Boches nous ont reçus à coups de mitrailleuses.
Mon travail de téléphoniste consistait en partie à aller poser des fils de transmission. Il fallait courir constamment pour réparer les fils que les obus coupaient. Je courais quelques mètres, puis je piquais des plats-ventres. Les balles passaient à côté de moi, et je les entendais : dzin... dzinn... Un jour, je n'avais plus de fil téléphonique. Heureusement, j'ai trouvé des bobines allemandes abandonnées : le fil était plus petit que le nôtre.
Ensuite, nous avons été au repos à Dieppe.
Puis nous revenons dans la Somme, pour organiser un secteur au Nord de Rancourt. C'était dur, à cause de la boue. J'ai vu des hommes enlisés, qu'on était obligé de tirer pour les sortir de la boue. Il valait mieux ne pas sortir seul. J'ai vu un jour un mulet s’enliser et je ne sais pas comment il a pu s'en tirer.
A la fin de 1916, nous étions en Lorraine, dans la forêt de Facq, près de Pont-à-Mousson. J'étais avec quelques camarades dans une petite cabane, en pleine forêt. C’était l’hiver, et il faisait si froid, que pour nous approvisionner en eau, nous partions avec une hache et un panier: la hache pour couper la glace en morceaux, et le panier pour la mettre. C'était plein de rats énormes, qui faisaient des petits sentiers dans la neige. Je faisais des lacets pour les prendre et les détruire. Ils venaient manger parfois dans nos jambes; et nous les embrochions avec nos baïonnettes.
Nous avons construit une voie ferrée près du col de Millery.
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79ème régiment d'infanterie 1916
VI. OCCUPATION DU SECTEUR EN LORRAINE. (13 février 7 mars 1916) (Lt Colonel MANGIN) Occupation et organisation du secteur d'ÉCUELLE (entre LANFROICOURT et BRIN inclus) sur la rive gauche de la ...
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De Lorraine, nous sommes allés au Chemin-des-Dames. Nous y sommes allés en camion. C'était au printemps de 1917. J'ai eu une permission, et, au retour de cette permission, j'ai participé à une attaque. Nous avons franchi le ravin des Grelines, qu'on appelait «le ravin de la mort ».Le fond du ravin était un marécage, entouré de broussailles, et on le traversait sur des fascines pour attaquer le Chemin-des-Dames. C'était un passage que les Boches bombardaient continuellement. Pour l'attaque, on l'a traversé par petits groupes, en courant à toute vitesse. Beaucoup de soldats tombaient, mais on continuait à courir à toute vitesse sans faire attention a ceux qui tombaient. Je commandais une petite équipe dans laquelle se trouvaient Cadloni et Singeaud. Ce dernier, un tout jeune originaire de l’Yonne, est tombé raide mort à côté de moi; tué par un éclat d'obus. Après l'attaque, notre capitaine m’a chargé d'écrire à sa famille.
L’attaque a échoué. Nous sommes revenus en arrière; au milieu des morts et des blessés qui étaient autour du passage. Ils criaient,. « brancardier ! brancardier ! ». Dans la nuit, c’était lugubre.
Il nous fallait sans cesse aller réparer la ligne téléphonique, coupée par les obus. Nous allions réparer, courant à toute vitesse sous les obus. Un jour, je revenais de faire une course, j'étais très fatigué, le sergent voulait envoyer un autre réparer la ligne, mais ce n'était pas son tour, je suis reparti. Le sergent voulait me proposer pour une citation, mais il a été tué.
Nous avions établi un poste dans une ferme, de l'autre coté du ravin, où nous restions deux ou trois, isolés.
Après avoir quitté cette région, nous étions au bord de la Marne. je crois. Un jour de mai, il faisait chaud, et avec deux ou trois camarades, on s'est déshabillé pour se baigner. Comme c'était profond, on se tenait à des branches et on se laissait tremper. Une saucisse boche nous a vus, et les obus sont arrivés. On a attrapé nos habits et on s'est sauvé.
A Ham-Areille, la rivière formait un coude qu'on appelait « la presqu’île internationale » . Un jour, on a vu un Boche qui passait la tête entre les roseaux. Quelques hommes sont allés le prendre : c'était un officier avec un soldat. Il nous espionnait et prenait des photos. Il nous a dit : « j'allais partir, si vous étiez venus dans un petit moment, vous ne m'auriez plus trouvé » .
On nous donnait un mot d'ordre tel que « bicyclette à porter à toute vitesse entre compagnies.
Nous avons fait le réveillon de 1917 à Noirlieu, près de Givry-en-Argonne, dans la Marne. Ce fut un excellent réveillon : nous étions à l'arrière, dans une ferme. Il y avait des oies et on nous en a vendu une pas chère, vingt francs. C'était un pays plein de sangliers. Comme notre bataillon, le premier, marchait en tête, et les téléphonistes tout en tête. pendant les marches, on en voyait. Un jour, un sanglier est venu tout près, nous a regardés puis est reparti. Plus loin, on en a vu trois. Dans la ferme, il y avait des pattes de chevreuils et de sangliers clouées au mur : ceux que le fermier avait tués.
Le 27 décembre, je suis allé avec Cadloni pour une réparation, de Remicourt à Givry. ll faisait froid. Nous avons rencontré le colonel Margot, qui nous a demandé où nous allions. Puis il a dit : « les téléphonistes vont toujours par deux ! . Je lui ai répondu : « comme les gendarmes ! ». ll s'est mis à rire. Le soir, Cadloni le racontait aux autres.
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79ème régiment d'infanterie 1917
Lt. Colonel ROUSSEAU 17 janvier 1er février 17 janvier 1er février Occupation et organisation du secteur de PONT-à-MOUSSON (de LESMESNILS à PONT-à-MOUSSON inclus) . 3 bataillons en ligne à dr...
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Pour le jour de l'an de 1918, nous étions en ligne à Montgrignon, près de Verdun. Nous formions toujours la même équipe de téléphonistes : Lavaissière, surnommé « Totor-du-Point-du-Jour », Thiébault très courageux surnomme « Le Zouine », Cadloni un Parisien, le caporal Naudin, et mon vieux camarade Métais, qui était auparavant avec moi au 125e R.l. Comme j'étais le plus âgé, approchant la quarantaine, les autres m'appelaient « le Père Fraisse »... J'avais coupé ma barbe et je portais une grosse moustache en croc.
Dans cette région autour de Verdun, nous recevions des gaz. ll y avait aussi beaucoup de boue. On en avait des paquets sur les habits, et la capote pesait lourd. Pour réparer, on allait dans les tranchées avec de l’eau jusqu’aux cuisses. on avançait très lentement parce qu’on s’en enlisait. On s’appuyait aux parois, on avait des blocs de boue aux mains, qu’on ne pouvait essuyer. On ne pouvait alors plus rien faire, et c'était pénible. Nous allions souvent prendre position à Samogneux.
En avril 1918, nous faisons, par train, un grand circuit : Verdun, , Fontainebleau, ,Versailles, l Pontoise, Eu, Abbeville, Boulogne, Calais, Dunkerque : voyage pénible, en fourgons. Nous cantonnons à Boeschepe dans le nord. Un de mes camarades, qui était du pays, a retrouvé sa maison abandonnée dont on avait volé le piano. Il y avait là beaucoup d'Alsaciens et de Lorrains qui avaient déserté de l’armée allemande et venaient chez nous. Le 29 avril, nous sommes arrivés à Bergues. (On entendait parler que le flamand. et on se serait cru à l’étranger. Les monuments avaient un certain style espagnol, à cause de la domination espagnole d'autrefois. Près de Bailleul, il y avait un endroit qu'on appelait « le Purgatoire ». Une nuit, avec un camarade, nous cherchions un poste. Nous nous sommes perdus et nous sommes arrivés dans un endroit haché, bouleversé. C’était le Purgatoire : un croisement de chemins sou-vent bombardé. Des obus arrivent. Nous trouvons une ancienne sape d’artilleurs ou nous nous sommes abrités ; qu'est-ce qu'il est tombé comme obus toute la nuit !Au jour, nous nous sommes orientés et nous avons pu rejoindre les autres qui étaient inquiets pour nous.
Le 18 juin, j’étais à Godewaersvelde. On a fait demander s'il y avait des hommes qui avaient une belle écriture. Je me suis; présenté avec d’autres. On nous a envoyés a Terdeghem à l’arrière, pour nous faire passer un examen. Dans les bureaux, on nous a fait faire un exercice d’écriture. Nous étions une vingtaine. Au bout d’un moment, quand ce fut terminé, un officier m'appelle : « Savez-vous faire la ronde, la bâtarde ? Un peu.» On me fait rentrer dans un bureau. J’entends téléphoner au général « on en a trouvé un qui fera l'affaire ». Puis on me dit « Retournez à votre unité, on vous fera rappeler. Je repars avec les autres, et nous avions fait un kilomètre quand un soldat arrive en courant, et me dit qu on me demandait immédiatement à l’état-major du général, «et qu'on enverrait chercher mon sac à mon régiment. Je fais demi-tour, .et retourne dans les bureaux. L'auto du général était là, ornée de son fanion. On m’y fait monter. Le chauffeur me dit « on va te prendre pour le général, il faudra répondre ! » On me saluait, dans les villages les officiers se levaient et je répondais avec dignité. Puis on arrive à l’état-major, parmi, des officiers bien vêtus. J'étais dégoûtant, plein de boue, arrivant des tranchées. Un sergent m’a fait habiller complètement.
Là, j'ai été chargé de faire surtout des brevets de citation, dont beaucoup pour des aviateurs. On m’avait dit de ne pas me presser. Aussi, je prenais mon temps. Mais, finalement je suis arrivé au bout de mon travail. C’était l’époque ou l’on disloquait l'armée du Nord, car les Anglais allaient nous remplacer. On m’a dit : « Tâchez de retrouver votre régiment, on ne sait pas au juste où il est» En utilisant des camions, j'ai fini par le retrouver;
Après un repos, nous sommes remontés en ligne. Tous les jours, un avion allemand venait photographier nos lignes. Il volait bas. Nous l'appelions Fantomas.
Il tombait beaucoup d'obus. Il y avait près de nous des batteries australiennes de gros calibre. Un jour, un coup a éclaté tout près de moi, et j'ai souffert de l'oreille.
Le 13 juillet, nous étions au repos à Saint-Leu d'Esserent, dans l'Oise. Nous comptions y passer et le 14 juillet les Parisiens avait écrit à leurs femmes de venir. Et brusquement, on nous envoie à Creil. Le 19 juillet, nous participons à une attaque qui fait repasser la Marne aux Allemands. Ceux-ci mettaient des mines actionnées par des fils sur lesquels on marchait, ou par des mouvements d'horlogerie. Près de Reims, nous sommes passés près d'un pont qui avait sauté ; c'était plein de cadavres. Dans les villages, il y avait des écriteaux sur des portes de maisons : Défense d'entrer, mines.
Puis, nous sommes allés à Vrigny à l'Ouest de Reims. (Le récit du bombardement de Vrigny a déjà paru dans « Le Clocheton ).
Puis, nous avons participé à d'autres attaques : Chenay, Thil (dans la Marne). A Bourgogne, pendant une attaque, un obus est tombé tout près de moi, mais n'a pas éclaté.
En octobre 1918, la débâcle allemande a commencé. Il y avait des tanks pour nous aider. Sur la ligne Hindenbourg, la première ligne de tanks a sauté sur des mines formées de gros obus, sauf un seul qui a pu passer. J'ai vu un beau combat d'avions. Mais l'avion français est descendu en tire-bouchon dans les lignes boches.
Dans la région de Saint-Quentin, nous arrivions dans des villages que les Allemands venaient de quitter. Nous étions les premiers soldats français que la population revoyait. Aussi, nous étions reçus avec enthousiasme. Les drapeaux sortaient, et ceux qui n'en avaient pas attachaient des rubans bleus, blancs et rouges à des piquets de bois. Je me souviens d'une vieille qui criait en chevrotant : « vivent les Français ! à bas les Boches ! ll y avait des crêpages de chignons entre femmes, certaines étant accusées d'avoir été pour les Allemands. Dans un village, l'institutrice et la receveuse des postes, déjà vieilles, nous ont invités, un brancardier, des mitrailleurs et moi, à boire une bouteille de gnôle qu'elles avaient tenue cachée pendant l'occupation.
C'est alors qu'est arrivé l'Armistice. Inutile de dire combien nous étions heureux !
Après l'Armistice. nous sommes revenus en arrière. Le 1er décembre, nous avons cantonné au Château de Raray, dans l'Oise, aux installations agricoles très modernes. Le 3 décembre, nous étions à Noisy-le-Sec près de Paris. Nous gardions les gares ou bien on nous envoyait garder celle de Pantin. Comme il y avait des vols, on nous faisait aussi garder les magasins, la nuit, deux par deux, faisant les cent pas.
On nous a ensuite envoyés à Morembert, dans l'Aube, un village où il n'y avait qu'une trentaine d’habitants avec une petite mairie et une petite chapelle.
C'est à Morembert que j'ai été démobilisé, le 14 février 1919, le premier de mon régiment car j'étais parmi les plus vieux. Mes camarades ont organise une petite fête pour mon départ.
Henri FRAISSE.
Bulletin Le Clocheton de 1976
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79ème régiment d'infanterie 1918
1/1/18 2 bataillons en 1ère ligne tenant un front de 2 km. 1 bataillon en soutien. 1 5 1 Nouveau coup de main ennemi qui échoue. Le bataillon de soutien relevé va cantonner à la citadelle de VE...
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