Ligne Maginot 1939-1940. Souvenirs du capitaine Mellottée.
Le 79e RI est devenu le 79e RIF, régiment d’infanterie, stationné sur la Ligne Maginot. On connaît surtout les gros ouvrages fortifiés, comme les forts de Fermont, du Hackenberg, etc. Entre ces derniers, la défense était assurée par des réseaux de barbelés, de tranchées, d’obstacles divers, de casemates, de zones inondées, etc.. Le 79e RIF stationnait dans une telle zone.
J’ai ajouté aux souvenirs du capitaine Mellottée des liens hypertextes, des notes en bas de page. Mon beau-père, Albert Contal était lieutenant sous ses ordres et j’ai donc quelques photos où le capitaine Mellotée apparaît : béret, lunettes rondes, petite moustache.
L’impression que me donne cette lecture est celle d’une grande impréparation : formation des soldats, équipement matériel, modalités de l’évacuation des populations civiles, etc..
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AVEC LE 79ème R. I. F.
EN MARGE DE LA DRÔLE DE GUERRE
Note de l'auteur -
Ces lignes ont été écrites en hommage respectueux au colonel Charles Réthoré, un officier d’élite et un chef.
- Le capitaine Raymond Mellotée, commandant la 3° C.E.F.1 et le C.R.2 du bois de Hoffen, de septembre 1939 au 15 mars 1940, a noté presque au jour le jour ses souvenirs de guerre, dont il n’a connu, avec :le 79° R.I.F., que le prologue.
« Il s'est profondément inspiré «du mot du Président » Emile Georges. paru dans le précédent« numéro du « Clocheton ›› :
« Maintenir le culte du « Souvenir », renouer, resserrer ces «liens de bonne camaraderie, d’entraide et de dévouement, de longs mois de vie en commun... »
A votre intention, à l'intention .de ses camarades de ses soldats, de ses amis, il a sélectionné, près de 30 ans après, parmi ses impressions du moment, celles qui pourraient le mieux évoquer chez beaucoup d'entre vous l'image du passé.
1 Compagnie d’engins et de fusiliers
2 Centre de résistance
Mein Kampf, l’intention nettement manifestée par le Parti National Socialiste de se libérer des clauses du Dictat de 19181, la réoccupation de la Rhénanie, l'expulsion massive des juifs par le 3e Reich, nous conduisent tout droit à la guerre.
-- «Dès 1936 un grand nombre d'officiers de réserve conscients de leurs devoirs, se sont replongés dans les questions militaires.
- En juillet 1938, «connaissant quelle serait mon affectation, je me présentai au lieutenant-colonel Charles Réthoré, commandant le 79° R.I.F., à la caserne Aimé à Haguenau2. Il tint à me faire visiter personnellement l'une des casemates de Hunspach3 sur la route conduisant à Oberseebach. Déjeuner très cordial à Hoffen à la popote du sympathique capitaine Bonnet.
- Quelques mois après, je regagnais Mutzig4, à l’appel des fascicules n° 3, puis Soulz-sous-Forêt et Hohwiller, où Larue commande le Bataillon.
- Le lendemain de mon arrivée, j'allais saluer le colonel à son P.C. de Kuhlendorf:
- Je suis très content de vous revoir me dit-il.,
- Moi aussi.
- Jouerons-nous le jeu ? -
- Je ne le crois pas.
Les accords de Munich sont signés. Chamberlain et Daladier ont rejoint chacun leur capitale.
Deux questions me préoccupent :
- Ne pas laisser les cadres et les hommes inactifs, en vue de maintenir la discipline et le moral..., marche-promenade avec roulante, pique-nique dans les bois, visite de l'ouvrage de Schoenenbourg, par mes officiers et sous-officiers, sauf quelques gradés de service, grâce à l’amabilité et à l'esprit de compréhension du commandant Rodolphe, commandant l'ouvrage.
Ce furent trois semaines de grand air, très salutaires pour beaucoup, dans une ambiance d'excellente camaraderie.
Ce ne fut par un Adieu, mais un Au-Revoir !
1 Diktat : nom donné par les Allemands au Traité de Versailles (28 juin 1919)
2 Les noms surlignés en vert sont localisés sur le schéma à partir d’un fond de carte IGN
3 Les noms surlignés en jaune sont mentionnés sur le schéma en annexe (brochure ronéotypée sur l’histoire du 79e RIF) .
4 20 km ESE de Strasbourg
Soultz
Arrivée au CM1. 202, à Mutzig.
A Altorf2, revue du détachement par le commandant du C.M. de Mutzig et messe en plein air, par le très distingué lieutenant Potevin, vice-chancelier de l'Archevêché de Paris, affecté à la C.M. 10.
La brave femme chez laquelle je loge a 74 ans, elle est impotente, ses deux fils sont partis, elle est seule et triste. Elle a vu deux guerres, 1870, 1914 et craint d'assister à une troisième.
Les hommes sont habillés, équipés, les deux bataillons qui doivent rejoindre la position ont belle allure. L'heure du départ est fixée à 2 heures 45, embarquement à Mutzig. Arrivée à Soulz-sous-Forêt à midi, par une température accablante, où j'ai retrouvé avec grand plaisir le capitaine Bonnet, qui commande le Bataillon.
Mobilisation générale. Dans la journée, je m'étais rendu à Haguenau et avais assisté à ce spectacle horrible entre tous, l'exode des populations civiles3. Sur des kilomètres, le flot des paysans évacués avançait dans un ordre impeccable, fourragères traînées pour la plupart par des vaches, les chevaux ayant été en grande partie réquisitionnés, des quantités de petits enfants, entassés sur du foin ou dans leur berceau, au milieu de valises, de ballots nativement ficelés et des objets .les plus hétéroclites, des essaims de cyclistes, certains à deux ou trois sur une même bicyclette formaient l'avant-garde de ce cortège de la douleur !
Les maris étaient partis, seuls quelques vieillards accompagnaient les femmes et les enfants.
Par moment d’énormes camions d’artillerie croisaient cette colonne de réfugiés, qui s’effaçaient sur le bord de la route, avec la plus parfaite discipline.
Pas un mot de récrimination, mais beaucoup de femmes et d’enfants en pleurs.
Quelle détresse !
1 Centre mobilisateur
2 Près de Mutzig
3 Évacuation des civils des régions frontalières, décidée par l’état-major français.
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vacuation_des_civils_en_France_en_1939-1940
Officiers du 3ème bataillon au Finkenmühl 1938
Photo dédicacée le 14 février 1940 par le Capitaine Raymond MELLOTTEE (3ème à partie de la gauche). De gauche à droite : Lt Neycheus (?), S-Lt Lambert, Cdt Mellottée, S-Lt Mayer, Lt Durand, Lt Contal avec Adjt Fix sur son dos.
Reconnaissance en avant de la ligne des casemates. La vallée de la Wintzembach1 est inondée, ─ villages abandonnés, ─ .les vaches, les chiens, les porcs errent à l'abandon, ─ une dizaine de canards « au garde à vous ›› barrent le milieu de la chaussée.
Même les animaux ne comprennent plus !
Une paysanne, en train de laver au moment de l’ordre d’évacuation, a laissé son morceau de savon, son battoir et son linge sur le bord du lavoir. Le spectacle est hallucinant !
A Ritterschaffen2 j'ai rencontré un camarade, très pacifique, abattant des chiens errants, à coups de revolver. La tuerie commence par le meilleur ami de l'homme.
A Hoffen, grande corrida, les officiers et les hommes, armés de fouets ou de bâtons, cernent le village et s'efforcent de leur faire évacuer le village. Les bêtes sont moins soumises et disciplinées que les gens !
Nous apprenons à midi que le bataillon doit partir à 19 heures occuper une croupie en bordure de la Lauter, en avant du Hohwald3. Reconnaissance sur Klimbach4, le Col du Pigeonnier, la maison forestière et le village de Weiler, à quelques pas de la frontière, tenus par quelques légers éléments du G.R.D.,chevaux sellés, en état d'alerte, que commande le colonel de Saint-Didier, qui deviendra attaché militaire à Washington.
A notre retour à Hohwiller, contre-ordre, le mouvement projeté n'aura pas lieu.
Grand branle-bas. Le 3° Bataillon reçoit l'ordre de s'installer sur la position de résistance entre le 1er et le 2e Bataillon, pour en renforcer la défense, sa mission de bataillon de réserve étant assurée par des unités de renforcement. Le colonel me confie le commandement du C.R. du bois de Hoffen.
C'est un gros morceau, j'en suis très heureux et très honoré.
En raison ides pilules diluviennes des jours précédents, nous avons dû avant toute chose procéder à des travaux d'irrigation, confection de caillebotis, de claies et de puisards. Après seulement on pensera aux travaux tactiques qui découlent de notre mission.
ll faut sortir de la gadouille, qui est le pire ennemi du soldat !
Le lieutenant Fix, agrégé de philosophie, qui allie lune très grande gentillesse à beaucoup de modestie, a eu la délicatesse d'installer mon P.C. provisoire chez le maire de Hoffen. Intérieur confortable..., dans une armoire, en parfait état, une épée et une magnifique capote d'officier d’artillerie allemand, reliques de la guerre 1914-1918.
De nombreux journalistes se plaisent à alarmer l’opinion.
Il y a quelques jours Paris-Soir, écrivait en lettres capitales : La bataille fait rage entre Wissembourg et Haguenau.
Il ne s’était rien passé.
Combien de mères et d’épouses ont dû pleurer ce soir-là !
1 Commune du Bas-Rhin, à mi-chemin entre Schaffhouse-près-Seltz et Lauterbourg. L’État-major français avait fait inonder les vallées le long de la ligne Maginot.
2 Je présume Rittershoffen, erreur de transcription ?
3 Hochwald
4 Climbach
Nous sommes alliés récupérer dans la cave du caporal Roth, à Oberseebach, 300 litres d'un. excellent vin d'Alsace.
Au sud du village un ponceau. La route franchit un ruisseau gardé par une sentinelle du 23° R.l.
Il a mission de faire sauter le pont en cas d'attaque ennemie, pont sous lequel on a placé paraît-il une charge de 160 kg de mélinite. A cette charge est fixée une mèche lente de 1 mètre, correspondant à peu près à une minute et demie de combustion.
Notre sentinelle a eu la précaution de se munir d'un vélo. Il fera bien d'appuyer sur la pédale ! J'ai tenu à lui donner quelques conseils à ce sujet.
Reconnaissances et tournées de récupération avec Jameaux et l’adjudant-chef Aiguier sur les villages en avant de la ligne des casemates, Oberseebach, Niederseebach, Trimbach.
Aiguier s’occupe de la récupération des matériaux de construction, fil et aiguilles et prioduits d’entretien pour le bataillon.
Le caporal Béchet à qui j'ai indiqué la direction probable d'un troupeau de bêtes à cornes est chargé de nous ramener des vaches laitières, des veaux et deux magnifiques truies que nous avons repérées à Trimbach.
Jameaux et moi avons fait de nouvelles découvertes à Buhl, Stundwiller et Aschbach.
Quelques très jolies maisons, coquettes, souriantes, mais mortes !
Nous avons déclaré l'état de guerre, mais n'avions pas su prévoir et n'avons pris aucune disposition pour évacuer et utiliser les richesses s'étendant sur quelque 2 à 3.000 Kilomètres carrés, en avant de notre ligne de résistance.
L’Intendance, qui rencontre les «pires difficultés pour approvisionner les unités en ligne, pense un peu tardivement à ces récupérations.
A Aschbach, nous avons pénétré dans l'église, «maître-autel en bois sculpté avec de très jolies enluminures, paroisse cossue. Dans la sacristie, sur le grand meuble horizontal- dans lequel on range les chasubles, une bouteille de vin blanc, encore à moitié pleine, et deux burettes semblent attendre l’officiant.
Les soutanes rouges et les aubes blanches des enfants de chœur sont restées accrochées au mur.
Dans le jardin du presbytère, deux lapins s'enfuient affolés par notre présence.
Nous imaginons la bonne du vieux curé venant à notre rencontre, mais hélas un mauvais génie semble, d'un coup de baguette magique, avoir ici arrêté toute trace de vie humaine !
A 17 heures, alerte de combat. Nous gagnons l'abri de Hoffen par groupes, en petites colonnes.
Je visite mon nouveau P.C., véritable usine de béton, avec centrale électrique, réserve d'eau potable et de mazout, de charbon, chambres d'officiers, chambres de sous-officiers, chambres de repos pour la troupe, central téléphonique, local affecté aux transmissions, lavabos, etc... Il ne manque que la salle de billard, deux ou trois tables de bridge, quelques fresques sur les murs, pour faire de cette demeure un vrai paradis !…
L'entrée de l’abri est défendue par une dizaine de F.M.
- Le téléphone fonctionne sans arrêt.
- A 18 heures, fin de l'alerte.
Il a plu toute la nuit. La rivière a débordé. C'était à prévoir ! Le moulin de Finckenmuhl1, siège État-major du Bataillon est entouré d'eau de toutes parts. Pendant le déjeuner les gens d'en face nous ont rendu visite avec 4 avions, volant en rase-mottes,à moins de 100 mètres d’altitude. Personne n’a tiré un coup de fusil ; toutefois nos hommes se sont portés en dehors des maisons pour regarder passer les aviateurs audacieux, qui par un temps gris, et bouché, venaient nous dire un petit bonjour ! lls étaient tous rassemblés le nez en l'air et si nous n'avions pas eu à faire là des hôtes bien élevés, nous aurions pu avoir quelques dizaines de tués, à coup de bombes et de balles de mitrailleuses !
Comme c'est beau la jeunesse ! C'est quelquefois aussi très imprudent !
Désormais nous assurerons le service d'une pièce de 65 de marine, à la cote 151, en arrière de la casemate sud de Hunspach.
Le sergent Lefèvre, gradé d'active, à qui j'en ai confié-le commandement, est fier ainsi que ses hommes d'occuper cette place d'honneur.
Que faisaient les hommes de la 3° C.E.F. et les effectifs du C.R. du bois de Hoffen ?
Jene puis mieux faire que de reproduire les termes d'une lettre que j'adressais à M. Maurice Signoret, Chef de Cabinet de Paul Reynaud, pour le remercier d'un envol de cigarettes et de jeux de cartes.
SECTEUR POSTAL N° 17
Aux Armées, le 15 octobre 1939.
Je suis particulièrement touché de cet envoi que vous m'avez fait à titre personnel.
L'étiquette portait la marque « La Civette » cela nous a rappelé Paris et tout son charme, ─ la vie continue sans nous, c'est comme la dernière fois !
Il pleut, le temps est notre meilleur allié. En face de nous l'ennemi occupe un terrain extrêmement marécageux, c'est une petite consolation à nos malheurs !
Les soldats de la 3e C.E.F. tiennent un saillant d'une importance stratégique considérable. Ils le savent et n'en sont pas émus. Jamais les gens d'en face ne passeront.
Aujourd’hui, j'ai amélioré l’ordinaire et fait distribuer quelques paquets de cigarettes et vos jeux de cartes à nos soldats les plus méritants.
Vous leur avez procuré une immense joie, d'autant :plus grande que depuis le jour de la mobilisation ces hommes n'ont cessé de travailler à créer des emplacements de batterie, des tranchées de D.C.A., des abris, souvent sous la pluie, presque toujours dans la boue. La nuit ils assuraient les postes de garde indispensables à notre sécurité.
Ils ont fait et continuent à faire tout leur devoir, conscients des sacrifices qu'exige la défense du pays.
J'ai l'honneur de les commander, j'en éprouve une grande fierté et je serais très heureux que tous les civils aient jusqu'au bout la même conception de leur devoir.
1 Entre Hoffen et le Bois de Hoffen (carte IGN 1950)
J’allais oublier un fait saillant de la semaine précédente. Le 22 octobre, à 3 heures 05, Vincent, un de mes agents de liaison est venu me réveiller pour communication d’un message urgent :
« Baltazar recommande d'être particulièrement vigilant, cette nuit et demain matin ››.
Lamoureux, mon officier adjoint, car « je suis crevé » me rend le service d'aller prendre la communication -- branle-bas général, dispositif de surveillance renforcé dans tous les P.A.
Il ne s’est rien passé.
Nous installons un nouvel emplacement de batterie de 81, dans un chemin creux en arrière du Buccholz1, à l'ouest de la voie ferrée qui conduit à Wissembourg, d’où j'aurai la possibilité de doubler presque tous mes tirs de mortier et, en cas de nécessité, de réaliser un cercle de feu autour de mon centre de résistance.
Nos hommes connaissent partiellement les obstacles et les moyens de feu qui protègent ,notre saillant, aussi sont-ils très confiants.
Nous avons cessé nos distillations, mais dans quelques jours nous procéderons aux vendanges, cueillette des pommes, fabrication de cidre et de vin, préparation de jambons fumés, pâtés, saucisses, salaisons diverses, en prévision du grand jour du 11 Novembre.
Tirs des casemates G 16 et G 17, que commande le lieutenant Leloup, secondé par le chef Martineau, grand maître de l’artillerie. Essai de tout l'armement.
A 8 heures, aménagement du Foyer du Soldat. A 9 heures 30, par un brouillard à couper au couteau, prise d'armes, salut au drapeau. Une délégation de chaque .centre de résistance et de l'Etat-Major participe à la cérémonie.
Je présente le détachement au capitaine Bonnet, commandant du Quartier. A 10 heures, l'ami Potevin procède à l’inauguration du Foyer du Soldat et à celle du C.R. Clemenceau. C'est ainsi que s'appellera désormais mon centre de résistance, en souvenir du grand Français qui nous permit de gagner l'autre guerre.
Je dois en effet me rendre à Haguenau, pour préparer le cantonnement du bataillon de marche qui descend au repos.
Les hommes de la Cie et du C.R. ont apprécié l’ordinaire, en ce jour anniversaire de l'Armistice : Les cuisiniers étaient debout depuis 4 heures du matin, sous la surveillance du très compétent sergent Schmuch, chargé de l'ordinaire.
1Buchholzerberg, au nord de Hoffen
Visite du capitaine-médecin Pigache et du docteur Dumont. Le colonel nous prescrit une visite d'incorporation. Ce n'est pas des plus commode, car une partie de mes effectifs, auxquels j'ai signé des permissions de 24 heures, est... dans la nature !
Le 18 novembre, nous regagnons la position. Un peu fatigué, j'ai retrouvé avec plaisir le bois de Hoffen et ma maison de briques roses.
Le «capitaine Jamaux qui commande le bataillon, en l'absence du capitaine Bonnet, m'informe par téléphone de la visite du colonel Bonnefond et du lieutenant-colonel Réthoré.
Nous les rejoignons, par l’abri et le P.A. 12 aux casemates. Le colonel Bonnefond est un homme charmant, très cordial qui ne tarit pas d'éloges sur notre organisation, ─ ajoutant qu'il n'a rien vu de semblable et que les hommes de son régiment seraient incapables d'en faire autant...
Mutuellement enchantés, nous nous séparons sur le coup de midi.
L’ennemi marmite avec du 105 les abords de Wissembourg et de Schleithal. A chaque obus de 105, le Hohwald répond maintenant par une salve de 75. Ce n'est quand même pas bien méchant.
Notre ami Thiébaud, lieutenant au 1er Bataillon, en corvée de récupération à Wissembourg, a eu toutefois ses deux pneus avant crevés par un obus éclatant à 1 mètre de sa voiture.
Nous ne connaissons encore de la guerre que les rares communiqués du G.Q.G., qui ne nous raconte pas d'histoire : « rien à signaler sur l’ensemble du front »... la propagande de Radio Stuttgart... et les quelques prospectus, plus ou moins heureux, lâchés sur la position par des aviateurs allemands.
Préparation des fêtes de Noël et approvisionnement du Foyer du Soldat en huîtres, gouklofs1, mandarines, vins fins, cigares et lots divers pour la tombola, indépendamment des mandats et colis d'amis connus et inconnus, qui ont tenu à nous témoigner leur sympathie. L'un des nôtres, qui tint à conserver l’anonymat, fit insérer quelques lignes dans l’hebdomadaire « Aux Ecoutes ››, disant que je recevrais avec gratitude « tout ce qui pourrait apporter là nos hommes un peu de joie, de confort ou de bien-être .»
C’est ainsi que je reçus un colis de magnifiques lainages, cache-nez et chandails, de la directrice de l'Ecole des Filles indigènes de Bougie, tricotés avec amour par ses plus grandes élèves. C'est tellement beau que je ne puis passer sous silence ce trait de solidarité et d’amitié.
Messe de «minuit à Eckenmülhl2, célébrée par l'ami Potevin. C'est charmant ! Le bois sous la neige, a revêtu sa plus belle parure !
2 Près de Hoffen
Après-midi récréatives, par roulement, au Foyer du bois de Hoffen.
On suspend les permissions de détente. On arrête à Oberroedern les permissionnaires de l'après-«midi et on leur fait regagner la position. L'ennemi, hier et avant-hier a déclenché quelques tirs de réglage devant nous à Hunspach et Oberseebach. La Hollande et la Belgique ont rappelé leurs permissionnaires.
Le Commandement recommande la vigilance. Nous sommes avisés de l’imminence possible d'une attaque par avions et recevrons cette nuit une nouvelle A.D. (13 batteries).
Il a neigé toute la nuit. Message : « Veiller à ce que la D.C.A. soit en place et à ce que le camouflage des emplacements de tir et abris soit réalisé. Recommander aux hommes de ne pas faire de pistes en étoile, autour des emplacements, dans la neige. S'attendre à des reconnaissances d'avions ennemis. ››
A 13 h 30, réunion des commandants de compagnies au P.C. du Bataillon. Rien de grave, il s'agit de mettre en route demain matin, à la première heure, les gradés et hommes de troupe, volontaires pour faire partie d'un corps franc, que le colonel a été autorisé à mettre sur pied, sous le commandement du lieutenant Beck et de son adjoint le lieutenant Bouillloc. Le sergent-chef Bigeard, le futur et célèbre colonel de Paras, en fait partie.
Aux casemates cette nuit le thermomètre a marqué -21°. La grande offensive imminente, annoncée par toute la presse et contre laquelle le commandement nous a mis en garde, s'est évanouie. Il fait trop froid !
C'est l’occasion ou jamais de distribuer le restant de kirsch de nos distillations.
Daladier a pris la parole au micro à 20 heures. Il a dit, en termes énergiques, ce que nous pensons tous, «que la guerre ne doit pas être supportée seulement par quelques-uns et a traduit sous une forme à peine voilée l’écœurement des soldats de la zone des Armées au spectacle de la vie de l'arrière…
Daladier a en outre prononcé les mots de « guerre totale », comme d'une éventualité assez proche. Qui osera attaquer ?
Du point .de vue purement humain, quelle folie criminelle !
A l'heure actuelle, les mots d'ordre dans les deux camps : faire crever de faim l'adversaire, d'un côté le blocus, de l'autre la guerre sous-marine.
A 22 heures, Hitler a prononcé un grand discours, que je me suis fait traduire.
«Le début commence par les éternels arguments : l'Angleterre animée toujours d'esprit de conquête, pousse les peuples à la guerre et ne respecte ni la vie des femmes, ni celle des enfants. L'Allemagne n'est plus celle de 1914 ou de 1918. Elle ne se laissera pas démembrer…
Le National Socialisme est le gouvernement librement choisi par le peuple allemand.
Depuis 5 mois, le maître de l’Allemagne ne dort plus.
L'Allemagne n'est pas restée inactive, elle a fabriqué armement, munitions, sous-marins, une flotte aérienne capable d'obscurcir le ciel.
Les alliés se heurteront à la force allemande et en éprouveront la solidité.
─ Couplet sur l’allié russe.
─Les démocraties se partagent le monde
─Le peuple allemand est à l'étroit à l’intérieur de ses frontières. il lui faut son espace vital..
─ La guerre sera finie dans un an à un an et demi... naturellement par la victoire du Reich.
(Ce fut une simple erreur, dirons-nous sur la durée et l'issue des combats).
Prise d’armes à Kuhlendorf, présentation du drapeau du 79° R.l.F., par le colonel, et remise de la rosette à notre ami le commandant Jodeau, chef d’État-Major.
Je regagne la position à l’issue de ma seconde permission de détente et j’apprends en gare de Haguenau, par le capitaine Drouhin, commissaire régulateur, mon changement d’affectation.
En compagnie de Lamoureux, après être allé prendre congé du colonel, j'ai voulu visiter en détail, une dernière mis, notre beau domaine.
A 11 heures, j'ai réuni une délégation des effectifs de tous les points d’appui et casemates, placés sous mon commandement. Je les ai remerciés de l’effort fourni inlassablement depuis le début de la mobilisation et 'es ai félicités de leur magnifique moral.
A tous je dis encore merci, car les satisfactions qu'ils m'ont données resteront parmi les plus belles de ma vie.
Capitaine Mellotée et lieutenant Lamoureux en 1938
Lamoureux et moi avons eu la même idée, revoir notre maison de briques roses et nos domaines.
Par le plus grand des hasards, nous nous sommes rencontrés à Hoffen, lui avec sa femme et ses enfants.
Nous avons terminé cette visite par le «P.-C. abri, où le capitaine Potevin et ses hommes se couvrirent de gloire, en juin 1940, ne se rendant à l’ennemi que plusieurs jours après la demande d'armistice.
Bien que démuni d'une partie de ses effectifs et de ses moyens de feu, le C.R. Clemenceau demeura, inviolé.
R. M.
Quelques souvenirs du Capitaine Mellottée, commandant de la 3e CEF du 79e RIF en 1938 et de septembre 39 au 12 mars 1940.
L'après-midi du dimanche, qui suivit mon arrivée sur la ligne Maginot, .visite d'inspection inopinée du général G...«, commandant le S.F.H. (secteur fortifié de Haguenau)
L'un de mes hommes dormait sur le bord de la route et ne pouvait en conséquence se lever pour saluer le général, qui demanda qu'une punition lui soit infligée. Le capitaine Larue était outré !Sur son insistance, trouvant pour ma part la prétention saugrenue, je rédigeais la punition suivante : « Quatre jours de salle de police, motif : dormait sur le bord .de la route et ne s’est tpas levé pour saluer son général. Punition infligée sur l’ordre du général. »
C’est du Courteline !
Les accords de Munich sont signés. Deux questions me préoccupent : ne pas laisser les cadres et les hommes inactifs et les distraire en vue de maintenir la discipline et le moral.
C'est ainsi que j'organise pour la 3e C.E.F. une marche promenade à Schoenenbourg, avec roulante, pique-nique dans les bois, et visite du fort par mes officiers, sauf. .quelques gradés de service, et cela grâce à la compréhension et à l'amabilité du commandant Rodolphe, commandant du fort.
J'apprends qu'un certain nombre de soldats réservistes, de situation très modeste, ont laissé leur femme et leurs enfants sans un sou. J'en ai convoqué quelques-uns à mon bureau, certains, en pleurant, m'ont exposé leur navrante'”situation. Je trouve auprès de mes officiers et sous-officiers et de quelques amis, un esprit d'entraide magnifique qui permit d'adresser un petit secours aux plus démunis.
Mardi 29 août 1939:
- Arrivée à Soulz-sous-Forêt à 12 heures.
- Déchargement de nos convois par une température accablante. J'ai retrouvé avec grand plaisir le capitaine Bonnet.
Samedi 2 septembre à 0 heure :
- Mobilisation générale.
Dimanche 3 septembre - Il paraît que nous sommes en état de guerre avec l'Allemagne, à partir de 17 heures !
à 17 heures 10 environ, j'ai entendu une formidable détonation Nous venons de faire sauter un ouvrage sur la Lauter (je l'ai su après).
- Lundi 9 octobre :
- Le matin, tirs au canon de 25 sur cible et sur tank mobile factice que j'avais fait exécuter pour les besoins de la cause.
- L’après-midi, tir de 81, en avant des casemates d'Aschbach. Le .colonel Sanselme, commandant l'I.D. nous a félicités pour la précision de nos tirs.
- Samedi 11 novembre : A 8 heures, aménagement du Foyer du Soldat. A 9 heures 30, prise d'Armes, salut au drapeau. Une délégation de chaque Centre ,de Résistance et de l’État-major participe à la cérémonie. Je présente le détachement au capitaine Bonnet, commandant du quartier. Le clairon sonne « Aux Champs ››. On hisse les couleurs. A 11 heures, inauguration du C.R. Clemenceau par mon ami le lieutenant Potevin, . C'est ainsi que s’appellera désormals le C.R. du bois de Hoffen, en souvenir du grand Français qui nous permit. de gagner l'autre guerre.
-Mercredi 22 novembre :
- Le capitaine Jamaux commande le bataillon en l'absence du capitaine Bonnet, qui est au repos. . ll m'informe par téléphone de la visite du colonel Bonnefond et du lieutenant-colonel Réthoré. Je les rejoins par l'abri et le P.A. 12 aux casemates. Le colonel Bonnefond est un homme charmant, très cordial, qui ne tarit pas d’éloge sur notre organisation,.ajoutant qu'il n'a rien vu de semblable... On se quitte sur le coup de midi, - mutuellement enchantés.
- Le 12 mars 1940 :
-.Appelé à d'autres fonctions, j'ai voulu en compagnie de Lamoureux, visiter une dernière fois. en détail, notre beau domaine.
-Le 14 mars 1940 :
- Dîner d'adieu à la popote de l'état-major du capitaine Bonnet, commandant le quartier. J’avais les larmes aux yeux de me séparer du 79e et de tous mes bons amis.
1 Bulletin de 1976
Bulletin de 1986 :
IN MEMORIAM
Capitaine Raymond MELLOTTÉE
21 avril 1894 - 17 juillet 1985
C'était un de nos plus anciens!
Incorporé au 24° bataillon de chasseurs alpins le 10 septembre 1914, il fut nommé caporal le 13 novembre, sergent le 7 janvier 1915, sergent-major le 16 mars 1915.
Blessé à deux reprises, le 20 juillet 1915 puis le 18' mars 1916, il obtint le grade de sous-lieutenant le 27 mai 1917.
Officier instructeur au centre d'instruction des chefs de section de Valréas, il fut affecté au 19e Régiment de Chasseurs polonais, commandant du groupe d'engins.
Le 19 juin 1919, il partit en Pologne avec l'armée Haller et fut nommé lieutenant le 19 juin 1919. Il rentre en France le 28 novembre 1919 et démobilisé le 17 janvier 1920.
En 1938 et 1939, il est à nouveau mobilisé au 79e R.l.F., commandant de la 3° C.E.F., avec les galons de capitaine.
Le 15 mars 1940, il rejoint la 2e Division polonaise.
Ses brillants états de service lui valurent Croix de guerre 1914- 1918 (3 citations), Croix de guerre 1939-1940 (1 citation), Croix de chevalier de la Légion d'Honneur.
Je l'ai connu dès 1938. En un temps très court, il avait transmis à sa compagnie sa volonté de combattre si la nécessité s'en présentait. Mais c'est durant ce dur hiver de 1939-1940 qu'il sut, par ses soins attentifs, se faire aimer de tous. Par ses notes précises, il donnait les meilleurs moyens d'organiser la résistance mais aussi d'assurer le maximum de confort à chacun. Que de soucis lui donnait la nourriture des hommes! Que de réclamations il adressa afin d'améliorer la qualité de la viande qui arrivait aux points d'appui avancés! Il fut à l'origine de l'utilisation des marmites norvégiennes pour l'acheminement des repas.
Que d'efforts pour fournir aux troupes d'intervalles les moyens indispensables à l'installation d'abris à peu près étanches. Ce n'était pas facile, j'en ai été témoin. Je le vois encore, dans sa tenue de chasseur, visitant les P.A., encourageant par son sourire, ces terrassiers qui n'avaient pas même une permission de 24 heures alors que leur famille était parfois bien proche! Alors, de temps en temps, il en appelait un au bureau ; un ordre de mission en règle permettait au soldat une courte visite à sa famille.
Pour Noël 1939, il avait contacté tous ses amis. Les envois avaient été si nombreux que tous les hommes reçurent un cadeau utile.
Monsieur Mellottée, vous aimiez vos soldats. Je suis sûr qu’ils vous le rendaient bien. Grande est la peine de cœur de ceux qui vous ont connu. Nous renouvelons ici, à Mme Mellottée, l'expression de nos vives condoléances.
A. CONTAL.