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Le blog de François MUNIER

A propos du général Venel : les poilus d'Orient et l'expédition de Thessalie.

19 Novembre 2024 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Guerre 1914-1918, #Grèce

Quand nous avons fait des recherches pour notre livre sur « Amance en Lorraine », nous avons cherché à en savoir plus sur le général Paul Venel, dont le nom figurait en premier sur le monument aux morts de la commune. J’ai trouvé cette brochure d’hommage par un de ses officiers. Je mets en ligne la partie qui concerne l’expédition de Thessalie. Comme pour mes autres mises en ligne, j’ai ajouté des notes de mise en contexte, des liens, des illustrations, etc..

Brochure de Gustave Gobert

En faisant des recherches sur l’auteur, Gustave Gobert, j’ai trouvé cette excellente brochure. Je reproduis la présentation du conflit :

http://www.gite-la-tour.com/files/Sedan_1915-1918_Poilus_Orient.pdf

Pour effacer le désastre des Dardanelles : Salonique Les 18 mars, 25 avril, 6 août 1915, les Franco-Britanniques attaquent les Turcs et tentent de prendre le détroit des Dardanelles et la péninsule de Gallipoli : il s’agit de libérer le blé russe bloqué en mer Noire, de soutenir la Serbie et de forcer deux États neutres à entrer en guerre, la Grèce et la Bulgarie. L’opération des Dardanelles se solde par un terrible désastre pour les Alliés. 180 000 tués dont 27 000 Français. Les garnisons évacuent, fin décembre 15 – début janvier 16, sur la pointe des pieds les plages des Dardanelles et rejoignent le port de Salonique, où elles vont former le noyau de l’Armée d’Orient. Le 21 septembre 1916, la Bulgarie, fort impressionnée par la victoire germano- ottomane, mobilise 800 000 soldats contre les Alliés. On obtient ainsi le résultat inverse à celui recherché ! La Serbie se trouve alors menacée sur deux fronts : l’un face aux Austro-allemands, l’autre face aux Bulgares. Le 6 octobre, Belgrade tombe. Joffre nomme Sarrail pour commander le corps expéditionnaire comprenant 15 000 Anglais et 65 000 Français, retirés des Dardanelles. Du 26 novembre 1915 au 16 avril 1916, l’armée serbe en pleine débandade tente de gagner les côtes de l’Adriatique en Albanie. Les survivants (140 000 sur 250 000) sont embarqués sur des navires alliés qui les emmènent à Corfou et à Bizerte. Piétinant la souveraineté grecque, les Alliés débarquent à Salonique, ville cosmopolite. L’Armée de Salonique ou Armée d’Orient est un mélange d’anciens des Dardanelles et de troupes fraîches venues de métropole.

A propos du général Venel : les poilus d'Orient et l'expédition de Thessalie.

INTRODUCTION

Préface du général Sarrail

Plus de dix-huit siècles de régime antidémocratique nous ont légué une mentalité spéciale : succès ou revers sont imputés à une individualité. Autour de tout dépositaire de l'autorité, n'y a-t-il pas cependant des sous-ordres, des collaborateurs officiels -- parfois même hélas ! des « éminences grises ». Avec tout chef militaire, n'y a-t-il pas en outre les exécutants même, les soldats ? Le soir d'une bataille, si la victoire est ou semble être, elle n'est que la résultante d'une série d'efforts qu'ont bien voulu donner dans un même esprit tous ceux qui y ont pris part : chef qui a dirigé ou commandé ; subordonnés à tous les degrés de la hiérarchie qui ont partout été à la hauteur de leur tâche, ont montré parfois une initiative heureuse, ont en tout cas fait fonctionner harmonieusement les rouages compliqués d'une armée moderne ; soldats anonymes, qui se sont donnés sans compter.

Depuis le 6 Avril 1918. date à laquelle m'a été retiré l'honneur de servir mon pays, j'ai eu le loisir de réfléchir sur beaucoup de ceux avec qui, depuis 1914, j'avais combattu les mêmes combats ; j'ai pu préciser le rôle de chacun d'eux et me rendre compte de l'influence qu'ont eue dans la marche des événements leur compréhension de mes pensées et de mes ordres ou leur parti-pris de les ignorer ou de les contrecarrer, leurs décisions particulières comme leurs initiatives. Parmi les officiers généraux dont le concours sans réserve ne m'a jamais fait défaut, se range le Général Venel.

Je ne le connaissais en aucune façon lors de son arrivée à Salonique. Il me fallut peu de temps pour m'apercevoir qu'il y avait en lui un soldat dont la carrière coloniale avait élargi les idées. J'estimai qu'il avait l'étoffe nécessaire pour faire un véritable chef : je lui confiai donc la mission d'opérer seul en Thessalie. Il fallait allier, à un doigté indispensable avec les populations amies de l'Entente, une fermeté absolue avec les autochtones inféodés aux idées germaines de leur roi encore légitime ; il fallait savoir recourir aux armes. si c'était nécessaire et, quoiqu'il arrive, brusquer la campagne pour pouvoir le plus tôt possible se reporter sur les ennemis officiels : Bulgares, Autrichiens et Allemands. A tous les points de vue, diplomatique, administratif, militaire, le Général Venel répondit complètement à ce que les circonstances exigeaient ; je me rappelle même que je m'inclinai devant sa manière de voir, lorsque, après le guet-apens hellénique de Larissa, il m'exposa qu'il n'était plus possible de passer par les armes les colonels FRANCO et GRIVAS qui nous avaient traîtreusement assaillis et le général BAÏRAS, qui avait trempé dans cette opération : ils eurent la vie sauve et furent simplement envoyés dans le camp de concentration de Mytilène.

Rendu au front, mis à la tête d'une Division, le Général Venel continua à donner les preuves certaines de ses belles qualités militaires.

Depuis mon départ de Salonique, je l'avais perdu de vue lorsqu'un de nos camarades communs de l'Armée d'Orient, l'officier-interprète Gobert, m'annonça qu'une longue et douloureuse maladie avait enlevé son ancien chef. Quand disparaît un de ceux avec qui l'on a vécu de durs moments, certains veulent bien alors ne se rappeler que les qualités de celui qu'ils ont connu je n'appartiens pas à cette école ; je préfère à ces caractères anémiés ceux qui disent toute la vérité et même ceux qui ne répugnent pas à déclarer comme certain Britannique : « Le cadavre d'un ennemi sent toujours bon. » J'ai écrit aujourd'hui ces quelques lignes, sans rien cacher de ma pensée ; le Général Venel était un excellent soldat, un collaborateur véritable pour ceux avec qui il servait, un chef intelligent et vigoureux, un parfait honnête homme.

SARRAIL.

Il faut ajouter que la situation politique grecque était très compliquée : le roi Constantin Ier était favorable à une entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, son premier ministre Venizélos était lui pour une entrée en guerre aux côtés de « l’Entente », la France et la Grande-Bretagne. L’expédition de Thessalie avait pour but de forcer la main à la Grèce. Ce qui fut fait avec l’abdication de Constantin en juin 1917

L'expédition de Thessalie

Au printemps 1917, la situation des armées alliées en Orient était assez précaire ; si les troupes françaises étaient au nord de Monastir1 et les divisions anglaises sur le lac Doiran2, si M. Vénizelos avait établi un gouvernement à Salonique et levé déjà plusieurs unités vénizélistes, si une zone neutre avait été créée pour éviter tout contact entre les troupes alliées et les troupes constantiniennes, il était permis de craindre à tout moment un changement d'attitude de la part du roi Constantin qui continuait ses relations avec les Empires Centraux.

Le gouvernement français prend alors la décision de provoquer l'abdication de Constantin, qui avait fait de la Grèce la complice de l'Allemagne, avait provoqué l'écrasement des Serbes en reniant cyniquement le traité conclu avec eux et avait, dans un véritable guet-apens, fait massacrer à Athènes une centaine de marins français les 1er et 2 décembre 19163. Après quelques discussions et hésitations, le gouvernement anglais accepte la nomination de M. Jonnart4 comme Haut Commissaire des Puissances protectrices, avec mission d'obtenir, autant que possible par des moyens pacifiques. l'abdication du roi Constantin, d'écarter du trône le Diadoque5, qui a souvent manifesté ses sentiments germanophiles, et de remplacer Constantin par son second fils, le prince Alexandre6.

M. Jonnart quitte Paris le 2 juin. débarque à Salonique le 7, à 9 heures du matin et prend, avec le Général Sarrail et d'accord avec M. Vénizelos, toutes les dispositions nécessaires pour remplir sa mission avec rapidité, si possible sans effusion de sang. Afin d'éviter toute possibilité de résistance, il est décidé d'exécuter trois opérations simultanées :

1° Occuper la Thessalie.

2° Prendre possession de l'isthme de Corinthe.

3° Débarquer les troupes dans la région d'Athènes.

M. Raymond Recouly, dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1917, a exposé avec quelle rapidité quelle habileté et en même temps quelle fermeté M. Jonnart avait obtenu à Athènes les résultats désirés par les Puissances.

Pendant ce temps, le Colonel Boblet était chargé d'occuper l'isthme de Corinthe ; nos soldats débarquaient dans l'isthme sans rencontrer de résistance de la part du IVe corps grec et s'installaient sans coup férir.

2 Lac de Dojran, partagé entre la Macédoine du Nord et la Grèce

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_de_Dojran

Carte de la brochure de Gobert colorisée par mes soins.

Carte de la brochure de Gobert colorisée par mes soins.

De son côté, le Général Venel menait à bien la tâche qui lui avait été confiée en Thessalie : il lui faut lui aussi montrer de l'esprit de décision agir avec rapidité déployer à la fois de la fermeté militaire et de la finesse diplomatique.

Alors qu'il est à Cegel dans la boucle de la Cerna1, il est mandé à l'Etat-Major de l'A. F. O. A son retour, il écrit dans son carnet :

« Le 26 mai on m'appelle à Florina2 ; je dois aller prendre à Kozani3 le commandement d'une brigade formée par 157, 2e zouaves.

Pourquoi ? Mystère. On verra bien. On sait que M. Jonnart est attendu qu'on va parler ferme à la Grèce et c'est probablement pour appuyer ses discours... Arrivée à Kozani à 11 heures. Installation délicieuse dans grande villa d'un banquier ami du roi Georges. La brigade sera sous les ordres du Général Regnault qui prend le commandement des troupes devant opérer en Vieille-Grèce. C'est tout ce que je sais »

Des éclaircissements lui sont apportés bientôt par le Général commandant en chef les armées alliées d'Orient.

« Le 29, visite du Général Sarrail ; il me fait comprendre ce qu'il veut, et dit qu'il me faut me porter à SERVIA4. limite de la zone neutre5 pour former ma brigade, qui aura avec elle le groupe Douchet de l'A. D. /11 ».

Le 31 mai le Général Venel se porte à SERVIA avec son chef d'Etat-Major le capitaine DURLOT. L'installation se fait la brigade devient « division provisoire » et reçoit les différents éléments qui lui sont affectés.

Elle comprend : comme troupes d'infanterie le 58e bataillon de chasseurs à pied, le 2e bis de zouaves, le 61e régiment, le 30 bataillon de tirailleurs Sénégalais le 1er bataillon lndo-Chinois, le 13e bataillon territorial de zouaves deux compagnies du 115e territorial ;comme cavalerie : le 1er, le 4e, le 8e chasseurs d'Afrique. le régiment de marche de spahis marocains ; puis un groupe d'artillerie à cheval, un groupe de l'artillerie de la 11e D. I. C., une section d'autos-mitrailleuses l'escadrille 389 (6 avions du type C. A. et 4 avions de chasse), un détachement télégraphique, le groupe de brancardiers de corps n°1. l'ambulance de colonne mobile 3, les ambulances alpines 9 et 14, les sections d'hospitalisation 4/45 et 8/11 la section sanitaire automobile 42 des compagnies d'arabas 16/17 et 11bis /18 deux C. V. Ax 263/18 et 264/18, un groupe T. M un détachement des Trésor et Postes un service de l'Intendance et un détachement de C. O. A.

Ces différents éléments sont répartis à la limite de la zone neutre dans les localités d'EKATERINI, EKSISU, KOZANI, GREVENA ,SERVIA, KAJALAR.

5 qui séparait la Grèce entre partisans du roi et partisans de Vénizelos.

Parvient alors du G. Q. G. de Salonique une note indiquant la mission à remplir et la méthode à employer pour l'exécuter.

C.A.A Le 31 Mai 1917.

E. M. Gal SECRET

3e BUREAU

N° 2014/P

Instruction pour le Commandant des troupes appelée à agir éventuellement en Thessalie.

I Le pays

II La situation.

III Mission : Elle est double

a) Assurer la sécurité de l'Armée d'Orient du côté de la Vieille-Grèce.

b) Mettre les récoltes thessaliennes à l'abri de toute destruction ou toute exportation non autorisée

A) Sécurité de l'A. O. Le maintien en Thessalie des forces armées qui s' y trouvent actuellement ne devra pas être toléré.

Les forces irrégulières seront attaquées et détruites partout où on les rencontrera.

Quant aux forces régulières, si à notre arrivée elles ne font aucun acte d'hostilité elles seront désarmées sans violence. Le personnel sera gardé et formera trois groupes : officiers sous-officiers, troupe, qui n'auront aucune communication entre eux. Des instructions ultérieures seront envoyées à leur sujet.

En cas d'attitude hostile, les traiter en ennemis.

Il est probable qu'en opérant avec doigté, fermeté et décision, une solution pacifique pourra très généralement être obtenue. Elle est désirable.

S'assurer, dès le début, des autorités hostiles.

Rechercher et saisir les suspects, les dépôts d'armes et de munitions.

Désarmer toute la population.

Garder les voies de communications, particulièrement les voies ferrées.

Surveiller de près les lignes télégraphiques et téléphoniques.

Les principaux bureaux seront occupés. Aucune communication avec la Vieille-Grèce.

Des troupes de couverture seront poussées au plus tôt sur l'Othrys pour interdire tout mouvement éventuel vers le Nord des forces venant de la Vieille-Grèce.

B) Main-mise sur les récoltes.— En vue d'empêcher toute sortie de récoltes ou de ressources quelconques.

a) Mettre la main sur les centres les plus importants et avant tout sur les grandes gares du chemin de fer d'Athènes jusqu'à la crête de l'OTHRYS1.

b) Saisir tout le matériel roulant de la ligne d'Athènes. Laisser entrer le matériel qui pourrait venir de Vieille-Grèce, mais empêcher toute sortie.

c) Cercler le territoire Thessalien, en tenant :

au Sud, les passages du Mont Othrys

à l'Ouest, les passages du Pinde2 ;

à l'Est, les ports et, les principales Échelles.

Prendre des dispositions analogues à celles actuellement adoptées sur les limites de la zone neutre.

IV. — Mode d'exécution

Pousser très vite avec le gros des forces sur Larissa. La cavalerie prenant les devants, débordera la ville et coupera les communications, empêchant tout départ de troupes on de matériel. La voie ferrée sera aussitôt barrée vers HASSAN-TATAR (7 kilomètres sud de Larissa).

Un détachement d'aile droite marchera par KALABAKA, TRYKALA et KARDISTA.

Un détachement d'aile gauche marchera par la voie ferrée de PAPAPOULI et de la vallée de TEMPÉ. Il aura comme mission particulière de saisir et de garder les ouvrages d'art et tout particulièrement le grand pont sur la SALAMYRIA. Il couvrira ensuite, du côté de VOLU, les forces de Larissa.

La question de Larissa réglée, régler celle de Volo.

V. Faire observer une discipline rigoureuse par les troupes.

Ne pas molester les populations qui nous sont en grande partie favorables. S'appuyer sur les nombreux éléments qui nous sont acquis. Maintenir l'ordre en sévissant contre les fauteurs de troubles.

Signé : Sarrail.

La division continue à se constituer ; « tout cela se case ». Le Général est logé chez le maire de Servia, dont la nièce est une très jolie beauté grecque

……………………………………………………………………………………

. « La population de Servia est assez indifférente. Ancien village turc, en 1912, les Grecs victorieux, y ont massacré des Turcs à la pelle ». Cette observation pittoresque du Général Venel indique bien quel a été le massacre des Turcs quand en octobre 1912 la ville tomba aux mains des Grecs qui mirent tout à feu et à sang. Il est vrai que cette ruée vengeresse des troupes grecques avait été provoquée par la conduite des Turcs avant leur départ : ceux-ci avaient tiré les malheureux Grecs de prison. les avaient torturés avec tous les raffinements imaginables avaient jeté pêle-mêle les cadavres, puis de chaque côté de la rue assez étroite, avaient rangé, à terre, quatre-vingt-dix tètes d'hommes, de femmes, de prêtres et d'enfants, lés traits tordus par la douleur et affreusement sanguinolentes. pour souhaiter la bienvenue aux troupes libératrices !

Le Général constate que les Turcs restés à Servia n'osent pas manifester leurs sentiments. « Ils se contentent de gagner de l'argent en nous vendant fruits et légumes, et même les prairies qui qui ne leur appartiennent pas ». Et à ce moment-là, le change ne nous était déjà pas favorable, en Grèce !

De Salonique est envoyé un officier vénizéliste pour accompagner l'expédition : le Lieutenant-Colonel Iskomachos. « C'est un ancien député de Larissa, il était député et sous-lieutenant en 1897. Il n'est pas pour Constantin, parce que celui-ci comme diadoque en 1898, n'a pas accordé aux députés la considération qu'il n'octroyait qu'aux militaires………………. il cause beaucoup et il connaît bien les affaires de Grèce. »

Les premiers jours de juin sont occupés par l'étude du terrain sur la carte et la préparation des ordres à donner aux troupes pour la marche en avant. Il est difficile d'obtenir des renseignements précis puisqu'il est interdit de sortir de la zone neutre : ceux qui sont reçus « font penser que les Epistrates1 opposeront de la résistance à notre passage. »

Ce qui semble plus délicat au Général, c'est d'avoir des renseignements précis sur les itinéraires. « Et il n'y a qu'une route de Servia à Larissa. » Après un plateau d'où l'on descend par une foule de lacets vers une petite rivière, la route gagne un nouveau plateau eu s'accrochant pendant (les kilomètres au flanc d'une montagne rocheuse : à gauche une paroi à pic : à droite, un ravin également à pic. La route, faisant d'innombrables détours qui se commandent les uns les autres, conduit au défilé de SARANTAPOROS, qui se continue par un grand plateau descendant vers la plaine d'Elassona par une pente douce de sept kilomètres, parsemée de broussailles et d'arbustes avec, de chaque côté du plateau, un ravin très profond et à pic, où il est impossible de s'engager. C'est là que les Grecs en 1912 avaient, avec un entrain admirable, délogé les Turcs de leurs positions fortement retranchées.

Cette route qui de Stena Portas à 7 kilomètres au sud de Servia (433 mètres d'altitude) s'élève, sur un trajet de 33 kilomètres jusqu'à 910 mètres pour descendre à 271 mètres à Elassona, continue jusqu'à Tyrnavos à travers (les versants déboisés couverts de buissons rabougris en franchissant le col de Melouna (520m). Elle se termine enfin par 15 kilomètres en plaine de Tyrnavos à Larissa qui se trouve seulement à 74 mètres, d'altitude.

Les 79 kilomètres qui séparent Servia de Larissa ne peuvent donc se faire que par cette route unique et facile à défendre. Et quel est l'état de cette route ? La notice du Ministère de la Guerre indique seulement qu'en plusieurs endroits, elle passe ravins et ruisseaux à gué, qu'avant Tyrnavos, elle est eu mauvais état. Quiconque a connu les routes de Macédoine sait ce qu'est là-bas une route en mauvais état ! Aussi le Général écrit à ce sujet :

« Les ponts, ponceaux m'inquiètent, ceux que j'ai vus sur douze kilomètres sont assez médiocres ; il faudra avoir, en tête du gros, des camions portant poutres, outils, planches, tout ce qu'il faut pour réparer »

Une autre difficulté s'ajoute à celles de la route : c'est la saison chaude et la chaleur est accablante. 40 degrés à l'ombre, note le Général qui décide « on ne marchera que la nuit ». Il rendra compte ensuite que « pour faire donner à l'infanterie le maximum de rapidité dans les régions difficiles que les troupes auront à traverser, les sacs des hommes avaient été déposés dans les bivouacs de départ ». Il ajoutera dans son rapport du 17 juin : « Le but de l'opération étant connu, les renseignements obtenus sur la région ayant été rassemblés, coordonnés et contrôlés dans la mesure du possible. il en est ressorti que pour la réussite, il faut agir avec la plus grande rapidité. »

C'est le désir de M. Jonnart et celui du Général Sarrail : et c'est avec le minimum de temps que la Division Provisoire du Général Venel va obtenir le maximum de résultats.

L'opération commence dans la soirée du 10 juin ; pendant la nuit, nuit très belle, le Général dîne au pied de Sarantaporos. A 6 heures du matin, le 11, il est à Elassona, où !a cavalerie est arrivée à 4 heures. « La sûreté a procédé à des arrestations ; la population est assez peu emballée ; les députés la secouent par de vibrants discours. — On se tasse ; on s'installe pour la journée. On repartira la nuit de façon que Larissa soit enveloppée par la cavalerie avant six heures ; l'infanterie fera étape à Tyrnavos ; un bataillon du 61e poussera jusqu'à mi-chemin Tyrnavos Larissa ».

La marche des troupes reprend dans la soirée du 11, sans encombre, sans coup férir. Le Général écrit seulement ces quelques mots : « Le col de Tyrnavos — très dur — route turque pas mauvaise, pas entretenue par les Grecs. -- Tyrnavos à 4 heures ; on y a pincé quelques gendarmes ».

Le 12, à 5 heures, les escadrons d'avant-garde du 1er chasseurs d'Afrique se présentent devant le front Nord de Larissa avec la section d'autos-mitrailleuses. Ils traversent la ville non encore éveillée et les divers éléments, suivant les ordres reçus, vont occuper au Sud de Larissa les emplacements indiqués de façon à encercler la ville et à supprimer les communications. Les unités de cavalerie désignées occupent les services et édifices publics (mairie, préfecture, banque, gendarmerie, cercle militaire, hôtel de la Division. casernes. gares..)

A 6 heures, le Général Venel arrive avec le gros de la cavalerie au pont qui est à l'entrée Nord de Larissa. « La ville s'éveillait, dit le Général. La population sortait des maisons, se répandant dans les rues, en particulier sur la place à l’Est du Pont. La foule ne semblait pas hostile, elle paraissait plutôt curieuse et sympathique. »

1 Fonctionnaires

Déjà un poste de soldats grecs commandé par deux officiers avait été désarmé au pont. Se présente alors une voiture automobile qu'un des militaires grecs arrêtés indique être celle du Général BAIRAS, Commandant les troupes à Larissa. La voiture traverse le pont. le Général Bairas en descend ; il est en tenue du jour avec sabre. Il demande, en excellent français, à parler au Commandant de la cavalerie, qui est le Colonel de Fourtou.

Il est conduit au Général Venel et un dialogue pathétique s'engage entre les deux Généraux, dialogue que le Général Venel relate sur son carnet avec ses observations et une saveur particulière que l'on ne retrouve plus dans le compte-rendu officiel adressé au Général Sarrail. Voici ce récit :

BAIRAS. — Le Commandant de l'expédition ?

Moi. — C'est moi.

B. — J'aurais pensé que vous m'aviseriez de votre arrivée j'aurais alors fait placer ma garnison sous les armes pour vous recevoir tous en amis.

M. — Mais alors pourquoi cette garde armée, équipée avec cartouchières pleines au pont, si c'est pour recevoir des amis ?

B. —Je n'ai aucune mauvaise intention J'ai recommandé à tous d'être calmes. La ville ne résistera pas.

M. — Je suis d'ailleurs bien décidé, si le moindre mouvement a lieu en ville, à la bombarder ; mon artillerie arrive à ce moment (une batterie), elle s'installe (c'était visible). Au surplus, mes instructions sont les suivantes : tout individu irrégulier qui fera usage de ses armes sera immédiatement fusillé. Contre toute troupe régulière qui n'acceptera pas mes conditions — que je vais vous dire — j'opérerai avec mes troupes. Si les troupes régulières sont décidées à ne pas résister, il sera procédé à leur désarmement et à leur envoi dans des camps à l'arrière, jusqu'à l'accord complet, des gouvernements.

B. — Les officiers aussi ?

M..— Même traitement pour les officiers.

B. —Je ne m'attendais pas à ces propositions. Je vous demande de demander des instructions à Athènes.

M. — Impossible, toutes les communications avec Athènes sont coupées. (Le Colonel de Fourtou venait de me rendre compte qu'un régiment de chasseurs encerclant la ville, avait raté un train de dix minutes, avait coupé les fils télégraphiques et téléphoniques). Si mes conditions ne sont pas acceptées, j'entrerai en ville et je détruirai ce qui s'opposera à mon passage.

B. — Alors, moi aussi, je serai prisonnier de guerre. C'est très pénible, et c'est terminer bien douloureusement une carrière militaire toute d'honneur. (Ce cochon-là est celui qui a livré le fort de Rupel aux Bulgares). Je demande une minute de réflexion.

M. — Plusieurs si vous voulez, mais pas trop ; en ce moment, ma cavalerie doit être en contact avec votre garnison il ne faut point trop attendre.

(Il rentre dans son auto ; il converse avec son chef d'État-Major qui m'est signalé comme un ex-chef des épistrates, très royaliste. Je fais interdire au chauffeur de faire marcher le moteur. — Puis Bairas descend et vient me dire

B. — Eh bien ! Général, je cède à la force, je veux éviter toute collision, j'accepte vos conditions. Mais c'est très pénible. J'aimais les Français ; vous avez ma personne, mais ce n'est pas... (Bref, il bafouille. A ce moment il aperçoit Iskomachos).

B. — Je croyais qu'il ne devait y avoir que des Français et des Anglais ?

M. — En effet, mes troupes ne comprennent que des Français et des Anglais, amis de l'Hellène.

B . — Mais je vois un étranger, un ennemi, un traître. Ce sont ces traîtres qui nous ont mis dans cette situation. (Cela lui va bien de parler de traîtres).

M. — Le Colonel Iskomachos est un officier de l'armée hellénique, c'est tout ce que je sais. Au surplus, cela ne vous regarde pas. — Puisque vous acceptez mes conditions, vous allez, avec le chef de ma cavalerie, partir à la caserne et donner des ordres aux troupes que vous commandez, conformément à nos conventions. C'est bien entendu. Vous serez responsable de ce qui arrivera et, en cas de trahison, je n'hésiterai pas à agir, et dur.

B. — C'est entendu, vous avez ma parole.

(Comme il se dirige vers sa voiture, je lui fais observer qu'il va partir sans le Colonel de Fourtou — je suis certain que c'était cela qu'il cherchait — et je lui dis que pour le protéger (?) je lui adjoignais un officier dans son auto. C'est l'officier de l'Etat-Major de Fourtou, qui a déjeuné autrefois avec Bairas comme on se retrouve ! Bairas le reconnaît et fait la grimace (j'avoue que j'aimais mieux ma situation que la sienne). De Fourtou monte dans mon auto avec les commissaires et en route pour la caserne.

Je file en arrière et je fais prendre le trot à Duperthuis et à Mac-Carthy, gros de l'avant-garde.

La population commence à remplir les rues. Elle n'est ni sympathique, ni antipathique ; craint-elle ? peut-être. Elle ne manifeste d'aucune façon »

Pendant que le Général établit son P. C. près du pont, sur la rive gauche du Pénée, dans un débit du jardin « de la reine Sophie », les spahis marocains, sauf un escadron qui reste à la disposition du Général, traversent la ville et se portent vers les casernes. L'artillerie à cheval va se placer en position à 400 mètres environ au Nord-Ouest du pont, d'où elle a des vues sur la ville et les collines au Sud.

Le 61e régiment d'infanterie qui est arrivé à 5 heures à deux kilomètres au Sud de Tyrnavos reçoit l'ordre, après un repos de quelques heures, de porter ses deux bataillons sur Larissa.

A huit heures, le Général entre en ville dans son automobile. escortée d'un peloton de cavalerie. La population dans les rues est calme. En arrivant près de la caserne, quelques coups de feu se font entendre.

Le Colonel de Fourtou fait alors au Général le compte-rendu des événements sanglants qui viennent de se dérouler :

« Arrivée avec Bairas ; celui-ci a réuni les officiers d'infanterie et d'evzones1 au cercle des officiers. Il leur a dit les conditions imposées. — Murmures de quelques officiers, auxquels Boiras répond : « J'ai bien rendu mon épée et donné ma parole, et mon épée vaut la vôtre ». — Les officiers présents accèdent. Les Colonel Grivas (infanterie) et de Franco (evzones) demandent à se retirer dans leur chambre pour remettre leurs armes de façon à ne pas le faire devant leurs subalternes. De Fourtou accorde. Les 2 salops sortent du cercle puis sautent sur leur chevaux que des ordonnances tenaient en main et filent au galop vers le fond de la caserne où les troupes rangées attendent les ordres. En fuyant, l'un deux tire un coup de revolver sur des cavaliers français qui le poursuivaient. Ils donnent des ordres aux troupes qui, immédiatement s'égaillent, en ordre, dans les blés qui jouxtent la caserne. Ils tirent. Le Colonel de Fourtou fait avancer les autos-mitrailleuses, lesquelles ouvrent le feu. Il donne l'ordre de charger aux escadrons de Duperthuis qui vient d'arriver et aux escadrons de chasseurs d'Afrique de Mac-Carthy. Environ 200 soldats grecs (infanterie) font de suite « camarades », encouragés par leurs sous-officiers. Le bataillon des evzones, sous le commandement de de Franco, lutte. — L'action dure environ trente minutes. Les spahis sabrent ; ils font prisonniers Grivas et de Franco (ceci je ne le sais qu'à 9 heures). Quant à Bairas. il est dans l'hôtel de la Division avec son Etat-Major. Les cavaliers continuent la poursuite ».

Après avoir fait avancer une batterie, d'artillerie sur la caserne (groupe Larregain) et le bataillon du 61e jusqu'au pont de Larissa, le Général Venel établit son P. C. au jardin.

A 9 heures, le calme-est rétabli et le Général note les résultats de cette échauffourée :

« Les deux colonels grecs sont prisonniers, les spahis ont pris le drapeau des evzones. — Résultat : une soixantaine de Grecs tués. 14 blessés ; chez nous 7 spahis tués, 2 chasseurs tués. un officier tué, un blessé grièvement (il mourra le lendemain) ».

Le reste de la journée se passe en organisation. réceptions ; la population de Larissa commence à changer d'attitude : de nombreux habitants, dont les sentiments sont favorables à la France, heureux d'être délivrés du régime germanophile de Constantin et satisfaits de voir nos troupes agir avec une énergie inaccoutumée arborent des drapeaux français à leurs fenêtres et envoient une délégation au Général Venel. Pendant ce temps, la sûreté arrête et emprisonne les suspects, la cavalerie continue à remplir sa mission de contrôle et de surveillance et a même le bonheur clé capturer un train venant d'Athènes où, au départ, on n'avait certainement pas prévu que les événements se précipiteraient avec une telle rapidité.

Le Général Venel fait un bref compte-rendu des événements et note d'une plume quelquefois satirique ses observations sur les faits et les gens.

« A 9 heures 30, une députation des notables de la ville vient me trouver. Elle demande que je m'installe en ville. Je lui dis ce que je suis venu faire, que je ne suis pas là pour les molester, etc., etc... En ville on commence à manifester pour nous, drapeaux français aux fenêtres ; j'ai l'impression que la population n'a osé exprimer ses sentiments que lorsqu'elle a vu et compris que cette fois, c'était sérieux ; disparition du régime de Constantin.

« A 9 heures 30, la cavalerie a arrêté un train venant d'Athènes dont, les voyageurs sont très surpris de voir les soldats français.

Je révoque les autorités royales —qui sont enfermées.

La sûreté arrête les suspects.

Une commission municipale sera nommée. Protection des banques, des édifices.

A 10 h. 30, visite du Consul italien ; il a attendu jusqu'à ce moment pour être bien certain que cette fois nous voulions aller jusqu'au bout : ménager la chèvre et le chou, se mettre toujours du côté du marteau.

Reconnaissance en ville par l'État-Major pour l'installation. Désarmement de tout ce qui est régulier grec, internement au quartier.

Sarrail aurait voulu que je fusille Grivas et de Franco. Non. Mauvais au point de vue politique — et puis trop tard pour le faire sans jugement.

On installera la Division demain matin 13 au Cercle des officiers, Grande Place, Larissa.

Prise de possession de la ville. Ordre de pousser l'infanterie en dehors. Mesures de précautions. La cavalerie vers l'Othryx.

Toute la soirée du 12, défilé des autorités grecques, grandes protestations de loyalisme et.....

Moralité.— Il semble ressortir que Bairas est faux comme un jeton. Depuis le mois de janvier, il roule nos commissaires qui n'ont jamais connu les effectifs. Il a un Etat-Major nombreux. Il a su notre intervention. Il a même reçu un ordre (c'est celui qu'on montre) disant de ne pas s'opposer à notre marche. Il a réuni, dès le 10, ses officiers, en particulier Grivas et de Franco. Il prétend qu'il a prêché la soumission. Il parait que Grivas aurait dit que jamais il ne se conformerait à de telles instructions. Bairas n'a pas sévi.

Il y a un certain télégramme destiné à Athènes — où l'on demande s'il faut emporter les couvertures — qui me parait bien suspect : il fait une chaleur atroce ! En tous les cas, les troupes ont été habillées, équipées, armées de neuf. Les fantassins ont reçu deux cents cartouches ; à notre arrivée les voitures étaient chargées. Des officiers d'État-Major avaient été envoyés dans la campagne. Je suppose que les ordres aux Epistrates ont été envoyés, mais que personne n'a répondu à l'appel.

Je suppose que Bairas ne m'attendait que le 13 ou le 14 et qu'il a été surpris dans ses combinaisons. Je suppose qu'il aurait essayé de résister, qu'il n'a pas osé en prendre l'initiative, qu'il n'a pas eu assez de poigne pour imposer ses volontés ni à ses troupes ni aux épistrates, et que dès lors il s'est résolu à laisser faire les événements, quitte à se couronner de gloire, si ces événements avaient bien tourné.

C'est une vieille ficelle, peu sympathique regard fuyant, un faux bonhomme ».

Pendant la journée du 13 Juin, les opérations s'effectuent à l'aile droite et à l'aile gauche sans difficulté et sans rencontrer de résistance. D'un côté, KALABAKA est occupé, puis TRIKALA, « La garnison de Trikala (100 fantassins) a fui dans l'Agrafa avant l'arrivée des troupes ; c'est une bonne nouvelle. je n'avais là-bas que deux escadrons de spahis ». L'occupation continue vers le Sud.. « Plus loin. vers le Pinde. ma cavalerie rencontre des ltaliens, qui font la liaison avec l'Epire. et qui probablement auraient bien voulu venir en Thessalie. »

De l'autre côté, le Bataillon de chasseurs entre à VOLO. « Tout marche sans résistance ; dès l'instant que Larissa est en nos mains, qu'on sent ce que nous voulons, tout craque ».

A Larissa, le Général installe une nouvelle municipalité ; la sûreté confisque les armes. l'Intendance met la main sur les récoltes. La population se montre de plus en plus accueillante et accable le Général de protestations de loyalisme. « Je laisse entrer les députés. Ils peuvent maintenant pérorer sans danger — et ils s'en donnent. lskomachos semble un conspirateur, il prépare sa future candidature Tout se tasse. On dit que Lamia est plein de royalistes. On apprend que Constantin a démissionné. La vie de la cité commence à reprendre. Ils me font perdre mon temps en discours. Désormais je ne les reçois plus que debout et je leur dis qu'il vaudrait mieux m'écrire ce qu'ils ont à m'exposer ».

Le mème jour, le Général fait procéder à l'inhumation des malheureuses victimes françaises du 12 ; toutes les troupes disponibles y prennent part, ainsi qu'une grande partie de la population.

« Belle cérémonie.- Toutes les autorités grecques, et le clergé y assistent. Beaux discours, dont celui du métropolite est très brillant à écouter ».

Les journées suivantes se passent dans le calme le plus absolu la grande majorité de la population de Larissa fraternise avec nos officiers et soldats. De tous côtés parviennent des invitations à des thés, des divers, des bals ; une grande réception est préparée au Général Sarrail «  qui est très satisfait ».

Le Général Venel va se rendre compte sur place de l'exécution de ses ordres par les troupes qui avaient mission d'effectuer les opérations à l'aile droite et à l'aile gauche. Il va d'abord à Volo où il est accueilli par les acclamations de la foule : toutes les autorités de la ville viennent l'assurer de leur dévouement et lui exprimer leur satisfaction. L'évêque, que Constantin avait déporté dans une île, était revenu sur un torpilleur que M. Vénizelos avait envoyé pour lui permettre d'assister à la manifestation en l'honneur des Français. Au déjeuner qui suivit la réception, il raconta qu'il avait dû obéir, lorsque Constantin avait donné l'ordre à tous les membres du clergé de lancer l'anathème du haut de la chaire contre M. Vénizelos, mais il ajoutait : « J'ai prononcé très vite le nom de Vénizelos et en le prononçant, je pensais : Constantin (!) » Le port de Volo, très important parce qu'il permet aux plaines de Thessalie de prendre contact avec la mer, est d'ailleurs habité presqu'uniquement par des Grecs qui sont très favorables à la France.

Le Général Venel rend visite au détachement anglais du lieutenant-Colonel Hopkins qui a été adjoint à la Division Provisoire pour montrer l'accord complet des Alliés : les Anglais ont été chargés d'occuper PHARSALE, où jadis César infligea une défaite retentissante à la jeunesse romaine rangée sous les enseignes de Pompée et qui n'est plus aujourd'hui qu'une bourgade en décadence depuis l'émigration de la population turque.

Il inspecte les troupes chargées de la surveillance du chemin de fer et de l'occupation des cols de l'Othryx ; il sort de Thessalie, va en Phtiotide, à LAMIA, ville de 10.000 habitants dont la situation est de grande importance parce qu'y débouchent les routes qui unissent la Thessalie à la Grèce centrale et méridionale, mais dont le port — l'Echelle de STYLIS, au fond d'une anse marécageuse, de séjour malsain, n'a qu'une eau peu profonde, sans cesse menacée par les alluvions du SPERCHIOS.

Il pousse plus loin vers le Sud, va jusqu'à ITEA, sur l'isthme de Corinthe, occupé par les troupes du colonel Boblet, fait un pèlerinage à Delphes où la beauté mièvre du paysage ne correspond pas à la grandeur et à la majesté que notre imagination, nourrie de souvenirs antiques, se plaît à prêter à ce lieu si longtemps célèbre par la présence de la Pythie.

Il va également vers les montagnes du Pinde, à KALABAKA, dans la haute vallée du Pénée ; il visite un des Météores, ces célèbres monastères que des moines ont établis sur des rochers à pics, à 300 mètres au-dessus de la plaine, pour défendre leurs richesses contre les attaques des brigands, les invasions des Turcs et les incursions des Albanais et où l'on ne peut monter que par des échelles appliquées verticalement contre le roc ou dans des filets qu'on hisse d'en haut à l'aide de treuils. A Trikkala, ville très commerçante de 1.700 habitants, habitée par de nombreux Valaques qui, l'été, remontent dans les villages du Pinde, le Général est reçu avec enthousiasme.

Il fait encore une excursion dans la fertile et délicieuse vallée de Tempé, dominée par l'Olympe, et, satisfait des résultats obtenus, estimant que sa mission était terminée, le Général Venel demande à retourner à sa brigade. S'il n'y a plus d'opération à prévoir, s'il n'y a plus qu'à organiser, il estime qu'il doit céder la place à d'autres, que son devoir est d'aller reprendre le commandement de ses troupes dans le secteur de Monastir. « Ma mission était remplie, écrit-il ; la Thessalie et Lamia occupées, la route Salonique-Itea gardée le reste était organisation à faire par les services de l'arrière ».

Ainsi, par cette triple opération à Athènes, dans l'isthme de Corinthe et en Thessalie, l'Armée d'Orient n'avait plus à craindre le coup de poignard qui la menaçait toujours dans le dos. Grâce à l'expédition du Général Venel, expédition effectuée avec rapidité, fermeté et des pertes légères dues à la traîtrise de quelques officiers constantiniens, ce grenier qu'est la Thessalie était entre nos mains et ne pourrait plus servir à ravitailler ceux qui désiraient la perte de l'Armée d'Orient. De plus, l'utilisation de la voie ferrée Salonique-BRALO allait permettre de faire passer nos convois, nos renforts, nos permissionnaires par Itea, l’isthme de Corinthe, Tarente et l'Italie et d'éviter ainsi les multiples dangers que les sous-marins faisaient courir à nos transports obligés auparavant de contourner la Grèce. Enfin, cette occupation rendait possible à M. Vénizelos la levée de troupes qui bientôt, aux côtés des Alliés, allaient provoquer l'écroulement du front bulgaro-allemand.

Le Général Sarrail exprimait au Général Venel toute sa satisfaction pour la façon dont il avait accompli sa mission et lui faisait accorder la cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur. Peu de temps après, le nouveau roi Alexandre, lors de sa visite sur le front de Monastir, le faisait Grand-Commandeur de l'ordre du Saint-Sauveur de Grèce.

1 Unités d’élite de l’infanterie grecque. Ce nom désigne actuellement les membres de la garde présidentielle, célèbres pour leur jupe plissée, la fustanelle.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Evzones

Source : Retronews

Source : Retronews

En même temps, le Général Venel apprenait que la population de Larissa avait l'intention de conserver son souvenir ; il recevait en effet la lettre suivante

Larissa, le 4 Juillet 1917.

« Le Comité Exécutif de Larissa,

« A Monsieur le Général Venel, Commandant la Division Provisoire, à Larissa,

« Nous avons l'honneur-de porter à votre connaissance que le Comité Exécutif de Larissa, dans sa séance d'aujourd'hui, a décidé que la rue principale de la ville, partant du port du Pénée et menant à l'ancien Palais Royal, s'appellera dorénavant rue du Général Venel, en souvenir de l'entrée des troupes françaises en Thessalie, sous votre commandement, et de la libération de notre territoire.

« Nous profitons de cette heureuse occasion pour venir vous prier de vouloir bien agréer l'hommage de notre profonde reconnaissance.

« Le Comité Exécutif :

« Signé C. IAPOUNDZAKI. E.A. TURIAKI.

« EPHIARMEUSDÉS. C. VLACHOS. D. IACHOS. »

De retour à la 22e B. I. C. le 6 Juillet, le Général Venel prend le commandement de la 11e Division d'Infanterie Coloniale au départ du Général Sicre. Un an plus tard, il rentre en France, ayant demandé à quitter l'Armée d'Orient, parce que, d'après toutes les prévisions, aucune opération n'était envisagée sur le front de Macédoine pour l'année 1918 et que la mission de l'Armée d'Orient semblait être seulement de retenir les troupes bulgaro-boches et de les empêcher de se porter sur des fronts plus importants.

Le Petit journal Supplément du 1er juillet 1917

Le Petit journal Supplément du 1er juillet 1917

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