Ouvrages anciens sur Nancy (5/). Dictionnaire de Grosse (5/). Les monuments de Nancy
Monuments de Nancy.
L’aspect de cette noble ville frappe d'admiration tous ceux qui la voient pour la première fois; il y a des voyageurs qui ne se lassent point d'en contempler les merveilleuses constructions; il y a aussi des habitants qui sont venus1 y fixer leur séjour et qui ne sauraient en détacher leur vie.
Nancy prend fièrement sa place parmi les plus belles villes de l’Europe, et on peut dire, du monde entier : elle est divisée en Ville-Vieille et Ville-Neuve. Dans la première se trouve l'ancienne citadelle et la magnifique rotonde des Cordeliers, que l'aveugle furie des révolutions avait dévastée; c'est une chapelle ducale consacrée aux tombeaux; elle était destinée à recueillir les ossements de nos princes et les reçut pendant sept siècles, et put compter parmi les sépultures les plus fameuses. Ce monument est d'une architecture de bon goût et fort élégante, où l'on ne voit que sceptres et couronnes sur des cénotaphes de marbre noir; autour de la voûte, sont disposés des médaillons, et entre les colonnes, dans l’encadrement des vitraux, brillent partout les armes de Lorraine. Le monument sépulchral a été admirablement réparé par les ordres de Charles X et de l'empereur d'Autriche, qui envoyèrent chacun un commissaire à la belle et importante cérémonie expiatoire qui eut lieu en 1826 : l'élite de la Lorraine assista à la translation des restes de nos souverains, que le vandalisme avait arrachés violemment de leur sépulture.
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La rotonde de la chapelle des Cordeliers.
Charles-le-Téméraire y fut quelque temps enseveli; mais sa fille, Marie de Flandres , fit rapporter son corps à Bruges. I.'ancien palais ducal est occupé par la gendarmerie; on y voit encore quelques traces des constructions du moyen-âge; le nouveau palais, un des plus beaux de France, est aujourd’hui l'hôtel de la préfecture. La Ville-Vieille est unie à la Neuve, par la magnifique place Carrière, plantée de beaux arbres, ornée de statues et bordée de superbes maisons, parmi lesquelles figurent les deux beaux édifices remarquables, où siègent la cour royale1, le tribunal de 1ère instance et celui du commerce2. Plus loin, l’immense place de Grève3 unit encore les deux villes, avec ses délicieuses plantations et les riches habitations qui l'embellissent : l’université4, vaste bâtiment où se trouvent le musée, la bibliothèque, etc. , sert encore de transition entre deux cités que tant de nuances tranchantes semblent diviser. La Ville-Vieille est un amas confins de maisons, de rues tortueuses, étroites, où se dressent, de loin en loin, quelques nobles hôtels; la Ville-Neuve, au contraire, a ses rues tirées au cordeau : elles sont larges, spacieuses; les rayons du soleil y plongent en liberté, et partout elles sont décorées de maisons construites avec une rare élégance : ces bâtiments gracieux, corrects et réguliers, forment un coup d'œil admirable; les rues5 traversent Nancy dans tous les sens et la coupent uniformément: nous citerons en particulier la longue rue St.-Dizier, celle des Dominicains, celle de la Poissonnerie6, de l'Esplanade7, etc.
1 Actuelle Cour d’appel
2 Actuel Tribunal administratif
3 Place Carnot depuis 1894
4 Actuelle Bibliothèque municipale
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6 Rue Gambetta depuis 1883
7 Rue Stanislas
Parmi les monuments remarquables de-la Ville-Neuve, il faut mentionner la place Stanislas (Place Royale), qui n'a peut-être point de rivale en Europe. Elle forme un carré régulier, dont un des côtés est entièrement rempli par le vaste et magnifique bâtiment de l’Hôtel de Ville; le côté E. par le palais épiscopal1 et l’ancien hôtel de préfecture; le côté N. par de brillants cafés et de superbes boutiques; enfin, le 4° plan renferme la salle de spectacle2, une des plus belles de France, et plusieurs cafés ou restaurants fort achalandés. Au milieu de la place, s'élève aujourd’hui la statue du roi Stanislas, œuvre d'un sculpteur lorrain nommé Jacquot. On y voyait autrefois la statue de Louis XV, et , plus tard, le génie de la France; mais on a été heureusement inspiré en plaçant le bienfaiteur de la Lorraine au milieu des chefs-d'œuvre dont il a embelli sa capitale. Les distances qui séparent ces riches constructions sont remplies par des grilles de fer dont le travail est remarquable; on admire également les fontaines en bronze, placées aux angles de la place, et qui présentent différents groupes de nymphes et d’animaux dont l’exécution est parfaite : la place Stanislas est le rendez- vous de la population; elle présente, le soir, un coup d’œil incomparable.
1 Actuel Opéra-Théâtre
2 Actuel Musée des Beaux-Arts
Vues de Nancy au XIXème siècle
Nous ne saurions longuement décrire tous les monuments dont s’enorgueillit la ville de Nancy; nous excéderions les bornes posées à ce modeste ouvrage. Cependant nous mentionnerons encore la place d'Alliance, entourée de superbes maisons, et plantée d'arbres; on voit, au centre, un vaste bassin circulaire, au-dessus duquel s'élève un groupe d'hercules qui supportent une pyramide assez élevée : on lit au bas une inscription en vers latins, pour éterniser le souvenir de la paix qui a donné son nom à la place et l’existence à cette belle fontaine.
Plus loin , se trouvent les casernes d'infanterie1, un des plus remarquables monuments de l'architecture moderne; la porte Ste. Catherine, mérite aussi d’être vue; la Pépinière avec sa terrasse, délicieuses promenades qu'on ne peut comparer à aucune autre, mais qui ont été long-temps redoutées des personnes honnêtes; le Jardin des Plantes2 dont nous avons parlé; la porte St. Georges; les Hôpitaux; la place immense de Grève, ou Cours3 d'Orléans4 , plantée de beaux arbres sur une vaste pelouse, on y admire de beaux chemins bien sablés, de magnifiques maisons qui la bordent de chaque côté, et au centre un Château-d’Eau5, qui alimente les fontaines de la ville et qui est une des merveilles de Nancy; la porte Neuve, dont l’élégance est vantée; la porte Stanislas , avec ses belles statues; la porte de la Citadelle, avec ses deux tours gothiques6; les Prisons; le vieux Palais des ducs de Lorraine, aujourd’hui l'hôtel de la Gendarmerie : on y voit encore des restes curieux de la sculpture du moyen Age. Le bâtiment de l'Université est digne d'être vu, ainsi que le Collège Royal, établi dans une ancienne maison religieuse7. Ce bel établissement soutient sa réputation : les bâtiments qu'il occupe sont vastes, espacés par plusieurs cours et bien entretenus : la chapelle du collège, avec son dôme, mérite aussi d’être visitée.
1 Caserne Thiry
2 Jardin Godron
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4 Cours Léopold depuis 1852
5 Au centre de l’actuelle place Carnot
6 Ce serait plutôt la porte de la Craffe
7 Actuel lycée Henri Poincaré
Quant aux églises, elles sont toutes assez remarquables et appellent par quelques détails l’attention du voyageur et de l’artiste. La Cathédrale, dont les décorations sont restées inachevées, est un vaste édifice qui a 76 mètres de profondeur, 50 de largeur et 26 mètres d'élévation : les tours ont 81 mètres de hauteur, jusqu'à l’extrémité de la croix; la façade, construite dans le genre moderne, présente un aspect fort imposant. La révolution a détruit les nombreuses statues qui en ornaient le faîte. L’intérieur de la Cathédrale semble un peu nu; les chapelles, au nombre de huit, sont pauvres et poudreuses, mais le maître-autel et le chœur sont d’une grande beauté : l'orgue compte aussi parmi les plus complets et les plus harmonieux de France. Le dôme est entièrement rempli par une peinture à fresque, très-estimée, représentant le paradis; il faut voir aussi les deux tableaux du chœur, ouvrage de Charles.
L’église St.-Sébastien est une des plus belles de Nancy; celle appelée St.-Epvre1 est remarquable par son antiquité; ses voûtes basses et sombres, ses ogives et ses vitraux, attestent l'architecture toute catholique du moyen âge :cette église est riche dans ses ornements intérieurs; les trois églises de St.-Nicolas, de St.-Pierre et de St.-Vincent (Trois-Maisons) ont quelques parties intéressantes à connaître; mais la plus belle, la plus touchante, la plus digne d’être visitée, c’est la noble chapelle de Notre-Dame-de Bon-Secours, à l’extrémité du faubourg St.-Pierre :on ne saurait la peindre, il faut la voir avec la foule de ses pèlerins, avec ses marbres, ses élégantes sculptures, ses vitraux coloriés, ses drapeaux conquis sur les Turcs par les valeureux princes de Lorraine; sa belle statue de la Ste.-Vierge , qui guérit2 là tant de douleurs et console tant d'infortunes; sa galerie élégante qui règne autour de la voûte, et par ses deux tombeaux, chefs-d’œuvres de Girardon3. Ils sont placés dans le sanctuaire; le premier, à droite, est celui de Stanislas; le second, à gauche, appartient à Catherine Opalinska, son épouse. Ces magnifiques monuments funéraires sont visités souvent par les étrangers et par les Lorraine fidèles qui n'ont pas oublié un des meilleurs princes qui aient jamais porté le sceptre. (Voyez Bon-Secours.)
Quant à l’église St.-Georges, autrefois collégiale célèbre , elle sert aujourd’hui d'oratoire aux Protestants. L'arc-de-Triomphe qui sépare la place Stanislas de la place Carrière, est encore un monument remarquable; il rappelle une époque douloureuse, celle où l’héroïque Désille4 paya de sa vie son généreux dévouement.
1Démolie en 1863 pour faire place à l’actuelle basilique, de style néo-gothique.
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Résumons cette longue description : Nancy est une des cités les plus remarquables du monde pour la régularité et la pompe de ses édifices, la beauté de ses promenades, la magnificence de ses places et l’élégance architecturale des maisons particulières. Il serait permis, néanmoins, de blâmer la froide uniformité de ces lignes .droites qui s'étendent sur un si long espace ; nul mouvement, nulle vie entre ces richesses monumentales; mais le luxe et la représentation donnent à tout une apparence théâtrale et un reflet brillant. Dieu veuille que le solide et le confortable n'y soient pas toujours déguisés sous ces formes imposantes! La correction sévère et le goût exquis que l'on remarque dans les édifices de Nancy, se reproduisent dans les manières et dans le costume des habitants de cette ville. La toilette y est une puissance, elle règne avec une entière liberté; tout y révèle ce désir de plaire et de briller qui est l'essence du caractère Nancéien : et jusque dans les derniers rangs du peuple, parmi les ouvriers et les femmes de chambre, etc., on trouve une recherche et une élégance qui semblent n'appartenir, avec raison, qu’à ceux qui jouissent de toutes les faveurs de la fortune. La jeunesse des deux sexes se partage ces hochets frivoles; les femmes, avec un esprit délicat, que donne l’usage du monde, ne savent point ce que c'est que la simplicité de la mise, du ton et des manières; elles sont toujours au moment d'une représentation solennelle, et pèsent sans relâche leurs paroles et leurs mouvements; le premier moment où on les aperçoit laisse une vive impression , mais la répétition des mêmes scènes conduit bientôt à l’indifférence.
(Voir la Revue de Lorraine.)1
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Quant aux jeunes gens, on les prendrait volontiers pour d'aimables demoiselles, sous la toilette élégante et compassée qui les couvre. On ne peut se faire une idée de ces manières musquées, de cet arrangement calculé de leur mise, de ce ton peu viril qui semblent être la plus grave occupation de leur vie. De tels hommes ne doivent savoir que la musique, la peinture et la danse : encore leur savoir d’artiste ne peut-il être bien profond. Je n'ai pas besoin d’ajouter qu'il y a d'honorables exceptions ,et que, pour comprendre tous ces détails, il faut voir Nancy dans sa splendeur monumentale et dans l’intérieur des familles. Nous passons maintenant aux antiquités de cette ville.