Les Chrétiens d'Orient. Entre vérités et instrumentalisations politiques

25 Avril 2024 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Histoire, #Religions, #Proche et Moyen-Orient, #Moyen-Âge, #Actualité

Évangile arménien, musée arménien de Jolfa, Ispahan, Iran

On parle beaucoup d'eux, pas forcément "pour leurs beaux yeux", mais le plus souvent pour dénoncer des adversaires politiques, le plus souvent musulmans.

Exemple, ce post sur X (ex-Twitter) en réponse à un autre qui dénonçait les massacres perpétrés par l'armée israélienne à Gaza.

Mais qui sont ces Chrétiens d'Orient, et quel est leur sort ? Bien souvent cette catégorie signifie "chrétiens dans les pays musulmans". A tort ou à raison ?

Dans cette vidéo, le Youtubeur Herodot'Com propose un définition qui décoiffe, des vrais selon lui, "Chrétiens d'Orient". Pour lui, les "Chrétiens d'Occident" sont non seulement les Catholiques et Protestants, mais aussi les Orthodoxes et les Coptes.

Je vais essayer d'expliquer, mais ce n'est pas simple.

1er principe : ce ne sont pas plus des convertis que nous, au contraire, ce sont souvent des descendants des premiers chrétiens.

2ème principe : les "mystères" de la théologie chrétienne (la Trinité, l'Incarnation), ne découlent pas explicitement de la lecture du Nouveau Testament. Il faudra de nombreux conciles et quatre siècles (voire plus) pour définir une vraie doctrine "orthodoxe", et bien entendu, il y eut à chaque étape des gens qui n'étaient pas d'accord, d'où des Églises dissidentes.

Les débuts du christianisme.

Selon les Évangiles, Jésus est né à Bethléem et mort à Jérusalem. Le premier Concile se tint à Jérusalem. Les premiers disciples ont donc été des Juifs de la province romaine de Judée. Ils se sont dispersés et ont prêché dans toutes les directions, pas seulement vers l'ouest (Grèce, Rome).

L'Église apostolique arménienne se réclame des apôtres Barthélemy et Thaddée (Jude). L’Arménie fut le premier État chrétien dans l'histoire, avant l'empire Romain. Les chrétiens du Kerala (sud de l'Inde) se réclamaient de l'apôtre Thomas, ceux d'Égypte de l'évangéliste Marc.

Théologie et prises de tête.

Jésus est-il vraiment Dieu ? Le Père et le Fils sont-ils égaux dans le Trinité ? Le Fils est-il de même nature, d'une nature identique, ou de même substance que le Père ? Y a-t-il deux nature et Jésus-Christ, ou une seule, et si oui laquelle ? Marie est-elle mère de Dieu ou seulement mère du Christ ? Ces débats peuvent nous sembler absurdes, "byzantins", mais à l'époque ils étaient très importants, occupaient des Conciles et les empereurs s'en mêlaient et imposaient ce qui leur semblait être la vérité par la force. Paradoxalement, c'est la conquête musulmane qui a sauvé certaines Églises "hétérodoxes". En effet, les chrétiens étaient considérés comme des "Gens du Livre", et le pouvoir musulman leur fichait la paix et se fichait de leurs querelles théologiques (comme pour les juifs) à condition qu'ils se tiennent tranquilles et payent la dîme. Les chrétiens monophysites de Syrie et d'Égypte avaient d'ailleurs bien accueilli la conquête musulmane, qui leur semblait préférable au pouvoir impérial "chalcédonien".

D'autres Églises ont prospéré en dehors de l'Empire romain (unifié ou d'Orient).

Nous avons oublié ce que fut l'arianisme, religion chrétienne des peuples germaniques qui se sont installés dans l'Empire romain d'Occident. Il fut condamné par le Concile de Nicée en 325. Les thèses de concile et du suivant, le concile de celui de Constantinople en 381, ont été adoptées par les Églises des deux Conciles. L’arianisme ayant disparu, comme le donatisme, toutes les Églises chrétiennes reconnaissent ces deux conciles. En (très gros) : Père, Fils et Esprit sont égaux dans la Trinité.

C'est ensuite que les choses se compliquent, à propos de la nature de Jésus.

Église à proximité de la tombe de l'apôtre Thaddée (Jude), dans l'Iran actuel.

Le troisième concile, à Éphèse en 431, proclama Marie mère de Dieu (l'homme Jésus est donc Dieu) et condamne les thèses de Nestorius. Les Églises qui acceptent les décisions du concile d'Éphèse, mais pas les suivantes, sont dites des Trois conciles.

Mais les débats n'étaient pas clos. En 451, une nouveau concile, le quatrième, se tint à Chalcédoine, aujourd'hui un quartier d'Istanbul. Il consacra la séparation avec les monophysites (Égypte et Éthiopie) et les Arméniens.

Les Églises catholique et grecque-orthodoxe sont dites chalcédoniennes.

Controverses christologiques pré-chalcédoniennes - Wikipédia

Les controverses christologiques pré-chalcédoniennes sont des disputes théologiques à propos de la nature divine ou humaine de Jésus, qui agitèrent le christianisme ancien. Les différentes ...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Controverses_christologiques_pr%C3%A9-chalc%C3%A9doniennes

Ensuite, catholiques et orthodoxes se disputèrent ensuite pour un suffixe. C'est la querelle du filioque. Je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui 100 chrétiens en France capables de comprendre les enjeux de cette querelle et d'avoir un avis motivé (pour ou contre) sur cette formulation. Mais on s'est massacrés sous ce prétexte.

Pour compliquer les choses, le prosélytisme catholique à partir de la Renaissance a entraîné des scissions au sein des Églises non chalcédoniennes, avec création par exemple d'une Église syriaque catholique, et maintien de l'Église syriaque "orthodoxe"

Quelles aujourd'hui les Églises chrétiennes d'Orient ? Je vais essayer de faire simple.

Il y a deux Églises nées du nestorianisme. L'Église catholique chaldéenne, rattachée à Rome, et l'Église apostolique assyrienne. Toutes les deux ont leur siège en Irak. Les fidèles des deux Églises sont appelés "Assyriens", mais ils ne sont pas les seuls.

Les Églises historiques pré-chalcédoniennes sont elles-mêmes maintenant divisées, avec une branche ralliée à Rome (copte catholique, arménienne catholique, syriaque catholique), et une restée indépendante (Copte, Arménienne, Syriaque)

De la même manière, l'Église orthodoxe s'est divisée en une branche minoritaire, "grecque melkite"; ralliée à Rome et l'Église orthodoxe historique, présente en Grèce, dans les Balkans et en Russie).

Voir aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glises_catholiques_orientales

Aujourd'hui, le titre de "Patriarche d'Antioche" est porté par cinq personnes. Il y a six Églises chrétiennes au Liban, dont l'Église maronite, unie à Rome, d'origine monothéliste (monophysisme déguisé).

Quelle est la situation de ces "Chrétiens d'Orient ?

Il faut admettre que l'essor du djihadisme takfiriste (Al-Qaïda, Daech) a considérablement aggravé leur situation. Le génocide des Arméniens (et des Grecs pontiques) par les nationalistes turcs avait entraîné leur disparition de la Turquie actuelle. Aujourd'hui, il y a des discriminations, parfois dissimulées comme en Égypte, d'autres fois assumées, d'autres fois c'est beaucoup plus compliqué.

De quoi parle "Charles" @elanogabacho quand il évoque la Palestine ? Il y a des chrétiens palestiniens. Le plus célèbre d'entre eux est Georges Habache, fondateur du FPLP. Il n'y a pas, de la part de l'Autorité palestinienne, ni du Hamas, de discriminations envers les Palestiniens chrétiens. La journaliste Shireen Abu Akleh, assassinée par l'armée israélienne, était chrétienne et elle fut pleurée par tous les Palestiniens.

Les différents patriarches chrétiens à Jérusalem ont toujours soutenu les droits de Palestiniens.

A Gaza, les bombardements israéliens ont aussi visé et détruit les bâtiments chrétiens. Les chrétiens de Jérusalem sont régulièrement pris pour cibles par des colons juifs extrémistes. Attaques sur lesquelles les défenseurs du noun restent le plus souvent silencieux.

Un proverbe libanais dit "si vous avez compris la situation politique libanaise, c'est qu'on vous a mal expliqué ! Il faut retenir au moins une chose : les conflits libanais ne sont pas, à la base, religieux. Il s'agit plutôt de guerre des gangs entre féodaux kleptocrates, l'appartenance confessionnelle n'étant qu'un marqueur identitaire de fidélité. Des chrétiens ont massacré aussi bien des chrétiens que des musulmans, etc..

En Irak, Saddam Hussein se voulait neutre au point de vue religieux. Son vice-premier ministre, Tarek Aziz, était un chrétien chaldéen. Quand son gouvernement a voulu ajouter une couche de religion au nationalisme arabe, il a fait ajouter "Dieu est grand" sur le drapeau, mais sans référence au prophète Mohammed. Aujourd'hui, beaucoup de chrétiens ont quitté l'Irak, à cause de la guerre, de Daech, etc..), mais pas à cause de discriminations officielles.

En Égypte, les coptes représentent au moins 10 % de la population. Il n'y a pas de discriminations officielles, mais un "plafond de verre" pour l'accession aux responsabilités. Mais le maréchal Al-Sissi est notre ami...

Au Pakistan, leur situation est très difficile.

"Charles" oublie de parler de la politique de notre également ami Nadendra Modi. Pour son parti, pour être un bon Indien, il faut être hindou, c'est l'Hindutva qui cible musulmans et chrétiens.

Alors oui, il faut défendre les Chrétiens d'Orient, mais contre tous ceux qui leur veulent du mal. Et il y a de "faux amis", comme SOS-Chrétiens d'Orient, à ne pas confondre avec l’Oeuvre d'Orient.

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