L'Iran (Perse) vu par Élisée Reclus (1884). Les villes du Nord
Élisée Reclus décrit, pages 249 à 253, les villes de l'Azerbaïdjan iranien. J'ai visité cette région en 2014 et 2016 et je joins quelques photos récentes des sites décrits.
Tabriz (Tebriz, Tauris), la capitale de l'Azerbeïdjan et naguère la ville la plus populeuse de l'Iran, est l'ancienne Kandsag des Arméniens, fondée à la fin du quatrième siècle de l'ère vulgaire. Elle est située dans le bassin du lac d'Ourmiah, et la masse brune de ses constructions recouvre un sol légèrement incliné, au milieu d'une plaine que dominent au nord-est et à l'est des roches nues, au profil vigoureux, tandis qu'au sud s'élève le cône régulier du Sehend. Des milliers de jardins arrosés par « neuf cents canaux » entourent la ville, contrastant par leur feuillage touffu avec l'aridité des collines. Vue des hauteurs, Tabriz, dont la muraille n'a pas moins de 18 kilomètres de tour et qui projette encore des faubourgs le long des routes divergentes, paraît être l'une des grandes villes du globe; mais quand on a pénétré dans l'enceinte et que l'on parcourt le labyrinthe des rues fangeuses, on reconnaît sans peine qu'elle ne saurait, comme aux temps de Chardin, se comparer aux capitales de l'Europe : à cette époque, en 1673, elle aurait eu 300 caravansérails, un bazar de 15 000 boutiques, 230 mosquées et 550 000 habitants. Tabriz n'a pas eu seulement, comme la plupart des autres cités persanes, à souffrir des sièges et des incendies, elle est en outre très exposée aux tremblements de terre : l'histoire parle de cinq grandes secousses qui la détruisirent partiellement, ensevelissant des milliers de victimes; en 1727, soixante-dix mille personnes auraient été englouties ou écrasées; en 1780, le nombre des morts aurait été de quarante mille. Ainsi s'explique la pauvreté de Tabriz en édifices remarquables, malgré son antiquité, la richesse de ses négociants, la puissance des souverains et des gouverneurs qui y résidèrent, la beauté des, matériaux employés pour la construction des palais : laves, porphyres, marbres et faïences. Le plus fier monument, la citadelle, masse carrée de 25 mètres de hauteur, paraît encore intact, mais de près on voit que son couronnement est tombé, que le mur est fissuré de lézardes et que les douves sont comblées par les décombres ; c'est dans les fossés de la citadelle que fut massacré le Bab en 1848. La mosquée « bleue », jadis une merveille, qui, avec tant d'autres édifices religieux, valut à la cité son nom de « Coupole de l'Islam », s'écroula en 1780 : il n'en reste que des piliers et les fragments d'un portail, utilisés par les voisins comme une carrière pour la construction de leurs masures. Les mosaïques de faïence, représentant des fleurs en guirlandes, sont juxtaposées avec une telle précision qu'on n'en voit pas les joints1.
L'importance commerciale de Tabriz et surtout le voisinage de la Russie ont fait choisir la capitale de l'Azerbeïdjan comme résidence du prince héritier. Située près de l'angle nord-occidental de l'empire, non loin des frontières de la Transcaucasie russe et de la Turquie, Tabriz est l'entrepôt obligé des marchandises : aussi s'est-elle relevée après chaque désastre. Toute une colonie de négociants étrangers, dans laquelle dominent les Arméniens, mais où les Occidentaux sont également représentés, s'y est établie; en 1832 déjà le mouvement total des affaires entre Tabriz et l'étranger était évalué par Fraser à 25 millions de francs. Le bazar, cité dans la cité, est rempli d'étoffes russes, anglaises, et autres produits des manufactures européennes. Les denrées du bassin d'Ourmiah, entouré d'un amphithéâtre de montagnes, ne trouvent de marché propice que dans cette ville située sur la route internationale. Quoique très froide en hiver, la contrée a toutes les cultures de la zone tempérée, et quelques-uns de ses fruits, surtout les amandes et les abricots, sont fort appréciés. En été, tous les habitants . aisés vont se reposer dans les villages ombreux du Sehend, au bord des eaux minérales qui jaillissent en abondance des roches volcaniques. Les bains de Lala, près du bourg prospère de Sirdaroud, sont très fréquentés. L'une des vallées voisines est un des trois « paradis » de l'Iran chantés par les poètes2.
1 Jane Dieulafoy, Tour du Monde, 1885.
2 H. Rawlinson, Journal of the Geographical Society, 1841.
Les autres villes de l'Azerbeïdjan sont aussi environnées de jardins et de vergers. Au nord-est de Tabriz, dans une vallée tributaire de l'Araxe, la ville d'Ahan possède de très riches mines de fer. Ardebil, également dans le bassin de l'Araxe, près de l'angle nord-occidental du territoire, au débouché des cols principaux qui traversent les montagnes de Tillich vers la nier Caspienne, a dans ses environs de riches gisements de cuivre, et son bazar est amplement approvisionné de marchandises russes. Sa grande mosquée, qui recouvrait le tombeau du cheikh Sefi, possédait une précieuse bibliothèque emportée par Paskievitch à Saint-Pétersbourg, mais on y voit encore, en mauvais état, une collection de porcelaines chinoises et persanes1. Maraud, située au nord, sur le grand chemin de la Russie, au milieu des campements d'Iliates Yekenlu, est une antique cité où musulmans et Arméniens montrent le tombeau de la femme de Noé. Maraud est cachée par des rideaux de peupliers et des vergers touffus ; de même Khoï, ville qui se trouve à l'ouest près de la frontière turque, dans une haute plaine unie d'environ soixante kilomètres de tour, est perdue dans une véritable forêt : on ne reconnaît la cité qu'après avoir franchi ses fortifications régulières, élevées au commencement du siècle par le général Gardanne. Parmi tous les arbres domine le mûrier, dont les baies exquises ne ressemblent en rien aux mûres insipides d'Europe2. Au nord-ouest de Khoï, sur la grande route d'Erzeroum et de Trébizonde, la ville arménienne de Makou s'élève sur un talus, au pied d'un rocher percé d'une énorme caverne .: on dirait une gueule prodigieuse s'ouvrant pour engouffrer la ville. La grotte n'a pas moins de 200 mètres de large et l'arcade du cintre a un développement d'environ 400 mètres; un castel habité par un chef kourde s'élevait au commencement du siècle dans le fond même de la caverne. Le toit de l'antre est formé par une puissante coulée de lave qui s'est épanchée sur la roche calcaire ; dans les environs on voit de nombreux puits naturels dont l'eau des torrents a foré le cintre en passant, au-dessous des laves dures, dans la roche inférieure plus friable3.
1Thielmann, Streifzüge in den Kaukasus.
2Moritz Wagner, Reise nach Persien und dem Lande der Kurden.
3Monteith, Journal of the Geographical Society, 1834; — Carl Ritter, Asien, vol. VIII.
La grande ville d'Ourmiah (Ourmidj), bâtie au pied des montagnes, dans une plaine qui s'incline vers la « Petite Mer », est aussi entourée de Jardins qui séparent les faubourgs et pénètrent entre les différents quartiers jusque dans le voisinage du bazar; une grotte voisine est désignée comme ayant été la demeure de Zoroastre. De la station de Seïr, que des missionnaires américains ont fondée en 1831, on voit à ses pieds toute l'admirable plaine boisée avec ses -« trois cent soixante » villages nichés dans la verdure, que limite par de gracieuses courbes le bleu des eaux lacustres. Un de ces villages, Gujtapa, est en entier peuplé de nestoriens convertis au protestantisme. Le village d'Ada, séparé de celui de Soupourghan par le Mazlou tchaï, s'est également rattaché à la foi nouvelle, apportée de par delà l'Atlantique; les autres bourgs de nestoriens et de chaldéens ont gardé leurs anciens rites. Khousrava, dans la vallée du Selmas, à l'ouest de la ville mahométane de Dilman, est le centre religieux des chaldéens catholiques1. Ces bourgs de la frontière entretiennent un commerce considérable avec les deux États limitrophes, les empires russe et ottoman, mais c'est par l'intermédiaire de la contrebande que se font les transports.
1Arsenis et Kiepert, Zeitschrift der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin.
Au moyen âge, la charmante Maragha, située au milieu de vignes et de vergers, sur les pentes méridionales du Sehend, devait sa renommée à ses fondations scientifiques : là vivait, pendant la deuxième moitié du treizième siècle, le célèbre astronome Nassir-Eddin; le khan mongol Houlagou lui bâtit un observatoire, à côté du château dans lequel il avait déposé ses richesses, et toute une académie se groupa dans la petite ville naguère inconnue. Nassir-Eddin avait fixé la position de son observatoire à 37 degrés 20 minutes de latitude septentrionale et 82 degrés de longitude à l'est des Iles Fortunées1. La charmante Binab, très propre, entourée de riches vergers et de vignobles, est la ville moderne qui a succédé en partie à Naragha.
Le bourg turc appelé Chehr-i-Mayandab, dans la basse vallée du Djaghatou, est un lieu déchu.
1Position approximative d'après les cartes actuelles :
Longitude 46° 9' Est de Greenwich.
Latitude 37° 22' Nord.