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Le blog de François MUNIER

L'Iran (Perse) dans la Géographie universelle d'Élisée Reclus (1884). Introduction

7 Mai 2018 , Rédigé par François MUNIER Publié dans #Iran

J'avais déjà mis en ligne les chapitres consacrés à l'Albanie et aux deux Arménies (russe et ottomane) dans cette monumentale "Géographie universelle" aux 19 tomes.

Je mets maintenant en ligne ce qu'il a écrit sur la Perse, mais en négligeant les descriptions purement physiques (relief, climat, etc..) sauf quand il explique leurs conséquences économiques et sociales ou quand elles concernent des sites que j'ai visité.

Dans ce cas, je joins des photos récentes et les diaporamas que j'ai mis en ligne sur Flickr.

L'Iran (Perse) dans la Géographie universelle d'Élisée Reclus (1884). Introduction

Pages 139 à 149

Ce nom de Perse ou Farsistan n'est appliqué de nos jours dans le pays même qu'à une petite province du royaume. Les Persans désignent leur patrie par l'antique dénomination d'Iran, qui d'ailleurs est employée géographiquement pour toute la contrée des plateaux compris entre le bassin de l'Euphrate et celui de l'Indus. Au point de vue historique, le mot d'Iran s'étend dans un sens encore plus large, comme contraste avec le mot de Touran : il se rapporte à toutes les populations civilisées, d'origine iranienne plus ou moins pure, qui, non seulement sur le plateau, mais aussi dans les plaines de l'Oxus, se sont attachées au sol et se livrent à des industries fixes au milieu des nomades à demi sauvages venus du nord. Dans l'histoire de l'Asie Antérieure, le nom d'Iran représente les traditions du travail et de la culture intellectuelle; il rappelle la longue durée de nations puissantes résistant aux assauts des tribus barbares qui se succédaient de siècle en siècle. Conscients et fiers de leur antiquité comme race policée, les Persans regardent avec mépris les populations des alentours, moins cultivées ou plus jeunes dans l'histoire de la civilisation; quels que soient les progrès des Occidentaux dans la science, les arts et l'industrie, ils se considèrent néanmoins comme étant fort supérieurs en noblesse héréditaire à ces tard-venus dans le monde. Il est certain que la part de l'Iran dans l’œuvre commune de l'humanité a été des plus considérables. On sait que pour les origines de leurs idiomes les peuples de langues aryennes sont ramenés vers les plateaux où se parlait le zend, et que de tout temps le langage de la Perse fut pour les populations voisines le dialecte civilisé par excellence; encore de nos jours, Afghans et Baloutches affectent de parler le persan pour grandir dans l'estime de leurs auditeurs. Même dans l'Hindoustan, la littérature persane lutta longtemps d'influence contre le sanscrit et les langues qui en sont dérivées : naguère le vocabulaire de l'hindoustani, si répandu dans toute la Péninsule, se composait principalement de. mots persans, apportés par les conquérants iraniens.

Et quelle influence de premier ordre le pays de Zoroastre n'a-t-il pas exercé sur le développement religieux dans l'Asie Antérieure et en Europe! C'est dans les livres sacrés des anciens Perses que la lutte des deux principes est exposée avec le plus de force et c'est à eux que les religions postérieures ont emprunté leurs croyances affaiblies à la lutte éternelle du « Bon » et du « Méchant », entourés de leurs armées respectives d'anges et de démons. Dans les premières évolutions du christianisme, l'action de la Perse se manifesta par l'apparition de sectes nombreuses, et de nos jours encore les doctrines chrétiennes en gardent l'ineffaçable trace. Le culte spécialement connu sous le nom de « persan » n'a plus guère d'adhérents dans sa propre patrie et l'on n'en voit de communautés florissantes que chez les Parsi de l'Inde; mais, tout en se convertissant à l'islamisme, les Iraniens ont donné à la religion victorieuse une forme nouvelle : ils sont devenus chiites, rompant ainsi l'unité du mahométisme, qui dans les autres pays est presque exclusivement sunnite, à l'ouest dans la Turquie d'Asie, au sud-ouest et au sud en Arabie, à l'est dans l'Afghanistan et dans l'Inde, au nord chez les Turkmènes. Depuis la naissance du chiisme, le mouvement de création religieuse a continué en Perse et le panthéisme contemporain des Occidentaux se rattache, plus fortement qu'on ne s'imagine d'ordinaire, aux idées asiatiques de divinisation universelle, qui n'ont trouvé nulle part de plus fervents interprètes que chez les poètes persans. Toute idée -philosophique, tout dogme nouveau trouvent en Perse d'éloquents défenseurs ou de zélés apôtres. L'Iran est un des principaux centres de formation pour les religions humaines.

Ce pays dont l'œuvre a été si considérable dans l'histoire de l'Asie et du monde, ne représente pourtant par le chiffre de sa population qu'une bien faible fraction de l'humanité. Quel est le nombre total des habitants de l'Iran, en y comprenant Turks, Kourdes, Baloutches et Arabes? Dix millions au plus., Les évaluations ordinaires faites par les voyageurs et les employés européens et indigènes les plus instruits varient entre 7 et 8 millions' d'habitants1. Occupant une superficie égale à trois fois celle de la France, la Perse est cinq fois moins populeuse, quinze fois moins en proportion du territoire; même une grande partie du pays est complètement déserte. Quoique divers auteurs parlent de cinquante millions de Persans qui auraient peuplé l'empire de Darius, il ne paraît pas non plus que dans les temps asiatiques, lors de ses jours les plus prospères, les populations se soient pressées en multitude dans l'Iran : les sables, les argiles dures, les nappes de sel, quoique s'étendant alors sur une aire moins vaste que dans la période actuelle, limitaient d'un côté la régi-On des cultures, arrêtée de l'autre par les roches escarpées des montagnes. C'est aux peuples conquis des plaines environnantes que les souverains de la Perse demandaient surtout leurs armées prodigieuses, composées de plusieurs centaines de mille hommes, et les approvisionnements immenses dont ils avaient besoin pour leurs campagnes en Scythie, en Égypte, dans l'Asie Mineure, en Thrace et en Grèce. Mais si faible dans le monde ancien qu'ait été l'importance numérique des Perses, ils jouissaient du privilège que leur assurait la situation géographique de leur pays.

Historiquement, le plateau d'Iran est le lieu de passage où devaient s'engager les peuples de races diverses dans leur marche d'orient en occident. En cette région de l'Asie, la mer Caspienne d'un côté, de l'autre le golfe Persique, rétrécissent le continent à un espace moindre de 700 kilomètres ; en retranchant de cet isthme les terres basses et malsaines de la côte, ainsi que les régions trop montueuses pour qu'on pût facilement les parcourir, l'espace réservé au mouvement des migrations entre les deux moitiés du groupe continental est de 500 kilomètres environ. Les steppes inconnues de la Scythie, au nord de la mer Hyrcanienne, ne servaient de campements qu'à des nomades barbares, sans relations avec les peuples civilisés; l'histoire proprement dite, celle dont la trace ne se-perd pas dans la mémoire des peuples, ne pouvait avoir pour théâtre que l'étroit plateau compris entre l'Elbourz et les monts de la Susiane. C'est là que devaient- se rencontrer les représentants des races différentes, avec leurs langues, leurs civilisations, leurs religions, et que devaient par conséquent se développer les idées nouvelles, provenant du contact et de la pénétration mutuelle de ces éléments distincts ayant eu leur évolution propre. De tout temps, pendant les, âges historiques, des populations d'origine « touranienne » se sont trouvées en juxtaposition avec les « Aryens » sur les plateaux d'Iran. Jadis les Mèdes et les Perses, de nos jours les Turki et les Farsi, sont, parmi tous les éléments ethniques en présence dans la contrée, ceux qui représentent les deux grandes races de l'Asie Centrale. Guerres ouvertes, dissensions intestines, rivalités provinciales et locales se perpétuent entre les habitants d'origine différente, et nul doute que cette lutte incessante n'ait contribué pour une forte part à la naissance de la doctrine iranienne sur le conflit éternel des deux principes; mais du moins tous ces ennemis, se léguant de siècle en siècle la bataille sans fin, ne sont-ils point passés sans mêler leur sang et leur génie, ainsi qu'en témoignent l'histoire, les religions et les poèmes! L'Iran était un laboratoire où les tribus se modifiaient rapidement, différentes à leur sortie de ce qu'elles étaient à l'entrée. A l'issue de l'étroit corridor des plateaux iraniens, les peuples émigrants trouvaient l'espace plus libre devant eux. D'un côté ils pouvaient descendre dans la vallée de l'Euphrate et gagner les côtes de Syrie et pénétrer en Égypte par le littoral, de l'autre ils voyaient s'ouvrir à l'ouest les routes de l'Asie Mineure et de l'Europe par les détroits et la mer Égée, ou bien encore ils avaient le choix entre les chemins de la Transcaucasie, communiquant avec les plaines Sarmates par les diverses « portes » du Caucase, à l'est, au milieu ou à l'ouest de la. chaîne. Ainsi divergent de la Perse occidentale les grandes voies historiques se dirigeant vers l'Égypte, l'Europe méridionale et les régions du nord.

Jadis presque inexpugnable au centre de l'immense édifice continental, la Perse ne se trouve plus de nos jours dans les mêmes conditions géographiques. Au sud, la mer, qui défendait autrefois les abords de la contrée, invite au contraire les tentatives de l'étranger; au nord, la mer Caspienne ne va plus se perdre dans les solitudes inconnues, elle est contournée par des routes militaires et des chaînes de colonies, et des lignes régulièrement desservies par des paquebots font communiquer les ports et les routes des rivages opposés. Ainsi la Perse qui, il y a deux mille années, n'avait rien à redouter sur ses flancs du nord et du sud, est précisément menacée de ces deux côtés, et par les deux États prépondérants de l'Asie, dont les capitales sont à Londres et à Saint-Pétersbourg. Entre ces rivaux, l'Iran n'a plus qu'une indépendance fictive. Déjà en 1723 les Russes s'étaient emparés pour un temps de toute la rive occidentale de la Caspienne ; depuis 1828 ils ont pris à la. Perse ses provinces de la Transcaucasie, et par un récent traité ils ont modifié à leur profit la frontière, naguère indécise, qui limite la région des Turkmènes ; enfin, l'îlot d'Achour-adé, qu'ils occupent à l'angle sud-oriental de la Caspienne, est un poste de surveillance d'où les Cosaques pourraient en quelques jours se présenter devant la résidence du chah. Dans le golfe Persique, devenu « lac anglais », comme la Caspienne est un « lac russe », la suprématie incontestée appartient aux consuls britanniques ; même une garnison de cipayes occupe la pointe de Djask, à l'entrée du golfe, et la moindre démonstration navale suffirait pour enlever au gouvernement persan le produit de toutes ses douanes maritimes. C'est par la volonté de l'Angleterre que le chah de Perse a dû renoncer à la conquête de Herat et laisser « rectifier » ses frontières dans le Seïstan. A l'intérieur du pays, les officiers russes, de même que les Anglais, sont accueillis comme des maîtres, et peuvent en toute sécurité dresser des cartes, lever des plans, recueillir pour l'étude stratégique du pays les renseignements nécessaires,

1 Superficie et population de la Perse :

1 647 070 kilomètres carrés. 7 655 000 habitants. 5 habitants par kilomètre carré

(Houtum—Schindler, Behin et Wagner, Bevölkerung der Erde, VII.)

N° 25 — ITINÉRAIRES DES PRINCIPAUX EXPLORATEURS DE LA PERSE DEPUIS MARCO POLO.

L'Iran (Perse) dans la Géographie universelle d'Élisée Reclus (1884). Introduction

tenus en grande partie secrets dans les archives militaires des deux empires. Quoique la Perse ait été visitée fréquemment depuis Marco Polo, quoiqu'on lise encore avec le plus vif intérêt les voyages de Thévenot et de Chardin, et que pendant ce siècle des ouvrages du plus haut mérite aient étéubliés par des explorateurs français et allemands, cependant les documents cartographiques de beaucoup les plus importants sont ceux qui ont été rédigés par des Anglais et des Russes, sur l'invitation de leurs gouvernements respectifs. C'est d'après les relevés faits sur le terrain par deux généraux, l'Anglais Williams et le Russe Tchirikov, qu'a été délimitée la frontière turco-persane dans le pays des Kourdes.

II

Sans limites naturelles précises du côté de l'est, où l'Afghanistan et le Baloutchistan continuent le plateau, les plaines et les montagnes de l'Iran, cette contrée forme sur ses trois autres faces un ensemble géographique bien distinct. Des plissements du sol au-dessus des oasis turkmènes et le long des côtes méridionales de la Caspienne, d'autres plissements au bord de la mer d'Oman et du golfe Persique, enfin des montagnes en gradins dominant les plaines de la Mésopotamie, constituent le rempart extérieur de la Perse. Dans l'intérieur de cette enceinte montueuse s'étendent des plaines creusées vers le centre et n'offrant sur une grande partie de leur surface que des sables, des argiles dures et des salines. La population de l'Iran s'est portée principalement sur le pourtour du pays, au nord, à l'ouest et au sud-ouest, dans les vallées qui fournissent l'eau nécessaire à ses cultures; loin de se présenter en masse compacte, elle se distribue ainsi en deux colonnes convergentes, l'une de l'est à l'ouest, l'autre du sud-est au nord-ouest, qui se rencontrent entre la Caspienne et la haute vallée du Tigre, dans la province de l'Aderbeïdjan; c'est là, au point de jonction des deux zones de peuplement et de culture, que s'élève Tabriz, la cité la plus populeuse de la Perse; là s'établit l'unité de la contrée. Si l'on néglige les irrégularités de détail, les régions peuplées sont disposées en forme d'angle, coïncidant avec celui que présentent dans leur ensemble-les chaînes bordières du plateau.

Au nord-est, la crête extérieure qui constitue la limite naturelle de l'Iran et du Turkestan est en réalité, malgré l'éloignement et la cavité intermédiaire de la Caspienne, le prolongement régulier du mont Caucase. La péninsule d'Apchéron, le seuil sous-marin, les bancs et les îlots qui vont rejoindre la pointe de Krasnovodsk en séparant les deux profonds abîmes de la Caspienne, enfin les deux massifs du Grand Balkan et du Petit Balkan indiquent de la façon la plus nette l'existence d'un axe de jonction entre le grand Caucase et le « Caucase des Turkmènes » qui, sous les divers noms de Kouran dagh, Kopet dagh, monts de Gulistan, Kara dagh, se continue jusqu'à la cassure dans laquelle passe le Heri-roud : au delà, les montagnes, qui se reploient dans la direction de l'est, puis du nord-est, appartiennent au système du Paropamisus. Toute cette région du Caucase des Turkmènes commence à être connue dans ses détails topographiques, grâce aux explorations des géomètres russes chargés de délimiter la frontière. La carte au 84 000e , achevée depuis quelques années pour la région du. bas Atrek, se continue pour tout le Daman-i-koh ou « Piémont » turkmène jusqu'aux oasis de Sarakhs et de Merv.

En vertu du traité de limites ratifié en 1882, de riches vallées tributaires de l'Atrek, possédant de vastes pâturages et de magnifiques forêts de chênes et de cèdres, ont été rendues à la Perse; mais en échange les Russes succèdent à l'Iran dans leurs prétentions à la suzeraineté de Merv, la « clef de l'Inde », ils ont pris aussi à la Perse quelques-unes des vallées du Kopet-dagh, à l'ouest d'Askhabad et au sud de la forteresse rasée de Gôk-tepe, naguère si vaillamment défendue; en cet endroit, qui rappelle les exploits de la conquête, ils se sont attribué tout le versant de la montagne, jusqu'au faîte de partage, et disposent ainsi à leur gré des eaux qui arrosent les champs et les jardins de leurs sujets les Turkmènes.

Ce qui donne une importance exceptionnelle à cette chaîne bordière de l'Iran, c'est qu'elle possède des sources et des ruisseaux dont l'eau s'évapore à une faible distance des montagnes dans les sables de la plaine. Les Persans, habitants de la région haute, sont les propriétaires naturels des fontaines et ils en usent pour l'irrigation de leurs champs. Mais sous ce climat, dont le ciel est trop avare de pluies et où les étés sont brûlants, l'eau est rarement assez abondante pour satisfaire tous les riverains ; gens d'amont, gens d'aval deviennent forcément les ennemis les uns des autres. Quand les montagnards cultivateurs, appuyés sur des armées, disposaient de la force nécessaire, ils ne manquaient pas d'utiliser jusqu'à la dernière goutte l'eau de leurs torrents; ils en suivaient le cours, établissant des barrages de distance en distance, creusant des canaux sur les pentes, accroissant à droite et à gauche la zone des cultures. Aux époques de la puissance persane, toute la zone de l'Atok ou « Arrêt des Eaux », c'est-à-dire le Daman-i-koh, — était envahie par les Iraniens : les Turk mènes étaient rejetés dans le désert, une rangée de villes et de forteresses défendait contre eux la région des terrains cultivables, où se perdaient les derniers filets humides1. Mais aussi, quand les redoutables cavaliers turcomans s'étaient ouvert une brèche dans la ceinture de forts, avec quelle furie de vengeance ils brûlaient les villes, capturaient ou massacraient les hommes qui les avaient privés de l'eau nourricière, des fraîches vallées, de la verdure des champs et des prairies! Avant l'arrivée des Russes, la guerre se continuait sans trêve entre Persans et Turkmènes de la frontière, et ceux-ci, devenus les plus forts, pénétraient par toutes les gorges des montagnes pour aller ravager les vallées situées au delà; les haines traditionnelles, exaspérées encore par les différences de race, de religion et de mœurs, étaient alimentées par une cause incessamment agissante, l'inégale répartition des eaux : des deux peuples, l'un pouvait se nourrir des produits du sol, l'autre avait à subsister par le pillage. Maintenant la toute-puissante volonté de la Russie a tracé la frontière, ici donnant aux Turkmènes les sources des rivières, ailleurs, les laissant aux Persans, avec interdiction pour eux d'accroître l'étendue des champs riverains ou d'augmenter le nombre ou la section de leurs canaux, sous menace d'une « punition sévère ». Mais peuvent-ils empêcher les sécheresses,. et si les Turkmènes protégés par la Russie ne voient pas arriver le courant sur lequel ils comptaient, n'accuseront-ils pas leurs ennemis héréditaires? La guerre, changeant de forme, prendra peut-être un caractère diplomatique entre les deux puissances, mais la frontière même, empêchant une méthode de culture commune au profit de tous les intéressés, n'interdit elle pas la conciliation aux peuples limitrophes?

La chaîne bordière, dans sa partie orientale, est assez uniforme en altitude; ses montagnes, dont les pentes supérieures sont couvertes de genévriers, s'élèvent de 2400 à 3150 mètres. Quelques chaînons avancés et des contreforts séparent cette haute crête et la plaine; d'en bas on n'aperçoit en maints endroits que les hauteurs de ces massifs secondaires. L'un d'eux est une montagne fameuse en Asie, le Kelat-i-Nadir, ainsi nommée, « fort de Nadir », parce que le célèbre conquérant en avait fait une de ses citadelles. C'est un roc calcaire de forme allongée ayant 33 kilomètres de longueur de l'est à l'ouest, sur une largeur moyenne de 10 kilomètres; ses parois escarpées s'élèvent de 300 à 400 mètres au-dessus de la plaine, offrant en certains endroits des redressements verticaux de 100 et même de 200 mètres de hauteur. Un torrent .né dans les montagnes du sud pénètre par une fissure dans l'intérieur du Kelat-i- Nadir et se répartit en canaux d'irrigation qui fécondent la terre végétale éparse dans les cavités du plateau; en temps ordinaire, les eaux des rigoles d'arrosement sont assez abondantes pour rentrer dans le lit du, torrent et s'échapper dans les plaines par la cluse qui traverse le rocher du sud 'au nord ; des marécages qui se sont formés à l'issue des eaux rendent parfois l'air de la contrée fort insalubre. Les deux portes où passe le ruisseau, de même que trois autres brèches ouvertes dans les parois de circonvallation, sont fortifiées avec soin, et sur le point le plus élevé du rocher, à l'ouest du massif, se dresse une citadelle, maintenant en ruines, au milieu de laquelle un village a surgi. De l'ancien palais fortifié de Nadir, la vue s'étend au loin sur les plaines grises des Turkmènes, tandis qu'au sud se profile la longue chaîne du Kara dagh ou Montagne Noire », se continuant à l'ouest par le Hazar Masdjid ou les « Cent Mosquées ». Le pic le plus élevé qui donne son nom à la rangée de pics se découpe en une multitude d'aiguilles, que l'imagination fervente des pèlerins de Meched compare à des minarets gigantesques2.

1 H. Rawlinson, Proceedings of the Geographical Society, january 1883.

2 Napier, Journal of the Geographical Society, 1876; —Gill and Baker, Clouds in the East.

Kelat-i-Nadir, gorge d'Arghavan-Chah. Dessin de Taylor, d'après Mac-Gregor

Kelat-i-Nadir, gorge d'Arghavan-Chah. Dessin de Taylor, d'après Mac-Gregor

Au nord-ouest du « Fort de Nadir », d'autres massifs placés en dehors du versant septentrional de la chaîne limitent les riches et fertiles bassins du Dereghez ou « Val des Tamaris », les plus verdoyants que possède la Perse, après les régions du littoral carpien, dans le Ghilan et le Mazanderan. C'est au pied de ces monts avancés que s'arrête actuellement, à la station d'Askhabad, le chemin de fer construit par l'armée russe lors de la guerre contre les Turkmènes Tekke et destiné sans doute à se continuer dans un avenir prochain vers l'Afghanistan en longeant la base des montagnes ; les ingénieurs russes ont aussi proposé de tracer une voie ferrée qui franchirait la chaîne par l'une des vallées du Dereghez et redescendrait au sud-est dans la direction de Meched. A quelque distance au delà du col de Garni-ab, les deux versants de la chaîne maîtresse font partie des nouvelles possessions russes : la frontière descend dans la vallée du Sambar, puis traverse son affluent le Tchambir, et longeant la ligne de partage entre le bassin du Sambar et celui de l'Atrek, va rejoindre le confluent des deux rivières. Dans cette région, les monts s'abaissent graduellement vers la Caspienne et le plateau d'Iran peut être escaladé sans peine par les voyageurs qui suivent les nombreuses vallées ouvertes entre les ramifications divergentes des chaînes de montagnes. Les Turkmènes pillards connaissent bien ces chemins -qui leur permettaient naguère de prendre à revers les populations du plateau, sans avoir à gravir la chaîne orientale, dressée comme un rempart au-dessus de leurs steppes.

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